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L'euthanasie des malades psychiatriques est-t-elle contraire à l'éthique ?

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De Willem Lemmens, Professeur à l'Université d'Anvers (Centre d'éthique) (Traduction libre de la Tribune libre de Willem Lemmens le 20 Décembre 2016 sur Knack.be, sur Euthanasie Stop)

L'euthanasie des malades psychiatriques est-t-elle non éthique ?

« La négligence du législateur apparait 15 ans plus tard comme une erreur tragique. », écrit le professeur d'éthique Willem Lemmens, réagissant à la critique américaine de la loi belge sur l'euthanasie.

Le comité d'éthique de l' American Psychiatric Association (APA) questionne la pratique de l'euthanasie de patients psychiatriques en Belgique et aux Pays-Bas. L'APA a l'intention de proposer à la WPA (World Psychiatric Association) qu'une demande d'éclaircissements soit faite aux collègues belges et néerlandais. L'organisation professionnelle américaine considère qu'on ne peut pas pratiquer d'euthanasie sur des patients psychiatriques. Ces patients ne sont pas en phase terminale de maladie, leur désir de mourir est inextricablement lié à leur pathologie complexe.

Ceci rend impossible une appréciation objective de leur désir de mourir et du caractère sans issue de leurs souffrances, par ailleurs plus que réelles. De plus, la motion de l'APA met le doigt sur la problématique éthique fondamentale ; pour eux, il n'est pas possible d'administrer ou de fournir des moyens de donner la mort à des patients qui ne sont pas en phase terminale dans le contexte de la fourniture de soins psychiatriques. Pour l'APA, le serment d'Hippocrate n'est clairement pas un chiffon de papier.

« L'euthanasie des malades psychiatriques est-t-elle non éthique ? »

La ministre Maggie de Block n'est pas impressionnée : elle se rappelle les discussions approfondies tenues en 2002 au sujet de la loi sur l'euthanasie. Il faudrait peut-être d'abord rectifier la perception erronée de Madame la ministre. Dans ce pays et au début du siècle, les discussions préalables à la loi ont été importantes. Pour qui a suivi les débats, il est clair que, dès le début, l'euthanasie des malades psychiatriques a été pour quelques-uns un sujet de préoccupation. Mais, toute opposition a été rapidement tuée dans l'œuf par l'audace d'un lobby résolument favorable à l'euthanasie. Les arguments des partisans de la libre disposition absolue de soi-même étaient simples: on ne peut pas discriminer les malades psychiatriques ! il faut faire en sorte que la loi prévoie une consultation de plus d'un psychiatre ou d'un spécialiste pour les patients qui ne sont pas en phase terminale et laisser un intervalle d'un mois entre la demande et la pratique de l'euthanasie, et voilà, tout est réglé.

La négligence du législateur apparait 15 ans plus tard comme une erreur tragique. Après quelques temps, des voix inquiètes se sont élevées en provenance du secteur psychiatrique.

Lors d'une conférence rétrospective il y a quelques années ( nota bene, à l'Université Catholique de Louvain), je me rappelle qu'une soignante du secteur psychiatrique s'est levée et, hésitante, a dit que pour elle, ce sentiment de ''feel good' qui dominait la conférence ne cadrait pas : la loi sur l'euthanasie constituait peut-être un pas en avant pour les patients en phase terminale atteint de maladies physiques graves et incurables mais, dans son secteur, les soins psychiatriques, elle voyait plutôt de gros problèmes quand les patients demandaient l'euthanasie avec un insistant désir de mourir. Son intervention a été ignorée et m'a laissé avec de graves interrogations.

« Depuis, un ou deux ans, apparaissent dans ce pays des histoires de personnes qui restent avec des traumatismes après qu'a été pratiquée l'euthanasie sur un membre de leur famille qui souffrait d'une maladie psychiatrique incurable et irréversible. »

Ces êtres chers n'étaient pas en phase terminale. Des articles scientifiques d'experts belges ont présenté des dizaines de cas d'euthanasie en raison d'affections psychiatriques comme les balises d'un progrès éthique et médical. Les plaintes sporadiques de membres de la famille étaient considérées avec dédain comme un signe de 'troubles structurels' dans les familles concernées. Le récent rapport de la FCEE (la commission d'évaluation de l'euthanasie) reconnait pour la première fois le fait que les malades psychiatriques constituent pour l'euthanasie une catégorie à part.

Mais, la commission souligne aussi que ce groupe est restreint : le docteur Wim Distelmans a commenté les chiffres en soulignant qu'il y a chaque année bien plus de morts d'accidents de la route. Pour information, de 2012 à 2015 les chiffres officiels d'euthanasie sont de 7 autistes, 8 schizophrènes, 17 bipolaires, 30 hommes et femmes avec un trouble de la personnalité et 82 personnes souffrant de dépression.

Tout le monde ne trouve pas rassurante la réalité derrière ces chiffres. Quelle que soit la façon dont on la considère, l'euthanasie des malades psychiatriques est la fourniture d'une substance létale par un médecin à des personnes dont les souffrances sont plus que réelles, mais qui en principe peuvent encore vivre des années. Tous les psychiatres ne sont pas d'accord sur la signification d'une souffrance sans espoir ou incurable « du fait d'avoir tout essayé ». Pour ne pas parler du concept délicat de la libre disposition de la personne et de sa libre décision.

Bien sûr, la souffrance psychique peut être une réalité irrémédiable avec laquelle, donc, il faut vivre le restant de ses jours. C'est précisément pour cette raison que l'aide inconditionnelle et active du psychiatre ou du psychologue est essentielle. Par ailleurs, les psychiatres savent d'expérience que la guérison ou un soulagement soudain est possible. Mais, au-delà de ces considérations médicales, il y a une considération éthique sur laquelle l'APA attire notre attention : l'introduction de l'euthanasie dans la psychiatrie signifie de facto la légalisation du suicide assisté. Là, le médecin est placé dans un tout nouveau rôle d'expert de la fin de vie. Un rôle qui dépasse radicalement ses compétences médicales et la finalité de la médecine Hippocratique.

Eviter la tragédie du suicide classique ?

Une minorité de psychiatres belges continue d'affirmer que l'euthanasie permet d'éviter la tragédie d'un suicide classique. Ne faut-il pas considérer le fait que les patients ont été euthanasiés (ou assistés dans leur suicide) par des médecins bien déterminés, alors qu'ils auraient pu rester en vie dans les mains d'autres docteurs ?

Pour les psychiatres américains, ce qui se passe en Belgique est une question de déontologie médicale et d'éthique fondamentale ».

Dans un article écrit par des partisans de l'euthanasie de malades psychiatriques, il est dit franchement que, en cas de souffrance purement psychique, il y a un facteur subjectif très important aussi bien pour le patient que pour le médecin. Des recherches complémentaires sont donc souhaitables. Mais, dans l'intervalle, des dizaines de patients sont morts.

En Belgique et aux Pays-Bas, des constatations de ce type ne déclenchent pas des tempêtes de protestations. Mais à l'étranger, les psychiatres américains froncent les sourcils. A raison. Si l'on extrapole les chiffres cités aux Etats-Unis et leur grosso modo 300 millions d'habitants, cela signifierait pour une période de quatre ans l'implication active des psychiatres américains dans 6000 euthanasies à la demande de patients souffrant de maladies psychiques ou de troubles du comportement, mais n'étant aucunement en fin de vie.

C'est pour cette raison que les psychiatres américains tirent la sonnette d'alarme. Ne vous y trompez pas ! Ils ont bien étudié ce qui se passe en Belgique. C'est ce que j'ai pu constater en Octobre de cette année au congrès annuel de la ASBH (American Society for Bioethics and the Humanities). Pour eux, ce qui se passe en Belgique est une question de déontologie médicale et d'éthique fondamentale. Cela transcende la simple idéologie politique et la législation d'un pays.

Il s'agit de l'intégrité de la psychiatrie elle-même et du maintien des principes fondamentaux sur lesquels un bon soin médical doit être fondé. Les politiques et le monde médical belge ont tout intérêt à ne pas éviter le dialogue avec ces experts.

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