D'Isabelle de Gaulmyn sur le site du journal La Croix :
Et s’il y avait un miracle du pape François sur le catholicisme français ?
La question mérite d’être posée, à lire divers ouvrages qui viennent de sortir autour du catholicisme en France. Prenons François Huguenin. Voilà un auteur qui a beaucoup écrit sur le catholicisme de droite, spécialiste de l’Action française, et qui, de son propre aveu, serait plus « tendance Benoît XVI » que naturellement pape François.
Or son nouveau livre « Le pari chrétien », chez Tallandier, est un plaidoyer, argumenté, réfléchi, et aussi lumineux, en faveur du pape actuel. Et aussi un appel à une nouvelle manière d’être catholique en France. Sur l’immigration, et l’impératif d’accueil de l’étranger, l’auteur affirme que « le non de principe aux immigrés est absolument en contradiction avec le texte biblique, sa lettre et son esprit ». Et de renvoyer tous les contempteurs du pape François, les tenants d’une identité chrétienne à préserver et les nostalgiques d’une chrétienté d’antan, à leurs classiques évangéliques.
De même, on connaissait l’engagement de Patrice de Plunkett pour l’écologie. Mais la trajectoire de ce catholique, passé un temps du côté des traditionalistes, ex-directeur du Figaro magazine, est significative. Le titre de son livre est déjà tout un programme : « Cathos, ne devenons pas une secte », chez Salvator. Ce que François Huguenin dit aussi, d’une autre manière : « il est important de ne pas absolutiser une sorte de non possumus qui condamnerait les chrétiens à n’être plus acteurs de leur monde, à s’enfermer dans la critique stérile, à se couper de leurs frères en humanité ».
Mariage pour tous et Sens commun
En réalité, la séquence douloureuse que vient de vivre le catholicisme français oblige à reconsidérer la question de sa présence dans la société. Ce à quoi l’un et l’autre s’attachent. L’opposition au mariage pour tous, qui a montré aux catholiques que leur anthropologie n’était plus acceptée par une majorité de Français, l‘impasse d’une incarnation politique du catholicisme avec Sens commun, le soutien, malheureux, à François Fillon, puis l’hostilité irrationnelle à Emmanuel Macron, sont passés par là. Au final, il ne reste que le goût de cendre amère d’un combat perdu, et de la violence qui a marqué les échanges à l’intérieur de l’Église. François Huguenin s’inquiète de cette dérive d’une partie d’entre eux vers une extrême droite intransigeante, se mettant volontairement hors d’un système honni. « La droite les ayant encore déçus, pourquoi ne pas glisser (une fois de plus) vers l’ultra droite qui ose arborer les drapeaux de l’identité ? » s’interroge aussi Patrice de Plunkett. Évolution d’ailleurs fort bien retracée par Jérôme Fourquet dans son ouvrage, « à la droite de Dieu » (au Cerf).
Héritage de l’Action Française
Il existe de fait une sorte de « tradition » française, héritage de l’Action française, qui veut qu’une partie du catholicisme ait toujours entretenu avec la République un rapport fait d’intransigeance et de refus. « Les chrétiens ont pris l’habitude de confondre l’affirmation de leur foi avec l’exercice du pouvoir » écrit encore François Huguenin.
Un courant qui a désigné le pape François comme tête de turc, déversant sur les réseaux sociaux, comme le montre Patrice de Plunkett, un torrent de haine contre l’actuel évêque de Rome. Or c’est justement à partir du pape François, de sa prédication, que nos deux auteurs ont choisi de revisiter le rapport du catholicisme au politique. Ils ont pris au sérieux, quitte à choquer leur propre camp, les propos du pape actuel : sa critique de l’économie, des marchés, ses injonctions à donner la priorité aux pauvres, aux migrants, aux plus faibles, bousculent, provoquent mais aussi réveillent. Pour peu qu’on le prenne au sérieux, le pape François trace une perspective pour les chrétiens et leur action dans la société, montrent-ils, avec cette phrase clé du pontificat : « tout est lié ». On ne peut pas être exigeant sur le plan de l’éthique morale, adversaire de l’IVG, et refuser le droit au logement et aux biens les plus primaires aux migrants, et aux nécessiteux, et approuver le libéralisme sans merci qui creuse chaque jour un peu plus d’inégalités. Tout est lié. Nos auteurs ne sont pas devenus de dangereux gauchistes, mais simplement tirent les conclusions, pour les catholiques français, d’une forme de prophétisme venu de Rome et qui s’appuie sur l’Évangile. Ils refusent de voir ainsi le même Évangile instrumentalisé par la politique, dans une impossible quête d’un royaume chrétien.
Ces auteurs s’effraient des dérives d’une certaine droite catholique, mais leurs ouvrages, et le succès qu’ils rencontrent, démontre en eux-mêmes que cette dérive reste le fait d’une minorité, qui a pris le pouvoir sur les réseaux sociaux, mais non sur les bancs de l’Église. De ce point de vue, ces deux réflexions sont une invitation à sortir de cette interminable guerre idéologique des deux catholicismes – celui de gauche et celui de droite –, qui déchirent l’Église de France depuis trop longtemps. L’un comme l’autre appellent en effet à un dialogue apaisé au sein de l’Église, dans la diversité de ses composantes, autour des vrais enjeux de notre XXIe siècle. Peut-être un miracle François pour l’Église de France…