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Le "Jésus de l'histoire" : la leçon du cardinal Biffi

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De Sandro Magister (Settimo Cielo) en traduction sur le site diakonos.be (que nous remercions pour son travail) :

Encore sur le Jésus « de l’histoire ». La leçon de Giacomo Biffi, grand théologien et cardinal

L’article de Settimo Cielo du 21 mars sur « l’histoire de Jésus réécrite par un grand historien » a suscité de vives critiques par email de la part d’un éminent théologien jésuite, élève de Joseph Ratzinger et appartenant à son « Schulerkreis ».

Ce qu’il conteste, c’est que l’on puisse attribuer à Jésus, pendant sa brève vie publique, une évolution dans le conscience de sa propre identité et de sa propre mission, faite d’expectatives déçues et transformées, de changements d’objectifs parfois soudains, d’annonces peu à peu modifiées, jusqu’à une plus complète auto-conscience de lui comme Messie sauveur qui n’aurait été atteinte qu’à l’imminence de sa mort sur la croix.

Ce parcours tortueux de Jésus est effectivement celui que l’historien de l’antiquité chrétienne Giorgio Jossa reconstruit dans son dernier essai annoncé par Settimo Cielo. Un Jésus « de l’histoire » – explique-t-il – qu’il n’oppose pas mais qu’il place à côté du Jésus des Évangiles, lesquels en racontent l’histoire à la lumière de sa résurrection.

Cependant, aux yeux de notre critique, cette reconstruction historique du parcours humain de Jésus semble trop en contradiction avec le Jésus de la foi pour être acceptable. Les disciples de Jésus, eux oui, pouvaient être incertains et tomber dans l’erreur face aux « signes » accomplis par lui.  Mais pas lui.  En lui il ne pouvait il y a voir d’ignorance ni d’incertitude concernant son identité et sa mission, au moins depuis qu’il avait atteint l’âge de raison : « Jésus savait certainement avec clarté qu’il était le Fils de Dieu et le Messie à l’âge de 12 ans ».

A 12 ans en effet, dans l’Évangile de Luc (2, 41-52), on peut lire que Jésus s’est disputé avec les docteurs de la loi dans le temple et qu’il les étonnait tous par « son intelligence et sa doctrine ». Et il a déclaré à Marie et à Joseph : « Ne savez-vous pas que je devais m’occuper des affaires de mon Père ? ».

Et justement, on trouve un passage dans un livre du grand théologien et ensuite cardinal Giacomo Biffi (1928-2015) intitulé « À la droite du Père » – la « synthèse de théologie dogmatique » la plus aboutie qu’il ait publiée et dont la dernière réimpression date de 2004 – dans lequel il fait ce commentaire, justement concernant Jésus parmi les docteurs du temple :

 

« Si à douze ans, il parle déjà de Dieu son Père d’une manière inédite jusqu’alors, révélant ainsi une certaine conscience de son inimitable condition filiale, il n’en demeure pas moins que le désir ardent d’entendre parler les sages et de les interroger nous dit qu’à cet âge, il est encore un chercheur de Dieu en herbe et que donc son propre mystère n’était pas encore pleinement révélé à ses yeux. »

Ce passage se trouve au sein du chapitre intitulé « L’aventure terrestre du Christ » justement consacré à « l’histoire » de Jésus de Nazareth et à sa « croissance » jusqu’au sommet de sa condition glorieuse.

Puisque Jésus était pleinement homme, écrit le cardinal Biffi, « nous devons retrouver un lui une croissance, non seulement dans sa vie corporelle mais également dans la réalité intérieure de son monde cognitif et volitif ». Une croissante, souligne-t-il, qui est bien présente dans la christologie du Nouveau Testament, par exemple dans « ce célèbre texte de la Lettre aux Hébreux (5, 8), où l’on dit que le Fils de Dieu ‘a appris par ses souffrances ce qu’était l’obéissance’ ».

« Jésus aussi – poursuit Biffi – a donc avancé progressivement dans la compréhension de l’oikonomia, c’est-à-dire du dessein de salut universel dont il était le centre.  C’est pourquoi il a donc également été le premier théologien au sens dynamique du mot : le premier à enquêter sur le projet du Père.  […] Et puisque la rédemption ne s’est pas accomplie en un instant mais a connu un déploiement qui a culminé dans sa mort et sa résurrection, sa connaissance ‘fonctionnelle’ ou prophétique a progressivement grandi en harmonie avec le déploiement du dessein salvifique.  […]  On constate non seulement dans la vie intérieure mais aussi dans l’action de Jésus de Nazareth une progression que la théologie traditionnelle de la rédemption laisse dans l’ombre ou à tout le moins n’appréhende pas de façon adéquate ».

Non pas en tant qu’historien mais bien en tant que théologien, le cardinal Biffi insiste pour mettre en évidence dans les textes mêmes du Nouveau Testament cette conception « dynamique » du parcours de Jésus, dynamique au point de faire prêcher à l’apôtre Pierre que ce n’est qu’avec le résurrection que « Dieu a fait Seigneur et Messie ce Jésus que vous avez crucifié » (Actes 2, 36).

« Selon la prédication primitive, donc – commente Biffi – Jésus n’entre en possession non seulement de son souveraineté sur le monde mais également de sa dignité messianique et de la pleine capacité d’obtenir le salut qu’au moment de son entrée dans le sanctuaire céleste ».

Mais que signifie – se demande Biffi vers la fin de ce chapitre dense – que ce n’est qu’alors que Jésus « est devenu » Fils de Dieu ?

« Il y a une réponse facile », dit-il, c’est celle selon laquelle « Jésus n’est ‘apparu’ comme Fils de Dieu qu’au moment de sa glorification, alors que pendant sa vie terrestre, sa dignité demeurait cachée ».

« Toutefois – poursuit-il – nous pensons que ces textes du Nouveau Testament peuvent être compris de manière plus approfondie si l’on réfléchit au fait que le Christ en relation de filiation avec le Père n’est que le Christ glorieux, dans lequel tous les moments précédents vivent et s’éternisent. […] Naturellement, cela ne signifie pas qu’au cours de sa vie terrestre Jésus n’était pas ‘Fils de Dieu’ mais qu’il y a une véritable progression dans toute la personnalité humaine, notamment dans sa relation ontologique avec le Père ; une progression, bien entendu, dans le chef de l’homo assumptus et non dans le chef du Père ».

« Le mystère du ‘développement’ de Jésus de Nazareth – conclut Biffi – c’est que sa vie terrestre a été, à tous les niveaux et dans toutes les fibres de son être, un chemin vers le Père ».

*

Biffi s’arrête là. Mais si nous retenons ce cadre théologique, il est évident que les recherches historiques sur le Jésus « de l’histoire » ne peuvent que faire l’objet d’une attention sérieuse.  Et qu’elles doivent être appréciées comme telles, non pas à l’opposé mais à côté du Christ « de la foi ».

Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.

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