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Des traces du christianisme antique identifiées jusqu’en Inde et en Chine

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D'Edouard-Marie Gallez sur EECHO.fr :

Colloque de Rome 2021 sur St Thomas : un tournant ?

« Enquête sur l’histoire des premiers siècles de l’Église »

__ Comme l’indiquait l’annonce web de ce colloque mené de main de maître par le président de ce Comité Pontifical, le Révérend Père Bernard Ardura :
« Des traces du christianisme antique ont été identifiées en effet jusqu’en Inde et en Chine, terres qui, selon la tradition, ont été évangélisées sous l’impulsion de l’apôtre Thomas, donc dès le 1er siècle de notre ère. L’archéologie contemporaine a permis de mieux retracer cette étonnante expansion du christianisme, souvent liée à des échanges commerciaux impliquant des matières n’existant pas en Europe, par exemple la soie et l’ivoire. Des chercheurs venus de différents horizons pourront donc partager des connaissances qui n’étaient pas encore intégrées dans l’historiographie du christianisme selon les modèles étudiés il y a 30 ou 40 ans. »

__ Renseignements pris, certains intervenants invités n’ont hélas pas pu se déplacer : Mmes M.-F. Baslez, Sherly Avedian (son texte en rapport avec la Perse à partir du 3e siècle fut lu) et Ilaria Ramelli (celle-ci enverra, espérons-le, sa contribution sur La Gens Annaea et le christianisme primitif), ainsi que Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque chaldéen de Kirkouk (Irak) et les deux invités indiens qui ont transmis une vidéo de leur contribution, respectivement le P. Jiphy F. Mekkattukulam sur les Actes de Thomas, et Thattunkal Mani sur le manuscrit Charition (Oxyrhynchus Pap 413) suggérant la présence au port indien de Muziris d’une communauté chrétienne célébrant en araméen au 2e siècle.

__ A ce colloque ont pris part des partisans de la constitution tardive (et gréco-latine) du christianisme, tels que l’exégète protestant Daniel Marguerat (Suisse) et l’historien Danilo Mazzoleni (Italie), ce dernier contestant l’attribution chrétienne des signes identifiés comme chrétiens à Pompéi et Herculanum. Cependant, devant la mise en lumière de l’apostolat de l’apôtre Thomas en Inde et en Chine, la perception s’imposa d’un « mouvement précoce de coordination et de synthèse de la religion chrétienne », au-delà du « défi de l’altérité des cultures », comme le suggérait déjà l’annonce du colloque.

__ Dans les questions soulevées, on n’aborda pas la question de la précocité de la composition des évangiles (plausiblement d’abord orale et en araméen), mais les découvertes relatives à St Thomas permettent de la poser sous un jour nouveau. Cette question exégétique fondamentale devrait être sans doute l’objet d’un colloque en soi mais celui-ci supposerait qu’une partie des participants soit à l’aise avec la langue araméenne, notamment avec ses formes du 1er siècle, et c’est beaucoup demander pour le moment…

__ Des interventions remarquées, on peut citer celle de Maxime Yevadian (Chaire de recherche sur l’Eurasie, Lyon) qui fit découvrir des données peu connues et ici capitales relativement à la multiplicité des « routes de la soie », un réseau transcontinental, et ses acteurs à l’époque de la dynastie Han (206 av. J.-C. – 220 ap. J.-C.), une question qu’il avait abordée au colloque de Kochi en 2019, en ajoutant des informations générales sur la présence hébraïque sur ces routes.  Il faut signaler aussi la contribution de Pierre Perrier sur L’hymne de la Perle, une composition araméenne qui est incluse dans les Actes de Thomas mais qui leur est antérieure (elle est présentée ici). Dans les articles de M. Yevadian sur Academia, on trouvera le détail du programme de ces trois journées (ou ici en PDF).

__ Il convient de relever particulièrement les interventions rigoureuses et très documentées des deux spécialistes chinois, qui furent marquantes – pour beaucoup des participants, elles constituaient même des nouveautés inattendues.

__David Linxin He, maître de conférences à l’Université de Paris I -Sorbonne et polyglotte étonnant, a repris l’étude du miroir provenant d’une tombe princière du 2e siècle et décoré sur son revers par des dessins et par une inscription circulaire – une sorte de mantra  – qui glorifie la « Mère du Fils de l’Homme » ; dans une présentation très rigoureuse, il a partagé les derniers résultats de la compréhension de cette inscription en chinois classique, caractéristique de l’époque, et nécessitant des connaissances approfondies.

__ Avant lui, Shueh-Ying Liao (CNRS), linguiste originaire de Taïwan, présenta La frise de Kong Wang Shan et le dossier du premier christianisme chinois, en particulier à travers une relecture nouvelle et magistrale des archives impériales concernant le Prince Liu Ying, demi-frère du grand empereur de la dynastie des Han orientaux, Mingdi (57-75 ‒ St Thomas arrive en Chine en 64). Ying, pourtant très proche de l’empereur, aurait suscité la méfiance de celui-ci au prétexte de son lien avec des étrangers, dans le cadre d’une volonté centralisatrice du pouvoir et sans doute d’intrigues de palais.

  

Dessin des archéologues chinois de 1981         ‒         Les gravures étaient peintes à l’origine

__ Le prince se sacrifia à la fois pour assurer le passage pacifique et légal du pouvoir entre les mains de Zhangdi (75-88), fils de Mingdi, et pour dédouaner le christianisme de toute critique. Il n’y eut pas de persécution comme telle sous Mingdi, ni sous son successeur Zhangdi. Très probablement, c’est sous ce dernier et sur son ordre qu’on ajouta au-dessus de la frise (datant de peu après 68, quand St Thomas retourna en Inde) une nouvelle gravure, celle de Ying tenant dans sa main une couronne (de martyr ?) ‒ donc au Ciel puisqu’il est au-dessus des autres personnages. On notera encore que Zhangdi fut monogame, ce qui suggère au moins une forte influence chrétienne.

__ Il faudra attendre patiemment la parution des Actes pour avoir accès aux contributions de ce riche et passionnant colloque qui, selon lespoir de beaucoup, permettra enfin aux institutions ecclésiales de prendre en compte lévangélisation du monde du 1er siècle par les apôtres[1].

Edouard M. Gallez

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[1] Une première suite de ce colloque est un article paru sur vaticannews présentant (enfin !) la frise de Kong Wang, avec une photo fournie par nos soins (voir ici). L’article est cependant assez sommaire par rapport à ce qui est déjà sur le web. Et il est inexact d’affirmer que Ying a été assassiné (il s’est suicidé à la manière chinoise), ni que « la majorité des chercheurs chinois pense toujours que cette frise signe l’arrivée du bouddhisme en Chine » : le Parti interdit de mentionner l’origine chrétienne (et parthe) des bas-reliefs et impose de parler d’une sorte de « pré-taoïsme » (plutôt que de « bouddhisme ») ‒ mais les chercheurs ne sont pas dupes.

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