De l'abbé Guillaume de Tanoüarn sur MetaBlog :
Le péché originel
"Le bien est ce que toutes choses désirent" disait de son côté, comme en contre-pied, Aristote : quel optimisme.
Mais il se trouve, pour donner raison à saint Paul, que le mal, c'est de suivre sa pente. Simplement. Et que cette facilité du mal, cette puissance du mal sur nos destinées, on aurait eu du... mal à dire que c'était couru d'avance. Comment un Dieu bon a-t-il pu créer un univers si fragile, si accessible au mal ?
En même temps, il y a en chacun d'entre nous un désir du bien, "la loi écrite sur les tablettes de notre coeur" disait aussi saint Paul (Rom. 2, 15). On ne comprend rien à l'homme si l'on écarte cet attrait gratuit pour le bien, qui est aussi en lui.
En substance, le dilemme apparent entre intention de bien et réalisation du mal n'en est pas un : les deux branches du dilemme sont vrais dans l'homme : il est capable de choisir le bien en allant contre ses propres intérêts, parce que c'est profondément son désir. Il est capable par exemple de souffrir pour celle qu'il a décidé d'aimer. Et en même temps, il peut se rendre coupable, envers elle, de tous les laisser aller, des infidélités les plus crasses : le mal est tellement facile pour lui.
C'est dans ces termes que se pose la question du péché originel, c'est cette contradiction au sein de la nature que ce concept entend décrire. Pascal a très bien dit que c'était la question la plus difficile du monde et en même temps la plus essentielle d'une certaine façon, celle qui porte sur la réalité de notre condition. Voici, sur ce sujet, un fragment célèbre des Pensées : "Le péché originel est folie devant les hommes, mais on le donne pour tel. Vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison ; Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes. Car sans cela que dira-t-on qu'est l'homme ? Tout son état dépend de ce point imperceptible. Et comment s'en fut-il aperçu par sa raison puisque c'est une chose contre sa raison, et que la raison, bien loin de l'inventer par ses voies, s'en détourne quand on la lui présente ?"
Point imperceptible ? dit Pascal, et il me semble en un double sens : le péché originel ne correspond à aucun savoir inné mais à une révélation divine. C'est dans les premiers chapitres de la Genèse (le troisième en particulier) que cette doctrine se découvre, et elle se découvre sous une forme symbolique. Il est clair qu'aucun témoin n'a assisté à cette scène qui est une recomposition imagée de ce que l'on pourrait appeler la scène primitive de l'humanité, celle que nous cache depuis toujours ce que les philosophes nomment le voile d'ignorance. La discussion entre Eve et le serpent est toute symbolique ; comme disait Cajétan au XVIème siècle dans son Commentaire de la Genèse : On n'a jamais vu un serpent parler. Attention : ce n'est pas parce que c'est symbolique que c'est enfantin. Il s'agit de rien moins que de l'origine du mal.
Aussi ce "point imperceptible" dans l'histoire que constitue le péché originel, "tout l'état de l'homme en dépend". Il est facile à chacun d'identifier la difficulté de sa condition, facile de saisir que des contradictions le traversent. La doctrine du péché originelle est l'unique explication que l'on puisse donner à cette contradiction, sans la supprimer, sans rationaliser la contradiction, sans se saisir d'une partie de la vérité parce que l'on a voulu oublier l'autre. Cet oubli volontaire de la contradiction où s'établit la nature humaine peut nous mener loin, jusque dans l'horreur...
On peut admettre par exemple que la nature est bonne et prendre totalement au sérieux la formule de Montaigne : "Nature est pour moi doux guide". A force de suivre ses impulsions, on en augmente la force. Ses désirs ne viennent-ils pas de la nature ? Alors tout est bon. C'est le marquis de Sade qui a poussé le plus loin le mépris pour la petite voix de sa conscience, en adoptant l'attitude perverse d'un désir en liberté comme "venant de la nature" et donc bon par hypothèse. Il est devenu ce grand seigneur méchant homme qui fait penser parfois à un Gilles de Rais (même si l'élite germanopratine trouve toujours très excitantes ses imaginations - voir l'exposition il y a quelques années au Musée d'Orsay).