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Le cardinal Zen et la « diplomatie fluide » du Pape François

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Bergoglio chine images (6).jpgUn analyse sévère d’Andrea Gagliarducci parue ici www.mondayvatican.com/vatican/cardinal-zen-and-pope-francis-fluid-diplomacy le 16 mai 2021 et publiée en traduction sur le site Benoît et moi :

« La nouvelle de l’arrestation du cardinal Joseph Zen le 11 mai est tombée comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Accusé par Pékin de collusion avec des forces étrangères, le cardinal a été arrêté avec trois autres personnes qui géraient un fonds destiné à payer les frais de justice des personnes détenues dans le cadre des manifestations de 2019.

Cette arrestation a immédiatement semblé être une démonstration de force de l’ancien chef de la police John Lee, nommé gouverneur de Hong Kong il y a quelques jours. Mais c’est aussi un signal fort que – après tout – la devise « un État, deux systèmes », que la Chine a dit qu’elle appliquerait lorsque Hong Kong reviendrait sous son contrôle, n’est pas quelque chose qu’ils peuvent tolérer à Pékin et dans ses environs.

Par-dessus tout, cette arrestation semble porter un coup sévère aux négociations en cours en vue d’un éventuel renouvellement de l’accord entre la Chine et le Saint-Siège pour la nomination des évêques. Ou peut-être s’agit-il simplement d’un avertissement : rien ne changera en Chine, pas même l’accord.

Le simple fait que l’on envisage d’arrêter le cardinal Zen en dit long sur la façon dont le Saint-Siège est perçu au pays du dragon rouge. Le cardinal Zen est considéré comme faisant partie de la vieille garde, un opposant qui n’a pas beaucoup d’influence sur Rome et dont l’arrestation ne générerait donc pas de problèmes diplomatiques.

Après l’arrestation, le Saint-Siège a fait savoir qu’il suivait de près l’évolution des événements. Naturellement, comme il n’y a pas de relations diplomatiques, il est difficile de recourir à des réponses diplomatiques. Parfois, cependant, des déclarations d’un type particulier, comme la protestation rendue publique par la Secrétairerie d’État pour l’expulsion du nonce au Nicaragua il y a quelque temps, permettraient au moins d’envoyer un signal fort.

Dans des situations comme celle-ci, la « diplomatie fluide » du pape François montre toutes ses faiblesses. Le pape François se concentre davantage sur les relations personnelles que sur l’activité diplomatique institutionnelle. Pour lui, il est crucial d’ouvrir des processus, même si ceux-ci peuvent être douloureux. L’accord avec la Chine pour la nomination des évêques était l’un de ces processus.

L’accord a été signé en 2018 et confirmé ad experimentum pour deux années supplémentaires en 2020. Les termes de l’accord ne sont pas connus. Cependant, on a émis l’hypothèse que le Saint-Siège s’engage avec le gouvernement à réviser les candidats à l’épiscopat jusqu’à ce que le pape nomme un évêque qui soit également le bienvenu à Pékin. Toutefois, l’autonomie complète du pape dans le choix des évêques serait préservée dans l’accord.

Le cardinal Zen avait été sacrifié sur l’autel même de cet accord. L’évêque émérite de Hong Kong s’est toujours opposé à l’idée d’accords avec la Chine, soulignant les violations constantes de la liberté religieuse par Pékin. En octobre 2020, il s’était même rendu à Rome, cherchant avec persistance à rencontrer le pape François. Le pape ne l’a pas reçu. À la place, il n’a eu qu’une brève rencontre avec le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican.

En octobre 2019, le pape François a envoyé un télégramme à Hong Kong alors qu’il survolait son territoire pour rejoindre le Japon. Il avait minimisé ce télégramme lors du vol de retour, affirmant qu’il s’agissait d’un télégramme de courtoisie envoyé à tous les États. Des propos partiellement trompeurs car Hong Kong n’est pas un État, mais cela avait été apprécié par Pékin, à tel point que le ministre des Affaires étrangères Geng Shuang avait souligné que « la Chine apprécie l’amitié et la gentillesse » du pape.

Et ce n’est pas tout. Le pape François avait survolé la Chine et Taïwan lors de son itinéraire au Japon. La Chine était saluée comme une « nation » dans le télégramme envoyé à Pékin. En même temps, les salutations à Taipei étaient adressées au « peuple de Taïwan », bien que la nonciature à Taipei soit significativement appelée la nonciature en Chine.

En juillet 2020, le pape François avait également décidé d’omettre la mention de Hong Kong à la fin de l’Angélus, à un moment délicat où l’accord était en cours de renouvellement.

Il s’agissait là de signaux clairs envoyés à la Chine, qui les a appréciés. L’accord a été renouvelé tel quel. Mais l’accord n’a pas donné de grands résultats concrets. Outre le fait que tous les évêques de Chine sont désormais considérés comme étant en communion avec le pape, il n’y a eu, au cours des quatre dernières années, que six nominations d’évêques dans le cadre de l’accord, dont deux avaient toutefois déjà été prévues avant l’accord avec la Chine.

Ce n’est pas un hasard si même le cardinal Parolin, secrétaire d’État du Vatican, a fait savoir qu’il « espère » modifier l’accord. Mais le principal obstacle semble être le Pape, qui veut conserver l’accord et qui souhaite que l’accord soit renouvelé tel quel.

C’est la diplomatie fluide du pape François. Lors de la réunion à huis clos avec les nonces en juin 2019 (c’est tous les trois ans, la prochaine aura lieu en septembre de cette année), l’accord a également été discuté, et le pape avait surmonté chaque question critique en disant qu’il voulait « ouvrir les processus » et qu’il « aime la Chine. »

Mais c’est une sorte de diplomatie fluide qui révèle ses limites. Si même un cardinal n’est pas considéré dans sa dignité et formellement défendu par le Saint-Siège, que valent les accords ?

Bien sûr, dans le passé, on a souvent parlé de l’abandon par la diplomatie du Saint-Siège des évêques qui se trouvaient au-delà du rideau de fer, et de là vient toute la critique de l’Ostpolitik du Saint-Siège. Mais un regard plus attentif nous montre que le Saint-Siège a défendu ses évêques, a envoyé des notes sévères et a recherché un dialogue précisément pour sauver les prêtres de la région.

On pourrait dire que rien n’est différent de l’expérience de la Chine d’aujourd’hui. Ce qui est différent, c’est le Pape qui, dans le besoin d’ouvrir des processus à tout prix, laisse de côté tout raisonnement institutionnel et diplomatique.

Cela arrive avec la Chine, et aujourd’hui avec le scénario ukrainien, où l’approche fluide a eu pour résultat de rendre les Ukrainiens malheureux et de ne pas avoir de résultats en termes de dialogue avec la Russie.

Au-delà du désir du Pape de parler avec l’agresseur russe (de la visite de l’ambassade russe au Saint-Siège au début du conflit, à l’intention annoncée de se rendre à Moscou), la situation en Ukraine montre également un Saint-Siège qui semble avoir perdu tout point de référence pour l’Est. Et la Chine, dans ce scénario, se frotte les mains, consciente qu’elle peut tirer profit de la situation.

Le Saint-Siège qui émerge des déclarations du Pape est incroyablement faible. Il est toujours un homme seul aux commandes, mettant toujours sa personne au-dessus de tout. Au final, il ne parvient pas à avoir une approche institutionnelle et diplomatique qui permettrait, sinon de trouver des solutions, du moins d’avoir des analyses qui nous permettraient de regarder vers l’avenir.

Une diplomatie fluide, précisément parce qu’elle est basée sur des sentiments personnels et des relations personnelles. La diplomatie n’est donc pas influente. Le Pape est volontiers mis en avant lorsqu’il parle de fraternité humaine, d’écologie, d’objectifs de développement durable. Cependant, le Pape est laissé de côté lorsqu’il s’agit des questions importantes du monde. L’arrestation du cardinal Zen en est une autre preuve, dans une Chine où l’Église semble être privée de véritables points de référence.

Ref. Le cardinal Zen et la « diplomatie fluide » du Pape François

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