De Cristina Siccardi sur le site de Correspondance Européenne :
Sainte Thérèse, une “petite voie” toujours d’actualité
Cette année marque également les 100 ans de sa béatification (29 avril 1923), qui a précédé de deux ans seulement sa canonisation (17 mai 1925). Le Jubilé des Carmélites consacré à sainte Thérèse a été inauguré le 8 janvier dans la Basilique de Lisieux par l’ouverture de la Porte Sainte par Monseigneur Habert, évêque de Bayeux et Lisieux.
La dévotion à sainte Thérèse, qui s’était déjà manifestée parmi les soldats français pendant la Première Guerre mondiale, s’est considérablement accrue après sa canonisation, et bientôt, avec l’arrivée de grandes foules de pèlerins, il est devenu nécessaire de construire une grande basilique dans la ville où la sainte avait vécu et quitté la terre le 30 septembre 1897. C’est surtout le pape Pie XI, très attaché à la sainte de Lisieux, au point d’en faire l’inspiration centrale de son pontificat, qui a soutenu activement le projet. En 1926, l’architecte parisien Jules Barbier présente sa proposition : un grand bâtiment néo-gothique non loin du couvent des Carmes, inspiré du sanctuaire de Lourdes. L’année suivante, l’architecte lillois Louis-Marie Cordonnier fait une autre proposition, totalement différente, inspirée de la basilique du Sacré-Cœur de Paris, et c’est ce projet qui est approuvé.
Sainte Thérèse est proclamée patronne des missionnaires le 14 décembre 1927. Quinze jours plus tard, Mgr Lemonnier meurt et son successeur, Emmanuel Suhard, craint que le projet soit trop ambitieux par rapport aux ressources disponibles. Cependant, les importantes donations qui parvenaient au Carmel, les offres qui arrivaient du monde entier et le soutien du Pape ont permis de poursuivre le travail. Le chantier est ouvert le 30 septembre 1929 avec la pose de la première pierre par le cardinal Alexis-Armand Charost, archevêque de Rennes et légat du pape. La crypte a été inaugurée le 11 juillet 1937 à l’issue du Congrès eucharistique national tenu par le cardinal Eugenio Pacelli, alors légat papal et futur pape Pie XII. La basilique a été consacrée le 11 juillet 1954 par l’archevêque de Rouen et primat de Normandie, Joseph-Marie-Eugène Martin, en présence de l’archevêque de Paris, Maurice Feltin.
Céline Martin (1869-1959), l’une des quatre sœurs de Sainte Thérèse, entrée au Carmel de Lisieux en 1894 sous le nom de sœur Geneviève de la Sainte Face, a personnellement édité les écrits de sœur Thérèse dans son journal intime – qui deviendra la célèbre Histoire d’une âme, dont la diffusion est aujourd’hui estimée à plus de 500 millions d’exemplaires et traduite dans plus de 50 langues – en 1951, en vue de sa béatification et de sa canonisation. Lors du procès, lorsque le promoteur de la foi a demandé à sœur Céline pourquoi elle voulait la béatification de sœur Teresa, elle a répondu que c’était pour faire connaître la “petite voie”, comme elle appelait son chemin d’ascension vers la Sainte Trinité. Le promoteur a répondu en ces termes : «Si vous parlez de “la manière”, la cause tombera inévitablement, comme cela s’est déjà produit dans plusieurs circonstances similaires». Et elle, avec confiance : «Tant pis, la crainte de perdre la cause de sœur Teresa, ne m’empêchera certainement pas d’insister sur le seul point qui m’intéresse : faire canoniser la “petite voie” d’une certaine manière» (Conseils et Réminiscences, chapitre “Esprit de l’enfance”, Città Nuova, Rome 1973, pp. 47-59).
La cause n’a pas du tout sombré.
Déjà saint Pie X, au cours d’une audience privée accordée à un missionnaire, parlant de Thérèse de Lisieux, dont la renommée commençait à se répandre dans le monde, lui confiait : «Elle est la plus grande sainte des temps modernes». Pie XI a qualifié l’histoire ecclésiale de la jeune carmélite d’«ouragan de gloire». Benoît XV a loué l’«enfance spirituelle» de sainte Thérèse. En un rien de temps, elle est devenue l’enfant la plus aimée du monde, vénérée par d’innombrables fidèles et admirée par les intellectuels, les artistes et les théologiens : de Georges Bernanos à Paul Claudel, de Gilbert Cesbron à Julien Green, de François Charles Mauriac à Emmanuel Mounier, de Jean Guitton à Thomas Merton… Le 19 octobre 1997, à l’occasion du centenaire de son dies natalis, elle a été proclamée docteur de l’Église par Jean-Paul II.
Benoît XVI a déclaré dans sa catéchèse du mercredi 6 avril 2011 : «Dès que je jette un coup d’œil sur le Saint Evangile, je respire immédiatement les parfums de la vie de Jésus et je sais dans quelle direction courir…. Ce n’est pas vers le premier lieu, mais vers le dernier lieu que je cours… Oui je le sens, même si j’avais sur la conscience tous les péchés que l’on peut commettre, j’irais, le cœur brisé par le repentir, me jeter dans les bras de Jésus, parce que je sais combien Il aime le fils prodigue qui revient à Lui. “Confiance et Amour” sont donc le point final de l’histoire de sa vie, deux mots qui, comme des phares, ont éclairé tout son chemin de sainteté, pour pouvoir guider les autres sur la même “petite voie de confiance et d’amour” que son enfance spirituelle. Une confiance comme celle de l’enfant qui s’abandonne entre les mains de Dieu».
Sainte Thérèse de Lisieux commence sa “course de géant” dans la nuit sainte du 25 décembre 1887, alors qu’elle n’a que 14 ans : elle l’appelle sa “conversion” complète, c’est le moment où, par une grâce spéciale, elle retrouve en elle «la force d’esprit perdue à l’âge de quatre ans, son équilibre et la pleine maîtrise de soi». Elle se sentait spirituellement enflammée par un grand feu d’amour pour Dieu, d’amour et de compréhension pour son prochain, de zèle apostolique pour les âmes et leur salut. Inspirée par sainte Jeanne d’Arc, elle se déclare déterminée à «conquérir la forteresse du Carmel par les armes» car il ne serait pas facile d’y entrer en raison de son très jeune âge.
Il y a une prière de Jacques Bénigne Bossuet, évêque et prédicateur du XVIIe siècle, qui convient bien à la spiritualité de la petite voie de sainte Thérèse, mettant en lumière la valeur intemporelle du travail missionnaire évangélique traditionnel : «Grand Dieu!… ne permettez pas que certains esprits, dont les uns se rangent parmi les savants, les autres parmi les spirituels, puissent jamais être accusés à votre redoutable Tribunal, d’avoir contribué en aucune sorte à vous fermer l’entrée de je ne sais combien de cœurs, parce que vous vouliez y entrer d’une façon dont la seule simplicité les choquait et par une porte qui, tout ouverte qu’elle est par les saints depuis les premiers siècles de l’Église, ne leur était peut-être pas assez connue; faites plutôt que, devenant tous aussi petits que des enfants, comme Jésus-Christ l’ordonne, nous puissions entrer une fois par cette petite porte, afin de pouvoir ensuite la montrer aux autres, plus sûrement et plus efficacement. Ainsi soit-il».
C’est le même Bossuet, qui a converti de nombreux protestants, qui a dit à l’article de la mort: «Si je pouvais recommencer à vivre, je ne voudrais être qu’un petit enfant qui donne toujours sa main à l’Enfant Jésus».
Ce n’est certainement pas un hasard si Marie-Françoise Thérèse Martin, âgée de 15 ans, a pris le nom programmatique de sœur Thérèse de l’Enfant Jésus lorsqu’elle a pris l’habit de carmélite en avril 1888 : sa simplicité théologique reflète la suprême humilité du Verbe incarné dans le sein de la Vierge Marie, né dans la grotte de Bethléem, vilipendé au milieu de mille tourments, tué par la crucifixion. Notre époque égarée n’accorde plus aucune valeur et aucun espace à l’humilité. L’orgueil humain est subjugué par lui-même et dans l’exaltation de soi, nous sombrons dans les erreurs personnelles et collectives. Ce n’est que dans l’humilité que nous nous reconnaissons comme de véritables personnes, de véritables créatures, qui n’ont besoin que du Créateur, auquel nous ne pouvons accéder qu’en revenant comme des enfants (Mt 18,3), par la “petite voie” et la porte étroite.