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10 ans après, la renonciation de Benoît XVI suscite toujours le débat

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Du Père Raymond J. de Souza  sur le National Catholic Register :

La démission du pape Benoît : Le débat se poursuit 10 ans après

De nouvelles informations peuvent nous aider à mieux comprendre la décision de Benoît XVI.

27 février 2023

Le 10e anniversaire de l'annonce de l'abdication du pape Benoît XVI - le 11 février 2013 - est passé sans trop de commentaires, étant donné l'attention portée un mois plus tôt à sa mort. Mais l'anniversaire de l'abdication elle-même, le 28 février, offre l'occasion de revenir sur cette décision à la lumière de nouvelles informations.

À l'occasion du cinquième anniversaire en 2018, j'ai écrit, étant donné que personne n'avait jamais démissionné de la papauté dans des circonstances sereines, que la position par défaut devait être que Benoît avait tort de le faire, et que la charge de l'argumentation reposait sur ceux qui considéraient que c'était la bonne chose à faire.

Benoît lui-même a clairement défendu la validité de son abdication, mais de manière peu convaincante la justesse de sa décision. J'ai présenté cet argument ici.

Depuis le cinquième anniversaire, de nouvelles informations peuvent nous aider à mieux comprendre la décision de Benoît XVI.

Le pape François n'est pas d'accord

Du vivant de Benoît XVI, le pape François a toujours parlé favorablement de la décision. Mais peu après sa mort, il a déclaré que le ministère papal était "pour la vie" et qu'il ne voyait "aucune raison" qu'il en soit autrement :

"Benoît a eu le courage de le faire parce qu'il ne se sentait pas capable de continuer à cause de sa santé. Moi, pour le moment, je n'ai pas cela à l'ordre du jour. Je crois que le ministère du pape est ad vitam. Je ne vois aucune raison pour qu'il en soit autrement. Pensez que le ministère des grands patriarches est toujours ad vitam ! Et la tradition historique est importante".

Comment concilier cette réponse récente avec les déclarations antérieures du Saint-Père - nombreuses - faisant l'éloge de cette décision ? Il semble que François estime que Benoît XVI a été sincère, humble et courageux en prenant cette décision, mais que celle-ci était erronée sur le fond. Par élégance, il a choisi de mettre l'accent sur le premier point du vivant de Benoît XVI et sur le second après sa mort.

Les deux papes se sont rencontrés souvent et ont beaucoup discuté. D'après les commentaires publics du pape François, il est raisonnable de supposer qu'ils ont discuté de la question de savoir si l'abdication de Benoît XVI a créé une nouvelle réalité dans l'Église, comme l'a fait l'âge de la retraite des évêques il y a un demi-siècle. François semblait ouvert à cette possibilité. Mais il semble que, finalement, il n'en soit pas convaincu.

Une mort imminente ?

En 2021, le secrétaire privé de Benoît XVI, l'archevêque Georg Gänswein, a déclaré que le Saint-Père ne s'attendait à vivre que quelques mois après son abdication.

"Lorsqu'il a démissionné au printemps 2013, il lui semblait et il me semblait - je peux l'avouer ici - qu'il ne lui restait que quelques mois à vivre, mais pas huit ans", a déclaré Mgr Gänswein lors d'une conférence en Autriche.

Si cela est vrai, l'abdication semblerait faire preuve d'indulgence. Pourquoi créer une rupture avec la tradition ininterrompue uniquement pour quelques mois de soulagement de la fonction papale ? Par le passé, l'Église s'est accommodée de papes diminués pendant bien plus longtemps que quelques mois.

En fait, le pape Benoît a vécu plus longtemps à la retraite qu'il n'a exercé sa fonction. S'il a regretté sa décision, compte tenu de sa longévité inattendue, il ne l'a jamais fait savoir publiquement.

Dans un livre d'entretien après son abdication, Benoît XVI a expliqué qu'après sa visite à Cuba et au Mexique en 2012, il s'est rendu compte qu'il ne pourrait pas faire un autre voyage transocéanique. Son médecin le lui avait déconseillé pour des raisons de décalage horaire.

Étant donné que les voyages papaux ne sont pas obligatoires, et que le décalage horaire peut être traité par des mesures moins drastiques que la démission, l'explication de Benoît XVI est restée insuffisante.

De nouvelles informations sont apparues récemment, qui permettent d'expliquer que le problème du décalage horaire était plus important que ce que l'on savait auparavant.

Fin janvier 2023, Peter Seewald, l'interlocuteur et biographe de longue date de Benoît XVI, a révélé que, dans une lettre datant d'octobre 2022, le défunt Saint-Père lui avait dit que la "raison centrale" de son abdication était une insomnie chronique, pour laquelle il prenait des somnifères depuis 2005.

Benoît XVI a fait une chute lors d'un voyage en mars 2012, à la suite de laquelle il s'est réveillé pour se découvrir en train de saigner de la tête. Il semble que Benoît ait pu s'endormir au moment de sa chute, ou du moins ne pas être pleinement conscient.

La révélation de Seewald peut expliquer pourquoi Benoît XVI a tant insisté sur les voyages internationaux dans son explication de sa démission. Une personne souffrant d'insomnie chronique serait d'autant plus dépendante de somnifères puissants lors d'un long voyage avec un grand décalage horaire. Si ce médicament est considéré comme ayant contribué à sa chute, il rendrait de tels voyages déconseillés. Et si ces voyages étaient considérés comme essentiels pour la papauté, la perspective d'une démission se pose.

Avant la révélation de l'insomnie de Seewald, l'explication des voyages de Benoît XVI semblait disproportionnée. L'insomnie expliquerait également l'épuisement croissant, au point que la poursuite de la fonction semblerait décourageante. D'un autre côté, Benoît XVI fonctionnait suffisamment bien pour achever une encyclique magistrale sur la foi avant de quitter ses fonctions (le pape François l'a publiée en juillet 2013).

Ainsi, à l'occasion du 10e anniversaire du dramatique trajet en hélicoptère du Vatican à Castel Gandolfo, nous en savons plus sur l'abdication qu'en 2013, mais les arguments en faveur de la justesse de la décision restent à démontrer. Comme le pape François, nombreux sont ceux qui ne sont pas entièrement convaincus.

Le père Raymond J. de Souza est le rédacteur en chef fondateur de la revue Convivium.

De son côté, le cardinal Müller ne mâche pas ses mots lorsqu'il aborde ces évènements (source : Il Fatto Quotidiano) :

"... Nous pouvons analyser, dit le cardinal, ce qui s'est passé. Bien que la renonciation ait été formulée correctement d'un point de vue canonique, les dilemmes identitaires que la présence du pape émérite a introduits sont apparus au fil du temps. Il est difficile d'ignorer les nombreuses personnes dans le monde qui s'identifient davantage à Benoît XVI, à sa théologie et à sa papauté - même s'il a démissionné et ne gouverne plus - qu'à François, un Pontife sans doute très différent par son style et sa personnalité. Et c'est précisément ce dualisme non codifié qui a alimenté la désorientation. La démission a introduit dans le principe pétrinien de l'unité de la foi et de la communion de l'Église une brèche sans précédent dans l'histoire et qui n'a pas encore été élaborée dogmatiquement. Les normes du droit canonique ne sont pas suffisantes. La coexistence concrète est difficile à gérer pour plusieurs raisons. La question devra sans doute être abordée tôt ou tard, car la brèche ouverte pourrait générer des conséquences imprévisibles à l'avenir".

"Demandons-nous, ajoute le cardinal, ce qui pourrait se passer s'il y avait davantage de papes émérites, étant donné que nous approchons d'une époque où la longévité moyenne est de plus en plus longue". Le Code de droit canonique envisage la possibilité de renoncer librement, sans aucune sorte de contrainte. Renoncer signifie-t-il pour autant prendre sa retraite ? Dans ce cas, le risque pour l'Eglise n'est-il pas de transformer la figure du Pape, de l'assimiler, voire de le réduire, à un fonctionnaire ? Saint Pierre n'aurait jamais imaginé, même de loin, qu'il prendrait sa retraite. Pierre et Paul sont morts martyrs. Le Code ne parle donc de renoncement qu'en cas de situations extrêmes.

Nous pouvons supposer des maladies graves ou dégénératives. Nous savons que Pie XII avait prévu sa démission et avait déjà signé une lettre s'il était capturé par Hitler pendant la guerre. Mais la papauté, en elle-même, est un témoignage jusqu'au-boutiste de la souffrance personnelle, à l'exemple du Christ qui a souffert sur la croix en contemplant la grâce divine. La figure du successeur des apôtres peut aussi être associée à un vieil homme frêle, peut-être en fauteuil roulant, sur un tapis roulant, comme Jean-Paul II. Le Pape", conclut Müller, "ne peut pas être enfermé uniquement dans le cliché du Pontife surhomme : resplendissant, vigoureux et en perpétuel mouvement. Comme tous les hommes, avec la vieillesse, il rencontre des incertitudes physiques, parfois des pathologies invalidantes. Le Pontife doit aussi être un exemple extérieur à offrir au monde".

Les paroles du cardinal rappellent celles prononcées par le cardinal Stanislaw Dziwisz, archevêque émérite de Cracovie et ancien secrétaire particulier de Wojtyla pendant 40 ans, au moment de la démission de Benoît XVI : "On ne descend pas de la croix". Il ne fait aucun doute, comme l'a souligné à juste titre Mgr Müller, que la souffrance peut faire partie de l'histoire d'un pontificat. On l'a bien vu avec saint Jean-Paul II qui, dans la dernière partie de son règne de 27 ans, a continué à enseigner, mais cette fois depuis la chaire de la souffrance. On a même dit que le pape polonais a écrit une véritable encyclique avec ses souffrances : de la tentative d'assassinat aux mains d'Ali Agca le 13 mai 1981 sur la place Saint-Pierre à la maladie de Parkinson qui a marqué les dernières années de son pontificat.

L'Église catholique n'est pas encore prête pour une papauté limitée dans le temps et donc pour des papes émérites. On l'a vu clairement avec l'affrontement entre bergogliens et ratzingeriens après la mort de Benoît XVI. Les contradictions non résolues nées de la démission de Ratzinger et de presque dix ans de cohabitation avec son successeur ont toutes déflagré soudainement et avec une extrême véhémence au moment de la mort du premier pape émérite du troisième millénaire. Une mort qui, comme l'a souligné François, "a été instrumentalisée par des personnes qui veulent apporter de l'eau à leur propre moulin. Et des gens qui, d'une manière ou d'une autre, instrumentalisent une personne si bonne, si de Dieu, presque je dirais un saint père de l'Église. Ces gens-là n'ont aucune éthique et sont des gens de parti, pas des gens d'Église". Un signe éloquent que le débat sur la figure du pape émérite est toujours ouvert.

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