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Le culte du Sacré Coeur

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Historique sur le culte du Sacré Cœur

Il n’est plus étrange aujourd’hui que d’affligeants démagogues entretiennent chez les fidèles l’illusion que la dévotion au Sacré Cœur n’est pas plus ancienne que le XVII° siècle. Il faut être bien ignorant de la réalité pour le croire ou essayer de le faire croire, puisque les origines de cette dévotion qui a pris de nos jours un si vaste et si heureux développement, remontent haut dans l'histoire de la piété chrétienne. « Le culte du Cœur de Jésus, écrivait au siècle dernier le cardinal Pie, c'est la quintessence du christianisme, c'est l'abrégé et le sommaire substantiel de toute la religion.[1]  » Néanmoins, il ne faudrait pas non plus exagérer démesurément l’histoire de cette dévotion, en lui assignant une origine trop ancienne. Certes, si dès sa naissance, l'Eglise offrit à Dieu un culte d'amour, multipliant les hommages envers l'immense charité du Christ pour nous, cela ne suffit point pour dire que les premiers chrétiens ont honoré le Sacré Cœur, ni même qu'ils ont rendu un culte spécial à l’amour de Jésus. Ce n’est que l'un après l’autre, et même assez lentement, que les éléments de cette dévotion furent mis en lumière.

Dans l'Ancien Testament, le cœur désigne la source même de la personnalité de l'homme, qui lui permet de choisir librement et intelligemment. C'est dans le cœur que l'homme rencontre Dieu.

Quand l'Ancien Testament parle du cœur de Dieu (une dizaine de fois) il semble désigner son attachement et le don profond de lui-même qu’il fait à l'homme. Lorsque le Seigneur vit «  que la malice de l'homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que pensées mauvaises à longueur de journée…il s'affligea dans son cœur [2] » ; mais, après le déluge, lorsqu'il agréa les sacrifices de Noé comme « le parfum apaisant »c'est « en son cœur » qu'il fait serment de ne plus frapper la terre et de sauver définitivement la création[3].

David reçut comme un don de l'amour du Seigneur sa connaissance des choses divines : « A cause de ta Parole et selon ton cœur, tu as fait toute cette grande chose que d'instruire ton serviteur[4] . » Après que Salomon en eut achevé la construction, Yahvé consacra le Temple, promettant sa protection au peuple qui observera ses commandements ; Dieu y accueillera les prières et les sacrifices, ses « yeux et son cœur y seront tous les jours[5]. »

Job dit que le Seigneur est « sage de cœur et robuste de force.[6]  » Au prophète Jérémie, Dieu révèle son cœur comme l'expression de ce qu'il est, don d'amour : « J'ai livré ce que mon cœur a de plus cher [7] » ; « Même si Moïse et Samuel se tenaient devant moi, mon cœur ne reviendrait pas vers ce peuple.[8]  » « Mais lorsque Dieu entend les désolations d'Ephraïm : voilà pourquoi mon cœur frémit pour lui.[9]  » Enfin, lors de l'annonce de l'Alliance, Dieu dit : « Je mettrai ma joie à leur faire du bien, je les planterai solidement dans ce pays, de tout mon Cœur et de toute mon âme.[10]  » On entend le même cri de Yahvé chez le prophète Osée : « Mon cœur bouleversé en moi, toutes mes compassions s'émeuvent.[11] »

Jésus, Verbe et Fils de Dieu, qui s'incarna « pour nous les hommes et pour notre salut » est la plus haute expression de l'Amour et du Don de Dieu. En son cœur, le cœur de Dieu rencontre pleinement et efficacement le cœur de l'homme. Par la communion, Jésus nous agrège à son cœur pour nous faire entrer au cœur de la Trinité : « Moi en eux et toi en moi, pour qu'ils soient parfaitement un [12] », et plus loin : « que l'amour dont tu m'a aimé soit en eux et moi en eux.[13] »

L'amour divin se concrétise sur la Croix : « il n'y a pas de plus grand amour que donner sa vie pour ceux que l'on aime.[14]  » A la Croix, « tout est consommé[15]  », le ciel est rapproché de la terre, les cieux se sont ouverts comme le rideau du Temple s'est déchiré[16]  ; la terre connaît les douleurs de l'enfantement de la création nouvelle, du salut qui donne à l'homme un cœur nouveau, une vie nouvelle, la vie de Dieu : « et la terre fut secouée, et les rochers se fendirent, et les tombeaux s'ouvrirent, et les corps de nombreux saints qui dormaient se relevèrent...[17]  » Par le sacrifice du Christ sur la Croix, nous recevons en nous la Vie Eternelle. La mort du Christ en Croix nous donne la grâce sanctifiante qui est la vie même de Dieu : « mais l'un des soldats, de sa lance, lui piqua le côté, et il sortit aussitôt du sang et de l'eau.[18]  » Dans cette effusion, l'Eglise voit la source des sacrements comme en témoigne la Préface d'aujourd'hui : « et de son côté transpercé, laissant jaillir le sang et l'eau, il fit naître les sacrements de l'Église, pour que tous les hommes... viennent puiser... aux sources vives du salut. »

Rien, dans les écrits des Pères de l'Eglise, ne témoigne clairement d'un culte au Cœur de Jésus considéré comme symbole de son amour ; cependant si le culte proprement dit n'y est pas, il est facile d'y trouver l'esprit, et parfois même des formules capables de le traduire exactement. Il ne manque pas de textes patristiques pour célébrer la plaie du côté de Jésus, avec le symbolisme du sang et de l’eau qui en jaillirent. C’est ordinairement en commentant quelques textes des saintes Ecritures[19] que les Pères se sont le plus rapprochés de l'idée actuelle de la dévotion au Sacré Cœur de Jésus.

Ainsi, dans son commentaire du Cantique des cantiques et de l'Evangile de saint Jean, Origène a parlé avec beaucoup de piété du Cœur de Jésus comme dépositaire des secrets divins, des mystères de science et de sagesse qui sont révélés aux privilégiés. Pensée que l’on retrouve plusieurs fois dans les écrits de saint Augustin qui, peut-être plus que n'importe quel autre Père, est pénétré de l'esprit de cette devotion, sans l'avoir toutefois jamais exactement exprimée : « Contemplez les blessures du Christ pendu en croix, le sang qu'il verse en mourant, le prix dont il vous rachète... I1 a la tête inclinée pour vous donner un baiser, le cœur ouvert pour vous chérir, les bras étendus pour vous embrasser, tout le corps exposé comme prix de votre rachat. Songez à la grandeur de ces mystères ; pesez-les dans la balance de votre cœur, et que soit tout entier gravé dans votre cœur Celui qui tout entier fut pour vous cloué sur la croix.[20]  » Ailleurs, saint Augustin écrit : « Le don principa1 et personnel que Jean l'Evangéliste reçut du Seigneur fut de reposer, à la Cène, sur la poitrine du Maître, pour signifler par là qu'il buvait les secrets les plus haut dans l’intime de son Cœur.[21] »

On pourrait encore citer d’autres Pères (en particulier de saint Jean Chrysostome, de saint Ambroise, de saint Grégoire le Grand ou de saint Bède le Vénérable) qui ouvrent la voie, préparent et conduisent à la vénération du Sacré Cœur comme symbole d'amour, dont les premières traces remontent au XI° siècle où, par delà la plaie du côté, apparaissent les premières références au cœur de chair du Seigneur. Le premier texte clair semble être de saint Anselme, archevêque de Cantorbéry (1033-1109) : « Jésus est doux... dans l'ouverture de son côté ; car cette ouverture nous a révélé les richesses de sa bonté, la charité de son cœur.[22]  » Dans la continuité des Pères qui ont célébré la blessure du côté, puis la blessure du Cœur de Jésus, saint Bernard (1091-1153) exprime nettement la référence au cœur de chair : « Le fer a transpercé son âme, il a eu accès à son cœur, pour qu'il sache désormais compatir à me infirmités. Le secret du cœur est découvert par les trous du corps ; découvert ce grand sacrement de bonté, les entrailles miséricordieuses de notre Dieu.[23]  » Guillaume de Saint-Thierry (mort vers 1150) sera plus précis : « Les ineffables richesses de votre gloire, Seigneur, étaient cachées dans le ciel de votre être mystérieux, jusqu'à ce que la 1ance du soldat ayant ouvert le côté de votre Fils, notre Seigneur et Redempteur, sur la croix, il s'en écoula les sacrements de notre rédemption, de façon que nous ne mettions pas seulement dans son côté notre doigt ou notre main, comme Thomas, mais que par la porte ouverte nous entrions tout entiers, ô Jésus, dans votre Cœur, siege assuré de la misericorde, jusqu'à votre âme sainte, pleine de toute la plénitude de Dieu. pleine de grâce et de vérité, pleine de notre salut et de notre consolation... Ouvrez votre côté à ceux qui désirent connaître les secrets du Fils.[24]  » Richard de Saint-Victor (mort en 1173) sera encore plus explicite : « Plus que tout autre Emmanuel a eu un cœur de chair pour compatir, parce que pour tout ce qui est bonté affectueuse, il n'y eut jamais rien de plus tendre. » Le Cœur de Jésus est dès lors regardé comme le symbole de l'Amour de Dieu d’où jaillirent le sang et l'eau qui nous donnent la Vie Eternelle.

Au XIII° siècle, l'un des centres de la dévotion fut le monastère d'Helfta où vécurent sainte Mechtilde (1210-1282) et sainte Gertrude (1252-1302) qui, mieux que personne, célébrèrent avec un joyeux enthousiasme le mystère d'amour et de miséricorde renfermé dans le divin Cœur. Dans des apparitions, Notre-Seigneur révéla lui-même les secrets de son cœur, et elles eurent pour mission de « révéler le rôle et l'action du Cœur Divin dans l'économie de la gloire divine et de la sanctification des âmes. »

Simultanément, les Fransciscains participèrent à ce grand mouvement surnaturel qu’ils favorisèrent à la manière ardente de leur Père, saint François d'Assise, que Notre-Seigneur devait plus tard appeler, dans une vison à sainte Marguerite-Marie, « l'un des plus grands favoris de son Sacré Cœur. » Les Fransciscains aimaient à chanter des strophes toutes brûlantes :

« Regarde un peu et vois
En quel étal m’a mis l'amour.
Il est transpercé, mon Cœur,
Avec une lance.
Mon Cœur désire ton cœur,
Tu me fais languir d’amour,
Hâte-toi vers mois, viens,
Donne-moi ton cœur
. »

Parmi tous les Franciscains se distingue saint Bonaventure[25], un des premiers définiteurs de la dévotion au Sacré Cœur[26]  : « Va donc, va de cœur à Jésus blessé, à Jésus couronné d'épines, à Jésus pendu en croix ; et avec le bienheureux apôtre Thomas ne regarde pas seulement les traces des clous, ne mets pas seulement la main dans son côté, mais entre toute entière par la porte de son côté, jusqu'au cœur même de Jésus, toute transformée en Jésus Christ par l'ardent amour du crucifié.[27]  ». Saint Bonaventure a écrit sur la blessure du côté, la blessure d'amour, des pages admirables dont plusieurs sont insérées dans la liturgie : « Approchons-nous du Cœur du très doux Seigneur Jésus, et nous exulterons, nous nous réjouirons en lui. Oh ! qu'il est bon et doux d'habiter en ce Cœur ! C'est le trésor caché, la perle précieuse que nous trouvons, ô Jésus, en creusant le champ de votre corps. Qui donc rejetterait cette perle ? Bien au contraire, pour elle je donnerai tous mes biens ; je laisserai en échange toutes mes préoccupations toutes mes affections ; tous mes soucis, je les abandonnerai dans le Cœur de Jésus : il me suffira et pourvoira sans faute à ma subsistance. C'est dans ce temple, ce Saint des saints, cette arche d'alliance, que je viendrai adorer et louer le nom du Seigneur. J'ai trouvé mon cœur, disait David, pour prier mon Dieu. Et moi aussi j'ai trouvé le Cœur de mon Seigneur et Roi, de mon frère et ami. Ne prierai-je donc pas ? Oui, je prierai, car je le dis hardiment, son cœur est à moi... O Jésus, daignez accepter et exaucer ma prière.Entraînez-moi tout entier en votre Cœur. Bien que la déformation de mes péchés m'empêche d'y entrer, cependant, puisque, par un incompréhensible amour ce Cœur s'est dilaté et élargi, vous pouvez me recevoir et me purifer de mon impureté. O Jésus très pur, lavez-moi de mes iniquités afin que, purifié par vous, je puisse habiter en votre Cœur tous les jours de ma vie, pour voir et faire votre volonté. Si votre côté a été percé, c'est pour que l'entrée nous fût grande ouverte Si votre Cœur a été blessé c'est pour que, à l'abri des agitations extérieures, nous puissions habiter en lui. Et c'est aussi pour que, dans la blessure visible nous voyions l'invisible blessure de l'amour.[28]  »

L'Ordre de saint Dominique fut un autre centre d'influence, trés puissant, en faveur du culte du Sacré Cœur qui s'épanouit en son sein à partir de la sainte Humanité de Jésus, caractéristique de la piété dominicaine. Les Dominicains ont toujours fait montre d’un ardent amour envers la Passion et l'Eucharistie, or comme les affinités sont étroites entre la Passion, l'Eucharistie et le Sacré Cœur, ceux qui rendaient un culte si vivant à la Passion et à l'Eucharistie, l'étendirent naturellement au Cœur de Jésus[29]. Dès le XIII° siecle, l'Ordre dominicain introduit dans sa liturgie une fête spéciale de la « Plaie du côté de Jésus » le vendredi après l'octave du Saint-Sacrement. En 1247, le pape Innocent IV, voulant donner un blason aux missionnaires Dominicains de la célébre Congrégation des Frères Pérégrinants pour le Christ, fit graver un Christ debout et depouillé, répandant son précieux Sang par la plaie du côté.

Aussi n'est-il point surprenant de trouver un peu partout, dans les œuvres des mystiques dominicains des pages ravissantes sur le Cœur de Jésus. Jean Tauler (1300-1350) prête ces paroles à Jésus : « La très ardente soif que j'avais du salut des hommes produisait comme un flux et une éruption de mon sang bouillonnant d’amour. Ma mort fut très cruelle : c’eût été toutefois un supplice bien plus cruel à mon Cœur s'il était resté dans mon Cœur une seule gouttelette de sang et d'eau que je n'eusse versée de ce Cœur tout enflammé d'amour pour le salut des hommes. De même que le sceau imprime sa forme sur la cire, ainsi la force de, l’amour dont j'aime l'homme a imprimé en moi, dans mes mains et mes pieds, dans mon Cœur même l'image de l'homme, si bien que je ne peux jamais l'oublier.[30] »

Le bienheureux Suso (1347-1380), celui-là même qui avait gravé en traits sanglants sur son cœur le nom de Jésus, nous rapporte ce dialogue du Seigneur et de l'âme : « le Seigneur : Il faut que tu entres par mon côté ouvert dans mon Cœur blessé d'amour, que tu y cherches une habitation, que tu y demeures. Je te purifierai alors dans l'eau vive et je te colorerai en rouge avec mon sang ; je m'attacherai et m'unirai à toi éternellement. Le fidèle : Seigneur, aucun aimant n'attire le fer avec autant de force que l'exemple de vos aimables souffrances attire les cœurs pour les unir au vôtre.[31] »

Peu d'années après, sainte Catherine de Sienne (1347-1380), se faisait, avec son ardeur coutumière, l’apôtre de cette dévotion. Plusieurs fois le Sauveur lui apparut pour lui montrer la blessure de son Cœur et lui en expliquer le symbolisme. Un jour, elle demanda : « Doux Agneau sans tache, vous étiez mort lorsque votre côté fut ouvert : pourquoi donc avez-vous voulu qu'il fût blessé et ouvert, votre Cœur ? » Le Seigneur lui résuma l'idée essentielle de la dévotion : « Il y avait de nombreux motifs. Je te dirai l’un des principaux. Mon amour de la race humaine était infini, et, par contre, l'acte présent de la souffrance et des tourments était fini : je ne pouvais donc, par cette souffrance finie, vous manifester jusqu'où je vous aimais, puisque mon amour était infini. Voilà pourquoi j'ai voulu vous manifester le secret du Cœur en vous le montrant ouvert. J'ai voulu vous dire qu'il vous airnait bien plus encore qu'il n’avait pu le prouver par une souffrance finie.[32]  » Elle qui avait pénétré cette doctrine profonde, ne cessa de la prêcher à ses disciples, en termes étranges parfois, toujours animés d'une rare flamme : « Je veux que vous vous cachiez dans le côté ouvert du Fils de Dieu, côté qui est une boutique ouverte, pleine da parfums, tellement que le péché lui-mème s'y pafume. Là, l'épouse aimante se repose sur un lit de feu et de sang. Là, se manifeste pleinement le secret du Cœur du Fils de Dieu. O tonneau percé qui abreuves et enivres tous les désirs de l'amour. Tu distribues la joie. Tu illumines toute inteliligence et tu remplis toute mémoire qui y aspire, tellement qu'elles n'ont plus de goût pour rien retenir, ni fixer, ni aimer hors ce doux et bon Jésus ! O Sang et Feu, inestimable Amour ! [33] »

Chacune des familles religieuse favorisa la dévotion au Cœur de Jésus qui, dès le XIV° siècle entra dans le domaine public, en possession de ses éléments essentiels. Cette dévotion était chez les Chartreux, avec Ludolphe de Saxe (1295-1378), Dominique de Trèves (1384-1461) ou Jacques de Clusa (1386-1466), chez les Augustins, avec le bienheureux Simon Fidati de Cascia (1290-1348). Elle était en Angleterre, avec la bienheureuse Julienne de Norwich (1342-1416), et en Italie, avec sainte Françoise Romaine (1384-1440).

Aux origines, les mystiques ne s'étaient guère préoccupés d'instituer des exercices propres en l'honneur du Cœur divin, encore que l’on trouve des pratiques bien déterminées chez les saintes Melchtilde et Gertrude, comme chez saint Bonaventure. Peu à peu, ces pratiques se multiplièrent, des exercices se fixèrent, et l'on vit la dévotion prendre une forme plus objective, s’organiser et se faire indépendante, avec ses pratiques propres, déjà répandues dans la seconde moitié du XlV° siècle, comme en témoigne un traité attribué à Tauler[33] , qui se termine par « un exercice divinement révélé et contenant en raccourci toute la perfection de la sainteté » : « Paré d'amour, tout plein de charité, recueillez au dedans de vous toutes vos facultés : alors approchez du Cœur de Jésus, trésor immense, fontaine inépuisable de charité et de bonté, et entrez dans ce Cœur en pratiquant ces quatre exercices. Premièrement, offrez-vous au Seigneur dans la simplicité de votre cœur, pour le temps et pour l’éternité, vous déclarant prêt à la prospérité et à l’adversité, à la vie et à la mort, animé de l'unique désir de faire sa volonté, et renonçant à votre volonté propre. Offrez-vous qu'il vous possède comme il lui plaît.

Deuxièmement, vous exigerez du Seigneur, avec une sainte liberté, toutes les grâces et vertus, tout ce qui peut servir à votre salut ou celui du prochain, tout ce qui est utile aux vivants et aux âmes du purgatoire, même des choses temporelles. Exigez plus encore une courageuse persevérance, et par-dessus tout demandez votre Bien-Aimé lui-même, Dieu, dans la nudité de l'esprit . » Suit l'exercice de conformité au Christ dans ses souffrances et ses humiliations. « Troisièmement : puisque votre Dieu est l'éternelle charité qui, de toute éternité, vous a porté en lui-même, vous vous conformerez à lui en désirant vivre, autant que cela lui plaira, dans le même délaissement, la même souffrance et ignominie, la même misère que le Christ a vecu ; vous vous transformerez en l'amour, puisque lui-même est l'éternel Amour, af!n que vous puissiez parvenir à lui et que, paré de la même charité que le Christ, vous lui soyez semblable. Quatrièmement :excitez en vous le désir puissant de lui être uni sans intermédiaire, d'une union très étroite et très heureuse. Ainsi uni à lui, vous arriverez à la divinité même. Par l’abandon de tout le crée et par l'abandon de vous-même, vous vous plongerez si profondément en votre Dieu très doux que les créatures ne pourront plus vous trouver. Et là vous désirerez être absorbé en lui et à votre tour l'absorber lui-même puisqu'il n'est qu'un océan de bonté et d'amour... Croyez-le, si la divinité vous absorbe ainsi, pendant que vous demeurerez dans le Cœur de Jésus, vous aurez la félicité. »

Au milieu du XV° siècle, une dominicaine alsacienne, Claire d'Ostren (morte en 1447), écrit : « Chaque jour, je m'enferme en un triple château. Le premier est le Cœur tout pur et virginal de la noble Vierge Marie, contre toutes les attaques de l’esprit malin. Le second est le Cœur tout bon de notre aimable Seigneur Jésus, contre toutes les attaques de la chair. Le troisième est le Saint-Sépulcre, où je me cache auprès du Seigneur contre le monde et toutes les créatures nuisibles. »

Les Chartreux prirent une part très importante à ce mouvement de la dévotion par leurs livres imprimés et leur ornementation architecturale. La Chartreuse de Cologne se distingua entre toutes, en publiant (1541) un recueil de prières et de pieuses pratiques (« Hortulus devotionis »). Un chartreux de Cologne, Lansperge (1489-1539), fut un grand propagateur du culte : « Appliquez-vous à honorer le Cœur du très tendre Jésus-Christ, toutdébordant d'amour et de miséricorde. Ayez la dévotion de le saluer souvent. Baisez-le, entrez-y en esprit. Par lui faites vos demandes et offrez vos exercices. Il est le trésor de toutes les grâces, la porte par où nous allons à Dieu et Dieu vient à nous. Ayez donc une image du Cœur divin ou des cinq plaies, ou de Jésus sanglant et tout blessé ; mettez-la en quelque lieu où vous passez souvent, pour qu'elle vous rappelle votre pratique et votre exercice d'amour envers Dieu.[35] »

Dans un autre milieu, bénédictin Louis de Blois (1506-1566), abbé de Liessies, contribua grandement à repandre en l'honneur du Cœur divin des pratiques que nous avons presque toutes conservées, jusque dans leur formule : « L’ascète confiera ses œuvres et ses exercices pour qu'il les corrige et les rende parfaits, au Cœur très pieux et suave comme le miel du Seigneur Jésus, à ce Cœur inséparablement uni à l’intime de la divinité et source de tout bien ; et il les offrira à la gloire éternelle de Dieu de cette manière, ou semblablement : Bon Jésus, cette œuvre, ces exercices que j'accomplis, je les confie à votre divin Cœur pour qu'il les corrige et les rende parfaits. Je vous les offre pour votre gloire éternelle et le salut de toute votre Eglise, en union de ce très doux amour qui vous a porté, vous notre Dieu, à vous incarner et à mourir pour nous. Ou encore : En union de vos œuvres et de vos exercices très parfaits L’ascète pourra aussi, en ces termes ou en d'autres équivalents, prier le Christ de suppléer à ses imperfections : Bon Jésus, trop imparfaits sont mon service, ma louange, mon désir et mon amour pour vous ; je suis encore trop loin de la vraie abnégation de moi-même et de la mortification, de la véritable humilité, douceur, patience, charité, pureté ; je vous demande donc de daigner suppléer à ce qui me manque, en offrant à votre Père votre Cœur divin. Ou il dira : Je remets à

votre divin Cœur, pour les corriger et les rendre parfaits, la tâche de louange que j'ai accomplie en votre honneur, et mon service tiède et distrait. Je vous les offre pour la gloire de votre nom et le salut de toute votre Eglise, en union de cet amour avec lequel vous avez ici-bas prié et loué votre Père. Je vous supplie de vous louer parfaitement en moi.[36]  »

Les écrits à propos du Cœur de Jésus se multiplièrent, et au XVI° siècle, sa dévotion avait accompli la définitive conquête des milieux pieux, bien au-delà des monastéres où elle avait été cultivée jusqu'alors.

En Espagne, un prêtre ami de sainte Thérése d’Avila, Jean-Baptiste Anyès, publia un « Petit Office du Sacré Cœur » (1545) ; le bienheureux Jean d'Avila (1499-1569) apprit aux fidèles à entrer « dans le Saint des saints... le Cœur de Jésus, qui n'est pas seulement saint, mais la sainteté même[37]  » ; le vénérable Louis de Grenade (1504-1588) et sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) mirent au service de la dévotion au Cœur de Jésus leur immense autorité, de même que que le bienheureux Balthasar Alvarez (1534-1580) saint Alphonse Rodriguez (1531-1617), le Trinitaire saint Michel des Saints (1591-1625), Marine d'Escobar (1554-1633), Marie d’Agréda (1602-1665). Parmi les propagateurs de la dévotion au Cœur de Jésus, on peut nommer, en Italie, sainte Catherine de Ricci (1522-1589) ou sainte Marie-Madeleine de Pazzi (1566-1607) ; on vit, en Belgique, Nicolas de Montmorency (1556-1617), homme d'Etat qui employa ses loisirs à écrire un très pieux « Diurnate pietatis », dom Benoît Haeften, abbé d’Afflighem (1588-1648), et Jacques Marchant qui écrivit un « Hortus Pastorum » (1648).

Pendant ce temps, en France, nous rencontrons partout la dévotion au Cœur de Jésus se répandait dans le monde et même à la cour, comme dans les cloitres. Elle s’alliait aux tendances des spiritualités les plus diverses, singulièrement à celle de l’Ecole française[38] et à celle des Jésuites ; la quasi-totalité des familles religieuses anciennes et nouvelles se joignèrent à elle, et on la trouvait jusque chez les jansénistes. Les Carmélites, à peine introduite en France, encore tout enflammées par les récents exemples de leur admirable réformatrice, affermissaient le culte du divin Cœur dans leurs monastères et le répandaient dans le monde, où leur influence était grande ; le Carmel de la rue Saint-Jacques contribua largement à répandre la dévotion à la Cour de Louis XIII. Les Visitandines, furent consacrées au Cœur divin par leurs saints fondateurs.

Au milieu du siècle, Bossuet ne faisait que résumer le sentiment de son époque quand il exhortait à voir « en ce Cœur l'abrégé de toutes les merveilles du christianisme[39]  » ; lorsqu’il voulut donner la formule de la perfection chrétienne, il rencontra comme naturellement la formule de la dévotion au Sacré Cœur.

Restait à rendre liturgique le culte du Sacré Cœur. Tant qu'il demeurerait privé, fût-il répandu dans tous les milieux, il lui manquerait un trait essentiel à toute dévotion vraiment catholique. C'est à saint Jean Eudes (1601-1680) que revint cette glorieuse initiative. Il avait consacré aux Saints Cœurs de Jésus et de Marie les congrégations qu'il avait fondées, et leur faisait réciter un office propre, approuvé de quelques évêques, dès 1648. En 1670 Jean Eudes publia une messe et un office propre du Sacré-Cœur de Jésus adoptés par quelques évêques et quelques couvents qui les dirent à la fête alors fixée le 20 octobre[40] . En l655, il inaugura à Coutances la première église consacrée au Cœur de Jésus. Malgré les contradictions et les adversités, missionnaire infatigable, il s'employa pendant quarante ans à populariser et à affermir son œuvre.

Or, Notre-Seigneur, à Paray-le-Monial, vint se manifester à sainte Marguerite-Marie, à partir de 1673. « Il me fit voir que l'ardent désir qu'il avait d'être aimé des hommes et de les retirer de la voie de perdition où Satan les précipite en foule, lui avait fait former ce dessein de manifester son cœur aux hommes avec tous les trésors d'amour, de miséricorde et de grâce, de sanctification et de salut qu'il contenait. »

Le 16 juin 1675, dimanche dans l'octave du Saint-Sacrement, eut lieu la grande apparition : « Voilà ce cœur qui a tant aimé les hommes, qu'il n'a rien épargné jusqu'à s'épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour. Et pour reconnaissance, je ne reçois de la plupart que des ingratitudes par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu'ils ont pour moi dans ce sacrement d'amour. Mais ce qui m'est encore le plus sensible est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi... C'est pour cela que je te demande que le premier vendredi d'après l'octave du Saint-Sacrement soit dédié à une fête particulière, pour honorer mon Cœur, en communiant ce jour-là, et en lui faisant réparation d'honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu'il a reçues pendant le temps qu'il a été exposé sur les autels... Je te promets que mon Cœur se dilatera pour répandre avec abondance les influences de son divin amour sur ceux qui lui rendront cet honneur et qui procureront qu'il lui soit rendu. »

Les apparitions à Sainte Marguerite-Marie donnèrent le sens de la réparation au culte naissant du Sacré-Cœur de Jésus. Le Père de la Colombière, se fit l'apôtre du culte public à rendre au Sacré-Cœur. La première fête fut célébrée à Paray-le-Monial en 1685, en 1686 à Moulins et Dijon, en 1688 la messe et l'office furent approuvés à Langres. En 1720, lors de la grande peste de Marseille, l'évêque consacra son diocèse au Sacré-Cœur dont il établit la fête en 1721. En 1765 Clément XIII approuva la Messe et l'Office pour la Pologne, puis pour les Visitandines puis, les années suivantes, pour tous ceux qui le demandaient jusqu'à ce que Pie IV autorisât la Messe et l'Office (1779). Le 12 août 1856, Pie IX étendit la fête à l'Église Universelle et, en 1889, Léon XIII l'éleva au rit double de première classe. Enfin, en 1929, Pie XI composa une nouvelle messe et une nouvel office.

La réforme Liturgique de Paul VI a conservé tout le propre de la messe du Sacré-Cœur de Pie XI, à l'exception de la postcommunion et de la préface.

Textes liturgiques © AELF, Paris


[1] Cardinal Pie : « Lettre synodale » de décembre 1857.

[2] Livre de la Genèse, VI 5-6.

[3] Livre de la Genèse, VIII 21.

[4] Deuxième livre de Samuel, VII 21 ; premier livre des Chroniques, XVII 19.

[5] Premier livre des Rois, IX 3 ; deuxième livre des Chroniques, VII 16.

[6] Livre de Job, IX 4.

[7] Livre de Jérémie, XII 7.

[8] Livre de Jérémie, XV 1.

[9] Livre de Jérémie, XXXI 20.

[10] Livre de Jérémie, XXXII 41.

[11] Livre d’Osée, XI 8.

[12] Evangile selon saint Jean, XVII 23.

[13] Evangile selon saint Jean, XVII 26.

[14] Evangile selon saint Jean, XV 13.

[15] Evangile selon saint Jean, XIX 30.

[16] Evangile selon saint Matthieu, XXVII 52.

[17] Evangile selon saint Matthieu, XXVII 52-53.

[18] Evangile selon saint Jean, XIV 34.

[19] Livre du Cantique des cantiques, IV 9 ; II 14 ; VIII 6 ; Livre d’Isaïe, XII 3 ; évangile selon saint Matthieu, XI 29 ; évangile selon saint Jean, XIII 23.

[20] Saint Augustin : « De Virginitate ».

[21] Saint Augustin : « Tractatus in Johannis evangelium », XVIII 1.

[22] Saint Anselme de Cantorbéry : dixième méditation

[23] Saint Bernard : sermon LXI sur le Cantique des cantiques, 1.

[24] Guillaume de Saint-Thierry : « Méditations ».

[25] Saint Bonaventure (1221-1274), ministre-général des Franciscains puis cardinal-évêque d'Albano.

[26] Saint Bonaventure : « Vigne Mystique » (injustement attribuée à Saint Bernard).

[27] Saint Bonaventure : « De perfections vitæ ad sorores ».

[28] Saint Bonaventure : « De Passione Domini » III.

[29] Dans le « Livre du sacrement de l’Eucharistie » saint Albert le Grand (1206-1280) écrit : « Le Cœur de notre Seigneur, plénitude de grâces, et demeure de la Divinité, est l'Arche d'Alliance contenant la grâce de l'eucharistie. Car, sans aucun mérite de notre part, nous avons reçu un don si précieux. Ici se réalisent les paroles de saint Jean : La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. Une des raisons de nommer ce sacrement eucharistie c'est qu'il est le don de la très grande générosité de Dieu. Cette générosité se manifeste de six manières qui font déborder le cœur d'amour : la bonté et la bénignité, l'affection et la sympathie, l'amour et la miséricorde. Ce sont elles qui ont poussé le divin Cœur à nous donner cette grâce de l'eucharistie. La bonté est d'elle-même portée à se donner aux autres, à se répandre sur les autres. L'amour est une ardeur envahissant et incendiant le cœur afin qu'il se répande entièrement en fruits de prédilection. C'était donc par cet amour qui enflamme le cœur comme un feu et qui le fait se consumer entièrement pour celui qu'il aime que le divin Cœur fut poussé par une générosité infinie à nous préparer ces grâces. En vérité, c'est ce qui incite le Cœur de Dieu, dans son incommensurable générosité, à nous donner la grâce de l'eucharistie. Par ce sacrement il laisse sa bonté se déverser sur nous comme un fleuve de joie. »

[30] Jean Tauler : commentaire de saint Paul.

[31] Le bienheureux Henri Suso : « Livre de la Sagesse », XVIII.

[32] Sainte Catherine de Sienne : « Dialogue », chapitre LXXV.

[33] Neuvième lettre de sainte Catherine de Sienne au bienheureux Raymond.

[34] « De decem cæcitatibus » (les dix aveuglements).

[35] « Phareta divini amoris », I.

[36] Louis de Blois : « L’Institution spirituelle ».

[37] Le bienheureux Jean d'Avila : « Auda filia ».

[38] M. Olier, fondateur de la Compagnie de Saint-Sulpice écrivait : « Perdez-vous mille fois le jour dans son admirable Cœur. C'est là que vous entrerez dans la jouissance de tout ce qu'il est, et même des correspondances et des communications mutuelles qui se passent entre lui et son Père. C'est la pièce d'élite que le Cœur du Fils de Dieu ; c'est la pierre précieuse du cabinet de Jésus, c'est le trésor de Dieu même où il verse tous ses dons et communique toutes ses grâces... C'est en ce Cœur sacré et en cet adorable intérieur que se sont premièrement opérés tous les mystéres, et c'est dans les saints que Dieu y applique plus particulièrement que se passent ses communications plus intimes et que s'expriment le plus parfaitement tous ses divins mystéres. »

[39] Bossuet : « Panégyrique de saint Jean ».

[40] « Brûlant d'un singulier amour envers les Cœurs très saints de Jésus et de Marie, il eut le premier - et ce ne fut pas sans une sorte d'inspiration divine - l'idée d'un culte public en leur honneur. De ce culte si doux on doit le regarder comme le père, car il fit célébrer la solennité de ces Cœurs ; comme le docteur, car il composa en leur honneur des offices et une Messe ; comme l'apôtre enfin, car de tout son cœur il s'employa à répandre partout cette dévotion salutaire » (Pie X : bref de béatification de Jean Eudes, 13 décembre 1908).

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