De Malo Tresca sur le site du journal La Croix :
EWTN, le fulgurant succès d’un média catholique conservateur
Revendiquant une diffusion auprès de 350 millions de foyers, la chaîne américaine conservatrice Eternal Word Television Network (EWTN) s’est imposée, plus de quarante ans après sa fondation, comme le plus grand média catholique au monde. Non sans avoir été parfois accusée de défendre des positions hostiles à la ligne du pape François.
02/09/2023
Inhabituelle, la scène avait fait grand bruit bien au-delà de la petite église du Pays basque espagnol. En décembre, l’évêque de Saint-Sébastien décidait d’interdire à sa chaîne diocésaine de diffuser tout contenu produit par le réseau américain Eternal Word Television Network (EWTN). En lui reprochant ses critiques contre le pape François, Mgr Fernando Prado Ayuso invoquait alors la nécessité de « préserver l’unité » avec Rome… et s’inquiétait en filigrane de l’influence, toujours croissante, de ce réseau devenu un véritable empire médiatique.
Ses audiences n’ont en effet rien à envier à celles des plus grands titres de la presse généraliste. Un tel succès était pourtant pour le moins inattendu, pour une chaîne fondée avec peu de moyens en 1981, en Alabama, par une religieuse clarisse, mère Angelica (1923-2016). « Il y a là quelque chose qui fait écho à la mythologie de la start-up démarrant de presque rien dans un garage – un peu comme Microsoft, Apple… – et rencontrant un immense succès. EWTN a finalement une histoire très américaine », retrace l’historien Massimo Faggioli (1), professeur d’études religieuses à l’université de Villanova (Pennsylvanie).
Le « Fox News catholique »
Indépendant de l’épiscopat et géré par des laïcs, le réseau EWTN est dirigé depuis 2000 par Michael Warsaw, qui est aussi consultant auprès du dicastère pour la communication au Vatican. « Il est très connecté avec certains puissants catholiques du pays. De ceux qui ne sont pas aussi visibles dans les médias que des évêques, cardinaux ou théologiens, mais qui gouvernent l’Église en coulisses… », poursuit Massimo Faggioli. Non sans relever encore les importants moyens financiers de la chaîne, reposant « sur un giron d’abonnés très fidèles, mais aussi largement sur les fonds de grands donateurs (particuliers fortunés, fondations…) ».
Ces dernières années, EWTN a cherché à étendre son influence, notamment sur les continents asiatique et africain – avec le lancement, en 2019, de l’agence de presse ACI-Africa, basée à Nairobi (Kenya). « Son modus operandi est établi : ses journalistes se rapprochent des conférences épiscopales locales, en leur proposant une mise à disposition gratuite de leur matériel ou de leurs compétences – réelles – en matière de production multimédia. Ils entretiennent ainsi des liens privilégiés, devançant la concurrence… », souligne un observateur asiatique, racontant les avoir vus à l’œuvre lors de la dernière assemblée de la Fédération des conférences épiscopales d’Asie (FABC), à Bangkok en octobre 2022.
Comment définir encore le positionnement du réseau, parfois surnommé outre-Atlantique le « Fox News catholique » ? Plutôt à distance des débats politiques pendant ses quarante premières années d’existence – alors que les programmes les plus populaires de la chaîne concernaient surtout la messe ou l’exégèse –, la ligne éditoriale d’EWTN a ensuite opéré un virage à droite. En abordant des thématiques de société parfois explosives aux États-Unis : port d’armes, avortement, émigration, questions de genre…
Épousant plus largement le mouvement de droitisation du catholicisme américain, plusieurs signaux témoignent d’une « bascule républicaine » du média. Tête d’affiche du service d’informations de la chaîne, le présentateur vedette Raymond Arroyo a ainsi interviewé à plusieurs reprises Donald Trump lors d’entretiens jugés « consensuels » par des détracteurs de l’ex-candidat républicain… ou invité à l’écran des personnalités partisanes de son projet de construction d’un mur frontalier entre les États-Unis et le Mexique, contre lequel s’était fermement érigé le pape François.
L’Église ne « mérite pas » les insultes
Bien qu’EWTN se défende de n’avoir jamais eu un « parti pris » contre le successeur de saint Pierre – le siège du réseau n’a pas donné suite à nos demandes de précisions supplémentaires à ce propos –, les attaques à son encontre ont franchi un nouveau palier en 2020. À l’époque, Raymond Arroyo avait interviewé dans son émission The World Over Mgr Carlo Maria Vigano, ancien nonce apostolique aux États-Unis, qui avait appelé, dans une lettre en 2018 puis dans les colonnes du National Catholic Register (un journal conservateur appartenant à EWTN), à la démission de François pour sa gestion de l’affaire McCarrick. Au Vatican, cette intervention avait suscité une profonde colère, teintée d’inquiétude pour l’avenir.
Au point que François, en marge d’une rencontre avec les jésuites en Slovaquie en septembre 2021, avait fini par s’agacer publiquement : « Il y a, par exemple, une grande chaîne de télévision catholique qui n’hésite pas à dire continuellement du mal du pape. » Une critique largement interprétée comme ciblant directement EWTN. « Je mérite personnellement les attaques et les insultes parce que je suis un pécheur, mais l’Église ne les mérite pas. Elles sont l’œuvre du diable », poursuivait-il.
Pourtant, ces derniers mois, le vent semble avoir tourné au Vatican, où EWTN a d’ailleurs renforcé sa flotte de journalistes. « Ceux qui étaient persona non grata il y a cinq ans sont aujourd’hui beaucoup mieux perçus », soutient un bon connaisseur du média à Rome. Un revirement que ce dernier impute tant à une forme de « pragmatisme » – lié à la conscience qu’« on ne peut se passer » d’un tel outil médiatique – qu’à un certain « adoucissement » dans les « velléités éditoriales » de la chaîne : « Certaines choses relèvent peut-être de l’habillage, mais on sent qu’ils ont mis de l’eau dans leur vin… »
Le spectre de la présidentielle américaine
Le spectre de la prochaine présidentielle américaine, en novembre 2024, fait toutefois resurgir auprès d’observateurs la crainte qu’EWTN « ne présente un récit politique profondément diviseur, comme lors des deux dernières campagnes ». Mais derrière les calculs politiciens, « les critiques peuvent risquer d’éclipser tout ce que notre programmation religieuse a pu apporter aux gens, notamment pendant le Covid. Si nos chaînes et médias marchent aussi bien, c’est que nous parvenons à rejoindre leurs aspirations spirituelles profondes », fait valoir auprès de La Croix une collaboratrice américaine de la chaîne.
Dans une tribune de l’agence de presse Religion News Service appelant mi-mai à nuancer les reproches visant EWTN, le jésuite américain Thomas Reese relevait lui aussi ce revirement chez François, alors que celui-ci venait de bénir le film La Foi de nos pères produit par EWTN Irlande. Non sans alerter sur certains programmes s’apparentant à « des armes de propagande du Parti républicain », le père Reese soulignait alors combien les agences de presse du groupe – notamment CNA et ACI-Africa – parvenaient à couvrir une actualité catholique souvent inaperçue, sinon dans l’angle mort d’autres médias. Il concluait, lucide : « Les catholiques progressistes doivent avouer qu’ils sont jaloux. Nous aimerions avoir autant de succès qu’EWTN. »
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Une audience toujours plus grande
Avec une diffusion revendiquée auprès de 350 millions de foyers, le réseau télévisé EWTN, qui émet 24 heures sur 24 grâce à son satellite, se décline aujourd’hui en onze chaînes et quatre langues.
Depuis sa création, il a considérablement diversifié son offre et ses supports : déploiement radio, rachat ou création d’agences de presse et de sites d’actualité (Catholic News Agency, National Catholic Register…), édition de livres, de catalogues religieux.
Il affiche de nouvelles ambitions internationales, notamment en Asie et en Afrique, où il a fondé en 2019 l’agence de presse ACI-Africa, basée à Nairobi (Kenya).
Commentaires
Bravo : il y aura peut-être 10 justes dans Sodome ...
Cette mère Angelica ne pouvait pas être clarisse ! Une clarisse n’est pas une business woman.
Port d'armes, émigration ..... Les chrétiens ne devraient pas être divisés à ce sujet . A qui profite la division ? Qui est le grand Diviseur ?