Nonobstant les instructions et autres « motu proprio » par lesquels Rome s’efforce maintenant de libéraliser l’usage de la forme traditionnelle de la liturgie, rien n’y fait : les évêques restent les maîtres absolus de celle-ci dans leurs diocèses respectifs et le font bien voir : ainsi, dans tel évêché de Belgique autrefois fort libéral à l’égard de l’usus antiquior, les choses sont paradoxalement devenues très difficiles aujourd’hui, alors que dans tel autre diocèse du même pays la situation s’est au contraire débloquée comme par enchantement, à l’arrivée du nouvel évêque. En fait, Rome est loin et sans autorité réelle sur le terrain. En charge du dossier, sa commission « Ecclesia Dei », même dotée de pouvoirs juridictionnels pour contraindre les récalcitrants, redoute d’affronter ceux-ci et laisse traîner les recours.
Restent les belles paroles que l’administration pontificale s’entend à prodiguer. La Lettre de Paix Liturgique vient, par exemple, de traduire les propos tenus récemment (3 octobre 2011) par secrétaire de cette commission « Ecclesia Dei » , Mgr Guido Pozzo (photo) sur Gloria TV : On peut y lire notamment ceci :
« Gloria TV –Quelles sont les raisons de l’hostilité de nombreux milieux ecclésiastiques contre une liturgie que l’Église et de si nombreux saints ont célébré pendant une si longue période et qui a été l’instrument d’un développement spectaculaire de l’Église ?
Mgr G Pozzo – (…) Pour comprendre pourquoi cette idée préconçue contre la liturgie de la forme extraordinaire est encore si répandue, il faut bien avoir présent à l’esprit que, pendant de nombreuses années, aucune formation liturgique véritablement adaptée et complète n’a été proposée dans l’Église catholique. On a voulu introduire un principe de rupture, d’éloignement, de détachement radical entre la réforme liturgique proposée, instaurée, et promulguée par le Pape Paul VI et la liturgie traditionnelle (…et) de fait, cette idée préconçue influe de façon déterminante sur la forma mentis des personnes, des ecclésiastiques comme des fidèles. Il faut parvenir à dépasser ce préjugé (…)
Gloria TV – Pourquoi cela vaut-il la peine de promouvoir la messe traditionnelle ?
Mgr G Pozzo – (…) Parce que, dans l’ancienne messe, sont explicités, mis en évidence, certains aspects fondamentaux de la liturgie qui méritent d’être conservés. Je ne parle pas seulement de la langue latine ou du chant grégorien. Je parle du sens du mystère, du sacré, du sens du sacrifice, de la messe comme sacrifice, de la présence réelle et substantielle du Christ dans l’Eucharistie, et du fait qu’elle offre de grands moments de recueillement intérieur qui sont comme une participation intérieure à la divine liturgie : oui, voilà tous les éléments fondamentaux qui sont particulièrement mis en évidence dans la messe traditionnelle. Je ne dis pas que ces éléments n’existent pas dans la messe de Paul VI. Je dis qu’ils sont plus largement manifestés dans la forme extraordinaire et que cela peut enrichir également ceux qui célèbrent, ou qui participent, à la messe dans la forme ordinaire.
Et de conclure, d’un point de vue qui nous paraît actuellement plus proche de Sirius que de la Terre :
« Rien n’interdit de penser qu’à l’avenir on pourrait arriver à une réunification des deux formes avec des éléments qui s’intègrent les uns aux autres, mais il ne s’agit pas là d’un objectif à atteindre à court terme et certainement pas par une décision prise sur le papier. Cela demande une maturation de tout le peuple chrétien, afin que tous comprennent les deux formes liturgiques de l’unique rite romain ».
La réalité est que, derrière les deux formes du rite, deux ecclésiologies et deux sensibilités doctrinales s’affrontent -pouvoir contre opposition- au sein même de l’Eglise, au lieu de pratiquer entre elles ce dialogue réservé aux enceintes œcuméniques ou interreligieuses. Une posture dont on se demande d’ailleurs ce qu’elle vaut si on ne va pas d’abord se réconcilier avec son propre frère.
Commentaires
Mgr Pozzo nous déverse des paroles lénifiantes. La réalité est bien plus simple. Nombre de clercs refusent la forme extraordinaire parce que la plupart du temps l'attachement des fidèles à cette manière de célébrer la messe va de pair avec une critique virulente voire un refus des textes du concile vatican II. Et parmi ces clercs, ceux qui ont entre 60 et 80 ans, qui ont vécu le concile avec un enthousiasme démesuré ne parviennent pas à admettre qu'ils se sont trompés ou qu'ils ont été trompés.
Les textes de Vatican II valent ce qu’on leur fait dire, dès lors surtout qu’ils revêtent un caractère plus discursif que juridique, avec une sorte de balancement diplomatique des contraires sur les sujets délicats (ils devaient obtenir la majorité des deux tiers). C’est une faiblesse due au « genre » pastoral de ce concile.
Ensuite, la lecture de ces textes, par la majorité de ceux-là mêmes qui les avaient votés et furent ensuite chargés de les mettre en œuvre, a d’emblée été excessive sur bien des points.
Puisqu’on parle de liturgie, restons-y : là où, par exemple, le texte du concile dit que l’usage de la langue latine sera conservé mais qu’on accordera une plus large place à la langue du pays, « surtout dans les lectures et les monitions » (je cite de mémoire), ils n’ont retenu que le mot « surtout », comme une brèche (surtout et donc pas exclusivement) par laquelle ils ont ensuite évacué tout le latin. De même, là où le concile dit que le chant grégorien est le chant propre de la liturgie romaine et qu’il doit occuper, toutes choses égales d’ailleurs, la première place dans les actions liturgiques, ils n’ont retenu que l’incise ambiguë pour mettre une équivalence entre tous les genres de musique et, à ce titre « oublier » le grégorien au même titre que le latin (qui lui consubstantiel, si j’ose employer ce terme si mal vu).
L’institutio generalis de 1970 qui organise la mise en œuvre de la réforme du culte va bien plus loin encore (minorant le canon romain, supprimant les geste d’adoration, encourageant la créativité) au point même que sa définition ambigüe de la messe a du faire l’objet d’une rectification ultérieure. Sans parler du retournement général des autels vers l’assemblée, de la disparition totale de l’agenouillement et des gestes de respect (au moins à la consécration et à la communion) au profit de salutations conviviales aussi peu sacralisées que, souvent, la tenue des célébrants et de leurs acolytes.
Je pense qu’on aurait pu tirer de la Constitution conciliaire « Sacrosanctum concilium » une réforme sans rupture avec le trésor liturgique de l’Eglise. Mais, en ce domaine, comme dans d’autres -et à mon avis depuis le début- Vatican II a été pris par bon nombre de pères et plus encore d’experts conciliaires (sans parler des cercles extérieures à leur enceinte) comme une sorte d’équivalent ecclésial des Etats-Généraux de 1789…
@ tchantchès ... Merci pour ces éclaircissements bienvenus. Ce qui m'a surtout frappé, c'est que ces modifications, parfois brutales, ont été imposées aux catholiques de base, et souvent contre leur souhait de conserver la sacralité et la beauté de la liturgie et du latin.
En bref, les souhaits des catholiques de base n'ont pas du tout été écoutés par ceux-là mêmes qui osent nous parler aujourd'hui d'introduire de la 'démocratie' dans l'Église. Autrement dit, d'en évacuer Dieu ainsi que tout le sacré qui est propre à son mystère. En faisant en plus semblant d'ignorer que la démocratie est une notion purement politique.
Notez aussi que le latin, en dehors d'être une langue belle et structurée, a notamment l'avantage d'être une langue 'morte', autrement dit une langue qui ne lèse aucun catholique, quelle que soit sa langue maternelle. Que rêver de mieux pour une Église qui se veut catholique, universelle, et non une tour de Babel.