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Français et latin : la prononciation au siècle de Louis XIV

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Philippe_de_Champaigne_001.jpgLes baroqueux, avec leur souci  de restitution « authentique » ont introduit la controverse au sein du monde de la musique et des interprètes du chant choral ancien. Le site du magazine « Muse baroque » consacre un article à cette question :

Le français restitué

Il s'agit ici d'introduire les différentes contributions à propos de la question controversée du français restitué c'est-à-dire la prononciation du français à l'époque. On insistera sur la difficulté d'aboutir à une connaissance suffisamment précise et exacte de cette prononciation, ce qui conduit à s'interroger sur les partis-pris actuels des interprètes baroques et les effets induits sur l'intelligibilité du texte pour l'auditeur moderne.

La grammaire, le vocabulaire et l'orthographe du français dit classique (celui de Racine) sont évidemment différents de ceux utilisés de nos jours. La façon de prononcer les mots l'était également.

Hugo Reyne a décidé pour certains de ses enregistrements de Lully de revenir à la prononciation du XVIIème siècle, afin de pousser l'authenticité encore plus loin. Si l'on utilise des instruments d'époque (ou copies), pourquoi ne pas parler comme un courtisan du Grand Siècle ? 

Le problème est double : d'une part, cette prononciation obscurcit la compréhension du texte et pare le livret de ridicule à l'oreille de l'auditeur moderne peu habitué aux éclats naissanss (naissants), à Floreeeeeeeeuu (Flore) et à l'arrivée du Roué (Roi). Il est alors impossible de suivre le fil de l'intrigue sans le livret à la main et les nobles protagonistes semblent transformés en saltimbanques grotesques.

D'autre part, les spécialistes ne s'accordent guère sur le "français restitué". On sait que les accents régionaux étaient très marqués, et qu'un duc ne parlait pas comme une charretière. Il n'y a donc pas un mais des français restitués. On utilisera pas la même prononciation pour des chansons à boire ou pour une tragédie lyrique. En outre, comme l'a souligné à juste titre un lecteur, dans nos oeuvres opératiques, ce n'est pas la prononciation courante, mais déclamatoire qu'il faut rechercher.  Les dramaturges eux-mêmes ont cherché à unifier cette prononciation, en retenant une vision archaïque en général. 

En très bref, les tenants du français restitué opèrent les modifications suivantes (pour les plus audibles) :

"oi" ou  oy" deviennent "oué" : Le Roué (Roy), parfoué (parfois), je crué (je crois). On connaît tous célèbre anecdote du "il faut un rouet" compris sous la Révolution comme "il faut un Roy" et qui valut de mauvais moments à certaine dame.

Les "-e" muets de fin de syllabes sont prononcés : le globeu terrestreu (le glob' terrestr'), la naissanceu de la Dauphineu, filleu du Roué...

De même les "-r", les "-t" (notamment dans "-ant") et les "-s" finaux se prononcent : restantttttttt, agitéssssss mais restanssssssss (pour restants, le -s final primant sur la "-ant" qui précède)

Plus généralement, comme en poésie classique, toutes les syllabes sont prononcées : carreulageu (carrelage, exemple qu'on ne trouverait certainement pas à l'époque, le mot n'étant pas assez noble.)

En réalité, en ce qui concerne le "oi", principal pierre d'achoppement, les grammairiens notent qu'ils se prononçait "oué", "ouin"  "in" mais aussi "oi", tout comme aujourd'hui. 

Antoine Lartigaud  dans ses Les Principes infaillibles et les règles assurées de la juste prononciation de nôtre langue (Paris,1670) écrit entièrement en phonétique et montre bien que "francois" se prononçait "français", "conoistre" "connaître". Certes, ce "ai" étant plus proche de "ê" mais il n'en reste pas moins que la généralisation de la prononciation restitué "-oué" est totalement incorrecte. Il en va de même pour les autres "règles". Il suffit d'ailleurs de relire Corneille et Racine pour voir que les propositions ci-dessus entraînent à de nombreuses reprises des alexandrins bien suspects, pour ne pas dire bancals.

Ne peut-on pas penser qu'il est alors préférable, dans l'état actuel des connaissances, de tout simplement s'abstenir de toute recréation - car c'est bien d'une réinvention-redécouverte dont il s'agit - mais de respecter à la lettre le livret de l'époque ? "Vous me vouliez voir, douce Céphise ?" ne suffit-il pas à rappeler à l'auditeur que plusieurs siècles se sont écoulés sans pour autant rendre le sens de la phrase  trop difficile à comprendre ?

Ce n'est certes pas l'avis d'un Défenseur du Français restitué :

Défense & Illustration de la Prononciation dite restituée 

Le latin à la française

Nous avons là affaire à un autre problème puisque le latin est une langue morte (sauf au Vatican, et encore). Diverses prononciations s'affrontent telles latin à la française, latin jésuite, latin classique. L'habitude est de prononcer le latin à la jésuite (latin d'Eglise) dans les enregistrements d'œuvres religieuses et sacrées. 

Cela est très compréhensible mais il faut noter que la France ne le prononce pas comme les autres pays d'Europe continentale. A l'âge baroque, le latin à la française, celui de le chapelle de Versailles et des grands centres religieux du royaume est le suivant :

"ae" se prononce "é" (et non pas "a-é") : Patrae = patré

"cc" se prononce "ss" (et non pas "ch") : "incessabili" comme dans incessamment.

"in" ou "im" se prononce "un" (et non pas "inn" ou "imm")

"es" se prononce "esse"

"un" se prononce "on" ou "un" selon les cas

"au" se prononce "o"

Ces quelques grandes lignes permettent de comprendre qu'il s'agit à peu près de prononcer le latin comme si c'était du français. 

Hervé Niquet ou William Christie ont repris le latin à la française dans leurs enregistrements de grands motets. On entend donc "Te Dé-ume lodamusse" (Te Deum laudamus) ou encore "Tibi sérubim" (tibi Cherubim). La démarche est cette fois cohérente et louable et représente un nouveau pas vers une pratique de la musique baroque non seulement plus "authentique" mais surtout remise dans son contexte, ici le cadre géographique hexagonal. 

                                                                                                                 V.L.N. »

 Ah ! Te Deoum, Te Deûm ou Te Deom …C’est un peu la question du sexe des anges à l’heure des messes de Vatican II, du vernac, du verlan et du chébran, sans parler de l’anglais « basic » international, dont il se trouve aujourd’hui certains clercs pour penser qu’il remplacerait avantageusement le latin pour la rédaction des textes officiels du Saint-Siège…

  Débat : Français restitué et latin à la française : quelle prononciation ?

Lire ci-dessous le commentaire de Mutien-Omer Houziaux

Commentaires

  • Et au Canada il y a plein de réminiscences et de persistances du vieux français, tant au Quebec qu'en Acadie etc. J'y vis depuis 37 ans et je n'ai jamais eu de problème a comprendre. Parlant d'accent, celui qui a un accent amusant, ici, c'est moi, le Français ! :-)

  • Cet article n’est pas tombé… sous les yeux d’un aveugle, mais sous le regard d’un romaniste. J’ai en effet consacré, surtout pour ce qui concerne la prononciation « gallicane » du chant latin, trois études de quelque envergure. Dans un article de 119 pages, j’ai traité de cette question sous le titre, assez explicite « La prononciation du latin, garante d’authenticité ? » (Revue de la Société liégeoise de Musicologie, 2002). J’ai repris et amplifié ce travail dans un ouvrage intitulé "Les œuvres musicales en latin chanté. À l’écoute des sonorités gallicanes" ; préfacé par Arthur Bodson, latiniste et ancien recteur de l’Université de Liège, il a paru en 2006 chez L’Harmattan (Paris), dans la collection « Univers musical » (204 pages). Enfin, sur la question plus générale d’un prétendu recours à l’authenticité en musique, j’ai consacré un chapitre entier d’une autre étude, essentiellement, musicologique, éditée conjointement par la Société liégeoise de Musicologie et l’Éditeur parisien Klincksieck. Préfacé par le musicologue J.-M. Nectoux, cet ouvrage s’intitule "À la recherche « des » Requiem de Fauré ou L'authenticité musicale en questions" (Liège, Paris, 2000 ; 278 pages, dont 75 pages (le chapitre III) sont rassemblées sous le titre : "L’authenticité en musique ou la grande illusion ?" )

    On comprendra que je ne puisse, ici, « résumer » ces dissertations philologiques et musicologiques. Pour l’internaute que ces études intéressent, je signale que le premier article cité est en consultation libre sur Internet : http://popups.ulg.ac.be/SLM/document.php?id=486 ; le livre paru chez L’Harmattan est, en partie, accessible : il suffit te taper, sur Google : œuvres musicales en latin chanté + Houziaux.

    Quant à la troisième publication citée, elle se trouve intégralement sur le WEB en « e-book », on la trouvera avec le lien http://popups.ulg.ac.be/SLM/document.php?id=454. Pour les passionnés du sujet, je signale, à toutes fins utiles, qu’il me reste quelques exemplaires du livre publié par L’Harmattan ; ils sont disponibles chez l’auteur au prix de 15 euros (au lieu de 18, prix officiel) + frais de port. (Ecrire à Mutien-Omer.Houziaux@ulg.ac.be.)

    Sur le fond, je reprendrai ici mon texte de quatrième de couverture présentant "Les œuvres musicales(…)" : « Le mouvement baroqueux tend à conquérir tous les répertoires. La quête de l’ « authenticité » devient un souci majeur chez plus d’un interprète. D’où un intérêt accru pour la musicologie (notation musicale, organologie, …). Le chant étant une composante importante du fait musical, se pose la question de la restauration du latin chanté. Plus que toute autre, sa prononciation « gallicane » offre de telles singularités qu’elle prête à controverse. Peut-on sérieusement parler d’un latin « à la française », crédible à la fois dans l’espace et dans le temps ? La restitution, même fidèle, de la phonalité originelle d’une œuvre est-elle requise pour assurer, aujourd’hui, une interprétation authentique ? À ces questions, le présent ouvrage répond par la négative, références à l’appui. Outre bien des interprètes, ce livre intéressera musicologues, philologues et mélomanes. »
    Mutien-Omer Houziaux.

  • Lorsque j'étais jeune (dans les années '50-'60, au Québec, on prononçait le latin comme dans le "latin baroque restitué". Ce n'est donc pas vraiment une nouveauté pour moi. "Té déomme laudamusse"

  • Je voudrais juste protester, par rapport à la pratique courante de la "restitution", contre la prononciation des "N" voisées. En effet, même Eugène Green l'écrit très clairement dans ses ouvrages, les nasales de la langue classique sont vraiment des nasales. Si elles avaient été voisées, il le dirait. Pour mémoire, "voisée" fait référence à la prononciation italienne ou méridionale, par exemple, année qui se prononce ici (Montpellier) "âne né".

    Ce qu'indique Green est une nasale dédoublée: par exemple "manger" où on prononce d'abord "ma" avant d'émettre la nasale "an". Ce phonème est tout à fait connu, autant au Québec que dans la Loire, à Saint-Etienne. Mais serait-ce cette référence qui les fait éviter de "restituer" correctement ce phonème???

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