De José Ramos-Ascensão sur Europeinfos (COMECE)
Un enfant et... combien avez-vous dit de parents ?
La maternité de substitution est une question éthique et juridique en voie d'émergence au niveau international comme au niveau de l'Union européenne.
Une “Etude comparative sur le régime applicable à la maternité de substitution dans les Etats membres de l'Union européenne”, commanditée par la commission parlementaire européenne des affaires juridiques, a récemment été présentée au Parlement européen ; en même temps, il a été annoncé que ce que l'on appelle le "tourisme de la maternité de substitution" est en augmentation en Inde et vient renforcer dans ce pays une industrie qui représente déjà quatre milliards de dollars.
La maternité de substitution est une pratique par laquelle une femme (la mère porteuse) tombe enceinte dans l'intention de donner l'enfant à une autre personne (appelée le "parent d'intention") après la naissance. On établit une distinction entre la maternité de substitution traditionnelle et la maternité de substitution non-génétique, selon que l'on utilise ou non les ovules de la mère porteuse. Dans le premier cas, la mère porteuse est aussi la mère génétique de l'enfant. Dans le second cas, le parent d'intention peut également être ou non le parent génétique de l'enfant, selon que l'on utilise ou non les gamètes d'une tierce personne (en ce qui concerne le don de gamètes, que l'on appelle la fécondation in vitro hétérologue, voir notre article dans le numéro 146 d'europeinfos). Enfin, par de nouvelles techniques telles que le transfert pronucléaire, même le “matériel génétique” pourrait avoir pour origine plus d'un donneur, du moins en théorie.
Vous ne vous y retrouvez pas dans les comptes ? C'est normal, il y a trop de “parents” pour un seul enfant, sans parler du mari ou du partenaire éventuel de la mère porteuse elle-même !
Préoccupations éthiques et juridiques
Ces technologies de reproduction assistée – qui sont en fait de véritables révolutions technologiques en matière de reproduction – soulèvent naturellement d'énormes questions et difficultés d'ordre éthique et juridique. Pour compliquer les choses encore davantage, la maternité de substitution peut avoir un caractère “rémunéré” ou “altruiste” et la mère porteuse ainsi que les parents d'intention peuvent provenir de pays différents (on parle alors de “maternité de substitution transfrontalière”), où les législations applicables diffèrent. Il est fréquent que l'une de ces législations interdise (ou tout simplement ne reconnaisse pas) l'accord de maternité de substitution, et donc l'acte de naissance étranger correspondant. Ceci peut susciter de terribles drames en créant une situation "d'absence de parents" ou "d'apatride", ce que les parents d'intention savent souvent pertinemment à l'avance !
Tout ceci se fait au nom de la volonté d'accorder la "jouissance" par quiconque du “droit présumé à l'enfant”, au prix d'un bouleversement du mariage, de la maternité et de la parentalité et finalement des relations familiales en général. La dignité humaine de toutes les parties, et par-dessus tout celle de la mère porteuse et de l'enfant à naître, est violée dans la mesure où on les traite comme de simples objets ou des marchandises ; dans le cas de l'enfant à naître en particulier, on porte également atteinte à son droit à l'identité personnelle.
Il n'est pas étonnant que la maternité de substitution soit considérée de façon plutôt négative par le grand public, bien que certains groupes spécifiques tels que la communauté et les militants LGBTI (personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes) soient particulièrement intéressés par sa légalisation et sa facilitation. Néanmoins, seule la Grèce possède dans l'Union européenne un cadre juridique global qui permet (avant la naissance) la maternité de substitution non-génétique “altruiste” ex ante, tout en limitant l'accès aux couples hétérosexuels et aux femmes célibataires et, dans les deux cas, si cela “se justifie médicalement”.
Perspectives
Et pourtant, l'Etude comparative susmentionnée affirme l'existence d'un manque de consensus européen en indiquant que la préservation de l'intérêt supérieur de l'enfant est peut-être la seule tendance commune reconnaissable parmi les Etats membres.
L'Etude comparative analyse également le potentiel de réglementation de la maternité de substitution au niveau de l'Union européenne et ses bases juridiques possibles : la liberté de circulation des patients, consacrée par l'article 56 (services) et l'article 168 (santé publique) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; la liberté de circulation des citoyens et la citoyenneté européenne garanties par les articles 20 et 21 du TFUE ; et la non-discrimination, à l'article 19 du TFUE, pour n'en citer que quelques-uns.
En attendant, deux affaires sont en instance à la Cour européenne de Justice (Affaires C-167/12 et C-363/12) et trois autres à la Cour européenne des Droits de l'homme (Sylvie Mennesson et autres contre la France, Francis Labassee et autres contre la France et Paradiso et Campanelli contre l'Italie), principalement en liaison avec l'article 8 (droit au respect de la vie privée et de la vie familiale) et l'article 14 (interdiction de discrimination) de la Convention européenne des droits de l'homme.
En tout cas, compte tenu notamment de la complexité de la question et de la compétence limitée qui est reconnue à l'Union européenne en matière de droit familial, l'Etude comparative suggère qu'une approche globale serait la plus souhaitable pour régir cette question et elle fait même une proposition s'inspirant de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale (1993) en vue de réglementer la maternité de substitution transfrontalière.
Il s'agit vraiment d'une question de la plus haute importance sur le plan éthique et juridique, à suivre de près dans un avenir proche !
José Ramos-Ascensão
COMECE