Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La réponse publique "Je suis Charlie" par Jean-Pierre Delville, Evêque de Liège, spécialiste de l'histoire du Christianisme

IMPRIMER

La réponse publique "Je suis Charlie"

par Jean-Pierre Delville, Evêque de Liège,

spécialiste de l'histoire du Christianisme

Cette journée du 7 janvier 2015 marque un sommet de violence dont la symbolique est énorme. Deux logiques s’affrontent : la logique hyper-identitaire des frères Kouachi qui se réclament abusivement de l’islam, et la logique hyper-critique des douze journalistes de Charlie-Hebdo, sauvagement assassinés. Les deux logiques font partie de la mondialisation vécue aujourd’hui. Suite à cet attentat, beaucoup de Français ont adopté le slogan « Je suis Charlie ». 

La logique de « Je suis Charlie »

Pourquoi se reconnaît-on à ce slogan, même si on ne partage pas nécessairement les idées de Charlie-Hebdo ? « Charles » ou « Charlie » est un nom identitaire de la France. C’est le nom de son premier roi Charles Ier, qui n’est autre que Charlemagne. « Charles » est un nom germanique, « Karl », car Charlemagne et toute la dynastie des rois carolingiens est germanique, elle est de la tribu des Francs. Ce sont les Francs, entrés en Gaulle dès le 4e siècle, qui vont transformer les Gaulois en « Français », c’est-à-dire « Francs ». L’identité française est donc plurielle : elle est la fusion de la culture germanique avec la culture gauloise, d’origine latine et celte. Cette fusion s’est faite grâce à l’influence du christianisme, qui a beaucoup inspiré Charlemagne. Dire « Je suis Charlie » reflète cette expérience millénaire de rencontre des cultures germanique et latine ; c’est le reflet d’une culture plurielle. 

La logique des frères Kouachi et du wahhabisme

Face à cela, l’Islam revendiqué par les terroristes est un ersatz d’Islam. Il s’agit du courant wahhabite, qui est une reconstitution fictive de l’Islam médiéval, simplifié à l’extrême et réduit à certaines lois codifiées dans la sharia. C’est un Islam de combat, destiné à s’opposer au pluralisme et au matérialisme de la culture mondiale actuelle. Il s’agit d’une culture de revanche face aux humiliations subies par l’Islam suite à la chute de l’Empire ottoman en Turquie (1918) et à la perte de toutes ses possessions européennes (les Balkans), suite aussi aux oppressions engendrées par les colonisateurs anglais et français sur les régions musulmanes historiques (Pakistan, Syrie, Irak ; Algérie, Tunisie). Cette identité devient un véritable fascisme, comme l’a montré le P. Emilio Platti dans Tertio (décembre 2014). Ici il s’agirait d’une inspiration de la branche yéménite d’Al-Qaïda.

La nécessité du dialogue et de la liberté d’expression

Cette opposition entre une identité plurielle et une identité fermée a provoqué l’attentat du 7 janvier. La réaction « Je suis Charlie » manifeste la conscience de l’importance d’une identité ouverte, dans notre monde actuel. Pareille identité entraîne la nécessité d’un dialogue. C’est ce que voulaient provoque les journalistes de Charlie-Hebdo par leur liberté d’expression. Elle demande un surplus d’engagement. Le monde musulman a compris l’importance de ce dialogue ; un iman du Hezbollah a dit très clairement ce vendredi 9 janvier : « Les djihadistes de Paris ont fait bien plus de tort à l’Islam que les caricatures de Mahommed parues dans Charlie-Hebdo ».  

Le rôle des guerres dans la diffusion du terrorisme

Inversement les guerres qui s’éternisent dans le monde, comme en Syrie et en Irak, produisent des guerriers qui, revenus dans leur pays, ont tendance à continuer à agir comme guerriers. Ils sont autant de bombes à retardement. Pour endiguer le phénomène, il faut avancer dans le dialogue et arrêter la guerre. Pour arrêter la guerre en Syrie, il faut mettre la Russie dans le coup, car c’est elle qui détient les clés de la solution ; c’est elle qui tient au gouvernement de Bachar El-Assad parce qu’il protège la flotte russe dans les ports syriens. On doit donc éviter de diaboliser constamment la Russie et son régime, si on veut avancer vers la paix. Une voie ouverte est de commencer par la pacification d’Alep. Cette grande métropole culturelle est habituée au dialogue interreligieux. Mais elle est disputée entre les deux partis, le régime syrien et le Daech des djihadistes. Sa pacification serait un pas exemplatif. L’ONU s’y attèle, à l’initiative de de la Communauté S. Egidio. Tout ceci exige de dépasser des a priori faciles.

L’enchaînement : l’attentat anti-juif de la Porte de Vincennes et celui de Maiduguri au Nigéria

Samedi 9 janvier, s’est ajouté l’attentat commis pas Coulibaly contre l’Hyper Cacher, magasin juif de Paris, à la Porte de Vincennes. Il est significatif de cette volonté d’exclusivisme du mouvement djihadiste. On apprend au même moment qu’une bombe a tué 19 personnes au Nigéria, sur le marché de Maiduguri, ce 10 janvier. Elle manifeste une action de Boko Haram, le mouvement terroriste qui attaque la population nigériane. L’attaque a fait plus de morts que celle de Paris, mais bien moins de bruit. Elle est bien moins médiatisée. Mais elle relève de la même logique.

La piste du dialogue interreligieux et de l’évangile

C’est pourquoi face à ces périls, seul le chemin du dialogue entre les religions et les convictions, dans le cadre d’une société plurielle et respectueuse de l’autre est porteur d’avenir. Le rôle des chrétiens est fondamental, car leur habitude à vivre un idéal de foi dans le cadre d’une pluralité du message originel (les deux testaments, les quatre évangiles) leur permet de diffuser la logique de l’amour dans le respect mutuel.

Jean-Pierre Delville

+ Evêque de Liège

Commentaires

  • "C’est ce que voulaient provoquer les journalistes de Charlie-Hebdo par leur liberté d’expression."...
    Sans rien enlever à l'indignation face aux actes de ces djihadistes, au nom de la liberté d'expression, je pense que les journalistes de Charlie Hebdo portent aussi une lourde responsabilité. Ils ont bafoué des symboles religieux musulmans et chrétiens. Nous en connaissons de nombreux exemples qu'il n'est pas nécessaire de détailler au sujet du prophète, de Marie, de Jésus, du pape... Nous aussi chrétiens sommes lésés par leurs abus. Faut-il assez d'humour pour en rire? Je ne le pense pas. On est dans l'ordre d'une sorte de dérision idéologique. C'est une forme d'agression.
    Leur journalisme anarchiste incendiant les symboles religieux de l'Islam a mené aussi à ce bain de sang. La liberté de la presse ce n'est pas dire ou dessiner n'importe quoi, c'est aussi savoir se retenir. Les journalistes doivent faire part de responsabilité et de respect du sentiment religieux sans le tourner en dérision.
    Dommage que notre évêque ne charge pas explicitement Charlie hebdo qui a certes sa part dans ce qui est arrivé.

  • Et la liberté de pensée ? Mgr Delville a bien fait de ne pas charger explicitement Charlie Hebdo !

    Fini le temps où, pour écrire, exprimer une pensée, une idée, il fallait l'autorisation de l'Eglise.

    Fini le temps où on nous disait ce qu'était un blasphème !

    Fini ... Oui c'est définitivement fini !

    Fini le temps où l'ON m'imposera une manière d'être, de penser, de me dire comment je dois prier, considérer les dogmes ...

    FINI ! Oui, je suis "Charlie" !

    Et croyez-le, Charlie sera SUIVI !

    L'Eglise va perdre son POUVOIR ? Quelle chance !
    Elle va revenir aux sources !

  • M. Delen,

    Personne ici ne parle d'interdire Charlie Hebdo, ni de ne publier des choses qu'avec l'assentiment de l'Eglise, ni nostalgique d'une inquisition qui pourrait vous mettre sur le bûcher. Quant au sujet de débattre si l'exercice de la liberté d'expression qu'a choisi Charlie Hebdo est bon ou souhaitable, vous conviendrez que c'est un sujet de débat tout à fait honorable et j'ai pu constater par moi même à plusieurs reprises ces derniers jours qu'il est fort discuté, chez nous comme à l'étranger. Répondre à cette question par la négative ne veut pourtant pas dire qu'on souhaite interdire Charlie ni qu'on justifie le meurtre de ses auteurs !

    Pour ma part, j'estime (comme de nombreux journaux internationaux qui ont refusé de publier leur caricature pour cette raison - et non pas par crainte de représailles comme on l'a prétendu) qu'il y a une frontière entre la satire et l'insulte publique, et que Charlie Hebdo la franchit allègrement. J'estime que c'est un journal nuisible qui participe à la destruction de la culture occidentale et provoque gratuitement ( entre autres la culture musulmane mais pas que, loin de là) sans contribuer en quoi que ce soit à la construction d'un monde meilleur. Ils pratiquent de plus cet usage outrageant, outrancier et irresponsable de la liberté d'expression qui finira un jour par la détruire. Cela ne m'empêche pas de rejeter sans équivoque le crime odieux qui a été commis et de pleurer ses victimes. Cela ne veut pas dire non plus qu'ils ont mérité en quelque manières que ce soit ce qui leur est arrivé, ni qu'ils l'ont cherché. Ca veut juste dire qu'il y a une différence entre dénoncer le lâche assassinat d'une victime et s'identifier à elle en glorifiant tout ce qu'elle a fait.

  • Joseph,
    merci pour votre réponse nuancée !
    Le vrai partage c'est lorsque chacun est invité à échanger ses idées, ses valeurs, sans pour autant dénigrer l'autre.

    C'est si rare ici que je tenais à vous l'exprimer.

    Merci et bonne journée

  • Superbe texte qui tient compte des diverses sensibilités.

  • Oh ! Jacques Delen, vous nous écrivez avec des lettres capitales ... ce qui expriment la colère !
    Vous savez, rien n'est plus comme avant, depuis le 07 janvier. Il faut nous calmer, cher frère. Et ... comme le dit et le souhaite le Pape François, cet avant-midi, en direct depuis Rome ... le plus important, c'est la "Paix du Cœur"
    On peut trouver, pour nous aider un petit traité sur la "Paix du Cœur" aux Ed. des Béatitudes : "Recherche la Paix et poursuis-là" par Jacques Philippe.

    On peut aussi faire une réflexion : Avec un crayon,les gens talentueux peuvent aussi dessiner de très belles choses. La chapelle Sixtine est un bel exemple parmi tant d'autres ...
    Tout vient du "cœur" et aussi de notre propre volonté.

    Heureusement, nous savons que pour notre bien à tous, le Créateur a prescrit les tables de la loi. C'est la Sagesse qui nous vient du fond des âges et non de mains d'hommes !
    Liberté, oui, mais pas sans les règles, selon moi.

  • " L'Eglise va perdre son POUVOIR ? Quelle chance ! "

    Je peux vous suivre, Jacques, s'il s'agit du "pouvoir sur" qui n'a plus d'avenir, quoiqu'il y ait pu se justifier à certains moments de l'histoire, pour la survie de l'Eglise.

    Mais il ne faudrait pas que sa disparition entraîne avec elle celle de son "pouvoir de" dont rêvent tous nos adversaires. Je ne doute pas que vous serez sensible à cette nuance. Reste à savoir comment faire. Mais c'est tout un débat qui nous dépasse sans doute largement.

  • Rien n’excuse cet horrible attentat. Ce n’est pas la question. Mais écrire que les journalistes de « Charlie-Hebdo » voulaient manifester « par leur liberté d’expression » l’importance d’une identité ouverte et la nécessité d’un dialogue me paraît bien audacieux.

    Je ne sais pas si la « pédagogie » des satiristes de « Charlie-Hebdo » était la meilleure manière de procéder. Je crois même que les faits démontrent le contraire.

    Ces libertaires soixante-huitards traitaient aussi le Christ et la Vierge Marie de la même manière que Mahomet.

    Pour l’athéisme nihiliste « ce qui est sacré en démocratie, c’est que rien n’est sacré. Tout peut être critiqué, contesté, remis en cause jusque dans ses fondements – tous les pouvoirs, tous les dogmes, toutes les certitudes » (Edouard Delruelle, ancien directeur-adjoint du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme).

    Wolinski disait vouloir être incinéré. Il avait même confié à sa femme: «Tu jetteras les cendres dans les toilettes, comme cela, je verrai tes fesses tous les jours » : un humour qui ne dénote peut-être pas une haute idée de l’homme non plus. Dans la même veine, mais plus policé, Voltaire disait : « Dieu a fait l’homme à son image et à sa ressemblance et l’homme le lui a bien rendu ».

  • " On doit donc éviter de diaboliser constamment la Russie et son régime, si on veut avancer vers la paix. "

    Là, je suis complètement ébahi par cette déclaration osée et je tire bien bas mon chapeau à notre pasteur pour cette audace qui risque de lui valoir le martyre.
    Car l'enjeu de la Syrie, pour la Russie, va infiniment plus loin que la possession d'une base navale à Tartouz, la seule base militaire d'ailleurs qu'elle possède dans le monde, en-dehors de ses anciennes républiques soviétiques (pendant que les USA s'en offrent environ 750 hors territoire propre, grâce à la magie du dollar trafiqué, cherchez le vrai dictateur).
    En fait, la Syrie n'est qu'un des éléments d'un ensemble plus vaste - proche et moyen-orient - qui représente un pôle géostratégique essentiel. Ce n'est pas un hasard si pratiquement toute la région est à feu et à sang, grâce notamment aux ingérences directes des USA en Irak et en Afghanistan (sans compter l'Afrique du Nord)et indirectes en Syrie. Le but, c'est le contrôle de toute cette partie du monde - située au centre-sud du continent euro-asiatique - selon la géostratégie de Z. Brzezinski, théoricien majeur de l'hégémonie américaine. Selon cette stratégie (exposée dès la chute de l'URSS et notamment dans "Le grand échiqier", en 1996 ), le contrôle du continent eurasiatique, de l'Europe à la Chine, est indispensable au maintien de l'hégémonie mondiale américaine, acquise depuis l'effondrement de l'empire soviétique. Depuis lors, l'Amérique contrôle l'Europe (création US, voir les implantations de l'OTAN) ainsi qu'un partie du proche et moyen-orient, le processus est en cours mais non achevé, d'où les guerres en cours et les printemps arabes).
    Restent la Russie et la Chine qui refusent d'être vassalisées par les USA , sans aucun pouvoir majeur de décision ( monde multipolaire vs / monde unipolaire ) , comme vient encore de le rappeler Vladimir Poutine dans un récent discours. Crime de lèse-majesté s'il en est, punissable des pires sanctions pour autant que les victimes se laissent faire, ce qui ne semble pas vraiment acquis. Une guerre latente est donc désormais en place, en attendant une éventuelle guerre patente. Soit dit en passant, l'Ukraine manquait encore au puzzle du contrôle européen, d'où la révolution du Maidan, largement soutenue et provoquée par les mêmes. Selon Brzezinski, en effet, l'Europe ne sera militairement efficace que quand l'axe France-Allemagne-Pologne-Ukraine sera réalisé. L'Ukraine est par ailleurs qualifiée par lui de "pivot régional", on comprend mieux ainsi la "crise" actuelle.

    (Suite dans mon prochain message.)

  • ( Suite de mon précédent message ),

    " Une voie ouverte est de commencer par la pacification d’Alep. Cette grande métropole culturelle est habituée au dialogue interreligieux. Mais elle est disputée entre les deux partis, le régime syrien et le Daech des djihadistes. "

    Exact, et cela éclaire même toute l'histoire de la rébellion syrienne. On se souviendra en effet que c'est dans cette ville - ainsi qu'à Homs - que la rébellion a commencé. https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_syrienne
    Et cela permet d'imaginer que les djihaddistes en sont à l'origine. Jusque là, ils étaient restés dans l'ombre mais, en 2011, suite à on ne sait quel signal, ils sont passés à l'action.
    Ils n'étaient pas les premiers à le faire, d'ailleurs, on se souviendra par exemple du massacre des moines trappistes de Tibhirine (Algérie) en 1996. Et aussi, bien sûr, des attentats du 11 septembre 2001, date fétiche du passage à l'acte.
    Avant cela, le wahhabisme, dont procèdent tous les mouvements radicaux et spécialement djihaddistes ( salafistes en Tunisie, takfiristes en Libye, talibans en Afghanistan, etc..) s'étaient employés à établir discrètement leurs bases dans les pays musulmans puis en occident. Son fondateur, Mohammed ibn Adul Wahhab, installa sa nouvelle doctrine en Arabie, vers 1750, à l'instigation de la Grande Bretagne, soucieuse de torpiller l'Empire ottoman (chose faite en 1918) en même temps que l'islam. Sa doctrine s'opposait à celle du Prophète lui-même et à tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui, considérés comme mécréants éliminables à merci. Une hérésie pire encore que le chiisme, vue du côté sunnite, et aussi du côté chiite. C'est pourquoi il est historiquement et doctrinalement hors de question de faire l'amalgame entre le wahhabisme / djihaddisme et le reste de l'Islam.
    A côté de cette subversion religieuse , les Anglais favorisèrent l'avénement politique de la famille Al Saoud qui dirige depuis lors l'Arabie. Après la dernière guerre, les Américains prirent la relève des Anglais et les Saoudiens sont encore aujourd'hui leurs grands alliés dans la région (avec le Qatar).
    Ce n'est un secret pour personne que les Saoudiens ont exporté partout leur wahhabisme, y compris dans nos mosquées de Belgique et de France notamment. On en paye aujourd'hui le prix.
    En Syrie, ils ont armé et financé la rébellion contre Bachar el Assad, faisant ainsi le travail que les Américains n'avaient pu faire directement comme en Irak, suite à la réaction ferme de Vladimir Poutine.
    D'où il me paraît fort peu probable que le voeu de notre évêque Jean-Pierre soit exhaussé de sitôt et je le regrette autant que lui.
    Il serait très intéressant aussi de remonter aux origines des familles Al Wahhab et Al Saoud. Mais cela nous amènerait sans doute à franchir "un pont trop loin". Une autre fois peut-être ?

Les commentaires sont fermés.