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Le sort des chrétiens d'Orient et l'indifférence monstrueuse de l'Occident

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Lu sur Atlantico.fr :

Des centaines de chrétiens enlevés par l’Etat islamique : les ressorts d’une curieuse indifférence

Face au silence médiatique et politique, Jean d'Ormesson a pris la parole pour avertir des atrocités commises par l'Etat islamique contre les populations chrétiennes. Pourtant rien n'y fait, c'est comme crier dans le désert.

Atlantico : 222 chrétiens ont été enlevés le lundi 23 Février au nord-est de la Syrie. Quelques jours plus tôt, 21 coptes ont été égorgé en Libye. Face à cette attitude "génocidaire" selon les mots de Jean d’Ormesson, l’une des rares personnalités à s’être exprimée à ce sujet , c’est le silence qui prévaut. Pourquoi, alors que le sort des Yézidis émeut tant, n’en va-t-il pas de même pour les chrétiens ? 

Sébastien de Courtois : Le sort des chrétiens d’Irak et de Syrie est lié intrinsèquement avec celui des autres minorités non musulmanes, dont les Yézidis.

Il n’y a pas à hésiter ni à faire la différence entre elles. Leurs destins sont liés et elles se battent ensemble. Si la démocratie et la liberté ont un avenir dans cette partie du monde, c’est grâce aux combats qui se jouent actuellement dans l’Est de la Syrie. La résistance des Kurdes et de leurs alliés chrétiens est héroïque face aux forces de l’obscurantisme.

Nous sommes confrontés à un fond d’ignorance qui est le résultat de décennies de déni, en France, tant par rapport à l’Orient, « compliqué » soit disant, que par rapport à l’histoire des religions dont nous nous méfions, et surtout vis-à-vis du christianisme, religion dont nous avons honte parce qu’elle fut la nôtre. La vérité est que la pensée contemporaine ne comprend plus ce vieux fond christiano-mésopotamien qui a été pourtant la matrice de nos propres cultures, au même titre que l’héritage grec ou romain. Rien ne sert de clamer le besoin de vivre ensemble sans chercher avant tout les endroits où les chrétiens, les juifs et les musulmans ont pu et peuvent cohabiter en paix ? Eh bien intéressez-vous aux grandes villes d’Orient et regardez ce qui a existé ! Ne cherchons pas des solutions miracles à coups d’idéologies. J’ai peur que le laïcisme actuel en soit une : sois laïc et tais-toi. Non, il y a d’autres voies, plus souples, où chaque croyance doit trouver sa place dans notre société.

Oui, le silence actuel est étonnant. Pourtant, dire, exprimer, comprendre, ne coûte pas grand chose. Souvent, les gens que j’ai interviewés pendant les exils du nord de l’Irak l’été dernier ne demandaient qu’à être écoutés avant tout. Il y a les causes où l’on se sent concerné et d’autres moins. Si Gaza rassemble, les chrétiens découpés sur le Khabour où sur une plage de Libye n’intéressent pas vraiment au-delà de la seule émotion. Pourquoi ? C’est à chacun de répondre en son cœur. Pourtant, ces cultures sont liées avec la nôtre, la langue parlée par ces gens, l’araméen ou le copte, sont des idiomes qui nous ont beaucoup apportés. Mais ne parlons pas de culture, parlons des gens simplement. La croix dérange. Ces gens-là étaient bien chrétiens avant « nous » et n’ont pas été convertis par les croisés… 

Notre société est préservée depuis 70 ans des horreurs de la guerre. Pèche-t-elle aujourd’hui par égoïsme ? La sécurité dans laquelle nous vivons nous fait-elle oublier ce qui se passe ailleurs ?

Sébastien de Courtois : Nous ne devons plus accepter cette vision manichéenne que nous avons des chrétiens d’Orient. Ils ne méritent pas nos divisions politiques. C’est une honte ! C’est la plus grande lâcheté du monde intellectuel et politique actuellement. J’aime beaucoup Jean d’Ormesson, mais ce n’est pas suffisant. Il y aurait tant à dire tant à écrire sur ces questions. J’ai vu des articles mensongers publiés sur des sites internet réputés pour leurs scoops politiques, dire des bêtises sur l’État islamique, des approximations sur l’histoire des chrétiens d’Orient alors que tout est disponible sur Wikipédia… Je rêve d’une pleine page de Libé en une dénonçant ces mêmes crimes, je leur ai écrit à ce sujet, les réponses sont polies mais rien ne suit.

Les plus courageux sont les intellectuels musulmans, ils savent de ce dont ils parlent, ils connaissent l’importance de la présence des chrétiens en Orient, mais même eux on ne leur laisse pas la parole. Eux savent le besoin d’altérité indispensable à ces sociétés. Je crois que nous avons perdu l’esprit des causes, expliquer sans juger, mais combattre l’indifférence et le mensonge. Pour cela, il faut briser ce mur d’ignorance, et se renseigner sur l’histoire. Les chrétiens qui sont assassinés dans le Khabour actuellement avaient déjà fui les massacres de Sémel en 1933, en Irak, et avant cela ceux du Hakkâri en 1915 dans le sud-est de la Turquie… Hassaké et Qamishli sont des villes qui ont été construites par des ingénieurs français pendant la période du mandat en Syrie, comme les immenses travaux d’irrigation qui ont permis de les sédentariser pour faire vivre ces familles. Et nous ne sommes pas capables de leurs consacrer une heure d’émission à la télévision ?

Bertrand Vergely : Notre société a des indignations et des larmes sélectives. Lorsqu’un Tsunami se produit en Thaïlande, il y a de l’émotion. Ne pensons pas donc que notre société est indifférente. Seulement, elle a ses préférences. On lui dicte ses préférences. Un Tsunami se produit en Thaïlande ? Les dons affluent. Pourquoi ? Parce qu’on s’identifie aux Thaïlandais. On n’aimerait pas que cela nous arrive. On n’aimerait pas être sur une plage et que soudain une vague nous enlève ce que nous avons de plus cher. Donc, pour se prémunir contre le mauvais sort on pense aux Thaïlandais en leur envoyant un chèque dont ils ne verront jamais la couleur, l’argent étant détourné au passage. Des chrétiens meurent ? Qui a envie de s’identifier à eux ? Le christianisme n’est-ce pas  un ensemble de niaiseries comme n’a cessé de le dire Charlie ?  Le petit Jésus, la vierge Marie, la crèche, le bon Dieu, ça ne fait pas recette. Ça ne donne pas envie de rêver. Donc, on oublie et on passe à autre chose. Pour dix journalistes tués par des fanatiques islamistes il y a eu quatre millions de personnes dans la rue. Pour des centaines de chrétiens massacrés par ces mêmes fanatiques islamistes, il n’y aura jamais personne dans la rue.

Comment le christianisme est-il considéré aujourd’hui au sein de la société ?

Bertrand Vergely : Il faut comprendre le climat mental dans lequel nous évoluons depuis des dizaines d’années. Quand j’interroge mes élèves au sujet de la religion, tous me répondent que celle-ci est le mal sur la terre, toutes les guerres étant de leur faute. Quand j’écoute le monde autour de moi, quand il est question du christianisme, la réaction est immédiate. Le christianisme et en général le judéo-christianisme = culpabilité. Résultat, dans l’esprit des gens comme de la majorité des journalistes, christianisme = mal = culpabilité.

Et par extension, christianisme = fascisme. D’où, cette conclusion inconsciente : le christianisme étant fasciste on ne parle pas de ce qui arrive aux chrétiens, parler d’eux revenant à défendre le fascisme. Des musulmans se feraient massacrer par des chrétiens ?  Croyez-moi on en parlerait. Des chrétiens se font massacrer par des musulmans ? On n’en parle pas. Et, quand on en parle, c’est comme lors des attentas contre Charlie hebdo, pour expliquer que le terrorisme n’a rien à voir avec l’Islam.  Nous vivons une propagande antichrétienne, le but de notre société étant d’éradiquer son passé chrétien. Quand on veut mentalement liquider le christianisme il est fatal que pratiquement on ait du mal à parler des chrétiens que l’on liquide, le désir de liquider mentalement le christianisme étant plus fort que les chrétiens qu’on liquide pratiquement..

Nos réticences à en parler peuvent-elles s’expliquer par une volonté de ne pas alimenter l’idée d’une guerre de religions ?

Bertrand Vergely : Je ne vois pas en quoi dire que des chrétiens se font massacrer fait le jeu de la guerre des religions. Mais, vous avez raison, dans le climat antichrétien actuel, dire que des chrétiens se font massacrer en Syrie et en Lybie apparaît à toute une partie de l’opinion très antichrétienne comme de la propagande chrétienne. C’est dire ce que l’antichristianisme a réussi à faire. Il est parvenu à nous rendre méchant voire monstrueux. La haine du christianisme est telle que parler d’un chrétien que l’on tue est perçu comme une atteinte à la laïcité. Non seulement être chrétien en France consiste à se taire, mais en plus à devoir se taire quand on tue des chrétiens. Michel Onfray dans son Traité  d’athéologie appelait de ses vœux un nettoyage urgent de nos inconscients trop imprégnés, selon lui,  par les miasmes du christianisme.  Constatons-le : c’est fait. Notre inconscient n’est plus chrétien mais antichrétien.

Quelle serait la réponse la plus efficace pour venir en aide aux chrétiens d’Orient ? À quoi une indignation sérieuse et générale pourrait-elle aboutir ?

Bertrand Vergely : Les chrétiens que l’on massacre en Orient sont le reflet du christianisme que nous avons massacré en nous et chez nous. Si l’on veut les  aider, il faut arrêter de tuer le christianisme comme nous sommes en train de le faire. Comme nous ne respectons plus celui-ci, il est normal qu’ailleurs on ne le respecte pas. Il n’y a pas que Daech qui égorge des chrétiens. Nous qui jouons aux démocrates branchés en crachant  sur toutes les religions à commencer par la nôtre au nom de la liberté de l’esprit, nous sommes aussi des égorgeurs. Les chrétiens d’Orient qui se font massacrer aujourd’hui dans l’indifférence générale n’ont pas besoin de notre pitié. Ils ont besoin de notre foi, cette foi que nous n’avons plus et qui pourtant sauve tout. Le jour où on arrêtera de tuer le christianisme en Occident, il y aura moins de chrétiens que l’on égorge en Orient.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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