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Les 500 ans de la naissance de Thérèse d'Avila

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unnamed.jpgLu sur la-croix.com (Claire Lesegretain):

« Thérèse d’Avila, c’est l’action amoureuse ! »

Alors que l’on célèbre, samedi 28 mars, le 500e anniversaire de la naissance de sainte Thérèse d’Avila, la romancière Christiane Rancé publie une excellente biographie de cette grande mystique espagnole (1).

ENTRETIEN avec Christiane Rancé, romancière et essayiste

Pourquoi la jeune Teresa de Ahumada y Cepeda décide-t-elle d’entrer au carmel à l’âge de 20 ans alors qu’elle aimait tant plaire ? 

Christiane Rancé : Elle-même n’a pas tout dit à ce sujet… Dans son autobiographie, elle dit qu’elle a été heureuse chez les augustines du couvent de Notre-Dame-de-Grâce lorsque son père l’y a envoyée à l’âge de 16 ans. Et pourtant, ces 18 mois d’internat étaient une mesure disciplinaire : elle s’était conduite de façon très dissipée avec ses cousins ; elle avait un amoureux qu’elle retrouvait en cachette. Rien d’irrémédiable n’avait été commis, dit-elle, mais sa réputation était menacée.

De plus, après le mariage de sa sœur Maria, Thérèse – orpheline de mère depuis l’âge de 13 ans – portait la charge de la maison. Elle avait une petite sœur et neuf frères. Dans l’Espagne du XVIe siècle, les femmes ne pouvaient vivre qu’à l’ombre d’un père, d’un mari ou d’un prêtre. Mais son père s’étant appauvri, il ne pouvait lui allouer la dot dont il avait gratifié sa fille aînée. Thérèse ne pouvait donc plus prétendre à un beau mariage. Et puis elle a vu sa mère mourir à 33 ans, épuisée à la naissance de son neuvième enfant. Enfin, à Notre-Dame-de-Grâce, elle a trouvé une bibliothèque et la conversation d’une religieuse érudite et inspirée. Et après une lecture édifiante chez un vieil oncle, elle jure de se faire religieuse : « Je voyais que c’était l’état le plus sûr et peu à peu je me décidai à me faire violence pour l’embrasser », écrira-t-elle.

Quelle influence ses lectures spirituelles ont-elles eu dans son parcours intérieur ? 

C. R. : Enfant, Thérèse lit quelques hagiographies. Au couvent, elle dévore tous les grands auteurs chrétiens qui viennent d’être traduits en castillan. Elle subit deux très fortes influences : celle de Francisco de Osuna, et son « Troisième abécédaire spirituel », et surtout, celle de saint Augustin dont les « Confessions » la bouleversent.

Si Thérèse d’Avila choisit le couvent, c’est donc aussi pour déployer ses aspirations intellectuelles… 

C. R. : Il y avait aussi chez elle une foi chevillée à l’âme. Elle croit en Dieu et dans le salut éternel. Pour le gagner à coup sûr, elle décide à 8 ans de fuguer avec son frère pour aller mourir en martyr sous le cimeterre des Maures ; et à 20 ans, le 2 novembre 1535, elle quitte subrepticement la maison paternelle pour entrer au carmel de l’Incarnation. Son père ne voulait pas qu’elle le quitte et lui avait fait jurer d’attendre qu’il soit mort pour prononcer ses vœux. Elle prendra l’habit avec sa bénédiction le 3 novembre 1537.

Il ne faut pas croire qu’elle ait eu la vocation pour autant. Au couvent, comme la majorité des religieuses de son temps, elle menait une vie mondaine. D’autant plus qu’elle est jolie, spirituelle et qu’elle aime plaire. À plusieurs reprises, elle tente de s’amender pour ne se consacrer qu’à Dieu, mais en pure perte. Elle reste ainsi pendant vingt ans.

Qu’est-ce qui se passe pour que Thérèse d’Avila devienne soudainement une mystique ? 

C. R. : « Je ne jouissais pas de Dieu et je ne trouvais pas de satisfaction dans le monde », écrit-elle. Vingt ans de sa vie passent ainsi, jusqu’à ce jour de 1554 où, à 39 ans, entrant dans l’oratoire, elle tombe sur une sculpture du Christ en sang. C’est le déclic : « Si grande fut ma douleur devant l’ingratitude dont j’avais payé de telles blessures que je croyais sentir mon cœur se briser ». Elle comprend à quel point le Christ a dû aimer les hommes, et combien il l’aime, elle, petite carmélite ingrate, pour avoir donné sa vie pour la sauver.

Comment définiriez-vous sa spiritualité ? 

C. R. : Il est difficile de la résumer, tant elle est riche et subtile. Thérèse d’Avila trouve sa force dans l’oraison, et sa mystique répond aux urgences et aux angoisses de son époque. En effet, le théocentrisme et le géocentrisme, qui offraient une vision harmonieuse du Cosmos, ont volé en éclat avec la Réforme luthérienne d’une part, et la révolution copernicienne d’autre part. Or Thérèse, avec son « Château intérieur » remet Dieu au centre de l’univers en le situant au centre de l’âme de chacun. Sa spiritualité s’articule ainsi autour de trois pôles : une compréhension lumineuse de l’Incarnation et de ce qu’elle engage comme réponse ; une invention – comme on le dit pour la découverte d’un trésor – du centre de l’âme comme résidence de Dieu ; et enfin, une priorité donnée à la prière comme opération amoureuse sur le monde.

Thérèse d’Avila est connue pour ses extases, ses lévitations… Comment parler de tels phénomènes aujourd’hui ? 

C. R. : Il faut accepter l’éventualité que ces phénomènes existent. D’ailleurs, Thérèse n’a pas été la seule à les vivre. De plus, elle s’est donné les moyens d’atteindre ces états : par l’ascèse, la discipline, le silence, la prière, la méditation, l’intériorisation… Elle a cherché par son corps, qui est le tabernacle de l’âme, à s’unir à Dieu. Ses extases sensuelles sont l’expression de cette union : elle n’en rougit pas – car les délices qu’elle éprouve sont en accord avec le christianisme qui est la religion de l’incarnation – et elle ne s’en enorgueillit pas non plus – malgré de telles faveurs divines, elle reste totalement humble face à ces ravissements. Elle invite ses « filles » à les dépasser, précisant que dans la « Septième demeure », il n’y a plus d’extases, mais seulement le sentiment de plénitude et d’harmonie.

Enfin, après l’avoir désirée, elle refuse que son union à Dieu soit anéantissement de l’âme. L’âme doit rester libre d’aimer ou de ne plus aimer. Et cette liberté qui est celle de l’Esprit Saint l’aide à comprendre l’autre immense mystère du christianisme : la Trinité. L’union à Dieu se fait par l’Esprit Saint, dans la Trinité.

En quoi la sainteté de Thérèse d’Avila parle-t-elle aujourd’hui ? 

C. R. : Son génie est d’avoir montré la proximité et l’amitié intime de Dieu. Thérèse, c’est l’action amoureuse ! Elle a révélé que l’amour de Dieu, si nous ne l’incarnons pas à notre tour, reste un concept vide. Elle est aussi une mystique au féminin : elle n’est pas mère mais elle est maternelle ; elle n’est pas amante mais elle est d’une sensualité merveilleuse. Et elle est d’un courage insensé.

RECUEILLI PAR CLAIRE LESEGRETAIN

(1) « La passion de Thérèse d’Avila », Albin Michel, 300 p., 19,50 €

 

 

Christiane Rancé

romancière, essayiste et biographe, est partie à la rencontre de cette femme toute de passion, qui illustre aussi l’essence de l’Espagne éternelle, celle d’Ignace de Loyola, du Gréco et de don Quichotte. Elle nous dévoile les paysages qui disent toute la poésie et toute la mystique de ce pays, entre Castille et Andalousie. Elle nous fait toucher la poussière des chemins empruntés par l’Itinérante de Dieu, et comprendre l’importance de son œuvre qui trouvera un puissant écho jusqu’à nos jours.

Christiane Rancé a longtemps travaillé comme grand reporter pour la presse écrite (Le Figaro Magazine et Géo), et a publié plusieurs documents qui ont marqué, entre autres, le Journal de Zlata Filipovic paru chez Fixot.

Parmi ses derniers livres, Jésus (Gallimard, 2008), Simone Weil, Le courage de l’impossible (Seuil, 2009), Tolstoï, Le pas de l’ogre (Seuil, 2010) et Prenez-moi tout, mais laissez-moi l’extase (Seuil, 2013), un essai qui a reçu le « Grand prix des écrivains croyants» et le «prix du livre spiritualité Panorama La Procure».

Elle est également l’auteur des entretiens avec Lucien Jerphagnon parus chez Albin Michel en 2011, De l’amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles et de François, un pape parmi les hommes (2014).

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