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Conjuguer justice et miséricorde

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De Jean-Michel Castaing sur cahierslibres.fr :

Quand justice et miséricorde se rencontrent…

Une tension immémoriale

Le 8 décembre prochain débutera pour l’Église l’année de la Miséricorde. Sans attendre cette date, il m’a paru important de souligner l’importance de celle-ci pour la vie des croyants. De plus, ayant besoin d’un angle d’approche très précis pour ce court article, j’ai choisi d’aborder le sujet de la miséricorde dans son rapport avec la justice.

Thème éternel que ce face à face entre justice et miséricorde ! Très logiquement la justice a été associée à la vérité, et la miséricorde à l’amour. La justice de Dieu nous met face à la réalité de notre péché, de nos contradictions. Quant à la miséricorde, elle déplace le curseur en direction de la bonté : avec elle, Dieu passe outre nos égarements. La justice de Dieu porte la lumière sur nos errements ; la miséricorde, quant à elle, met l’onguent de la tendresse sur nos plaies en y apposant le sceau du pardon. Dieu, à défaut d’être complaisant envers elles, prend pitié de nos faiblesses, parfois même les « comprend ».

De plus, la justice n’est pas seulement l’affaire de Dieu. Nous devons la consolider à notre tour avec nos actes. En religion, cela s’appelle expiation, réparation. Mais point n’est besoin de croire pour cela. En toute justice, nous devons réparer les dégâts que nous avons causés. Par miséricorde, Dieu continue de payer le plus gros de l’addition à notre place – ce qu’il a réalisé principalement en envoyant son Fils dans le monde (dans quelles conditions !).

Cependant, cette distribution des rôle entre justice et miséricorde, vérité et amour, n’est-elle pas trop évidente pour être tout à fait probante ? Les choses ne sont-elles pas un peu plus complexes ? Et si la justice était aussi une question d’amour, et la miséricorde, une question de vérité ?

La justice est aussi une affaire d’amour…

En voulant que nous fassions la vérité sur nous-mêmes, que nous remboursions par exemple ce que nous avons volé, Dieu n’agit pas comme un maître dur et implacable. Au contraire, Il nous estime, nous traite en adultes responsables, capables de rattraper par nous-mêmes les erreurs ou les fautes que nous avons commises. S’Il passait systématiquement l’éponge sur elles, ne nous considérerait-Il pas comme des mineurs perpétuels, incapables de s’orienter dans la vie, et de répondre de leurs actes ?

Un Dieu « papa-gâteau » ne sera jamais un éducateur crédible à la liberté, ni un Père capable d’éprouver de la fierté pour ses enfants. Voilà pourquoi la justice divine est synonyme d’amour, de tendresse. L’amour de Dieu se reconnaît à l’autonomie qu’il laisse à ses créatures, à la liberté qu’il leur accorde, à la vérité qu’il exige de leur part, et enfin à l’exigence de répondre de leurs actes, d’en assumer les conséquences, de stopper les effets néfastes de celles-ci (en nous demandant de recoller les pots cassés par exemple).

…comme la miséricorde, une affaire de vérité

Quant à la miséricorde, elle peut être associée à la vérité en ce sens qu’en pardonnant, Dieu agit en fonction de la vérité de son Être qui est Amour. Car la miséricorde de Dieu n’est pas un attribut divin parmi d’autres, mais le principal. Le monde a été créé par miséricorde : le Tout-Puissant a désiré honorer les tout-petits que nous sommes en les appelant à l’être. Et la Rédemption, acquise dans la mort du Fils bien-aimé, porte davantage encore la marque de cet attribut divin essentiel.

Autrement dit, on ne peut comprendre la vérité du monde sans faire appel à elle. Dieu s’est toujours penché sur la misère de ses créatures. Que l’on songe par exemple à sa sollicitude envers Adam et Eve après leur chute. Dieu leur fournit des vêtements, alors qu’ils viennent de Le trahir ! N’est-ce pas là un signe prodigieux de miséricorde de Sa part ?

Si la miséricorde est la vérité de Dieu, il n’y pas de raison qu’elle ne représente pas également la vérité de l’homme. Celui-ci fait sa vérité, parvient à devenir lui-même lorsqu’il la pratique envers son prochain. Pourquoi ? C’est qu’en pardonnant à mon frère, non seulement je ne me considère pas comme supérieur à lui – ce qui relève de cette vérité que tous les hommes ont tous même et inaliénable dignité – , mais de surcroît j’imite la bonté de Dieu qui désire que personne ne reste enfermé dans son passé, ne soit prisonnier de ses méfaits.

Pardonner les offenses, c’est aussi attester cette vérité : nous sommes tous des ouvriers de la onzième heure, des ouvriers qui ne méritent pas le salaire que Dieu nous paye. Ce qu’Il nous donne n’est pas un dû. Dieu n’est pas notre débiteur. Au contraire, c’est nous qui avons une ligne de crédit chez Lui. Si nous avons moins péché que notre voisin, cela tient souvent à ce qu’Il nous a davantage fait grâce qu’à lui. Pour cette raison, nous aurions mauvaise grâce à ne pas pardonner à ce voisin qui a eu droit à un prêt moins important que nous !

Attention ! Ne ressemblons pas au débiteur impitoyable de la parabole ! En faisant la vérité sur notre vie, nous nous apercevrons vite que Dieu nous a fait plus souvent grâce que nous ne le pensons ! Aussi, en l’imitant, non seulement nous confesserons la vérité de la miséricorde divine à notre endroit, mais de plus nous serons logiques avec notre foi théologale relative à ce que Dieu est en Lui-même.

Pourquoi refuser de pardonner une peccadille à autrui, alors que Dieu a passé l’éponge sur mon égoïsme viscéral ? La miséricorde est bien une affaire de vérité. Je ne peux croire au pardon de Dieu et le refuser à mon pauvre voisin (à qui j’en veux souvent parce qu’il a percé à jour mes défauts ! une affaire de vérité toujours !). Ici aussi, il est nécessaire d’accorder ses actes à sa foi.

Lorsque le Christ nous demande d’être miséricordieux comme l’est notre Père céleste, c’est autant une recommandation morale (amour) qu’une révélation (vérité) qu’il nous dispense. La miséricorde nous ajuste à la vérité intime qui est celle de Dieu pour nous, à ses entrailles maternelles (rahamim). En effet, pour parler de miséricorde, l’Ancien Testament utilise le terme rahamin, dérivé du mot rehem qui désigne le sein maternel, ou les entrailles en lesquelles la culture biblique voyait le siège des sentiments.

Dieu se rend justice à Lui-même en étant miséricordieux

De plus la sainteté de Dieu est si haute que l’homme ne peut pas se comprendre sans la miséricorde de Dieu. Confesser celle-ci, c’est regarder cette vérité : nous sommes faibles, et Dieu est tout aimant. Ainsi Dieu fait justice à la vérité, la sienne comme la nôtre, en nous faisant miséricorde ! Sinon, il n’y aurait plus de monde : la justice implacable nous anéantirait tous.

Dans le livre du prophète Osée, Dieu déclare, après avoir considéré l’infidélité du peuple, et promis néanmoins qu’Il ne le punira pas en proportion de ses fautes :

« Car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis le Saint, et je ne viendrai pas avec fureur » (Os 11,9)

Que retenir de cette déclaration ? Dieu ne veut-Il pas nous faire comprendre par là que sa sainteté, sa transcendance par rapport à nous autres, ne s’exprime pas dans la colère mais plutôt dans la miséricorde ? Comment mieux dire que celle-ci n’est pas antinomique avec sa vérité ? Cette dernière n’est pas l’apanage de la justice ! La miséricorde de Dieu le révèle à la fois comme le Tout-Autre et le Tout-Proche ! Paradoxe de cette distance alliée à cette proximité inouïe ! Paradoxe qui fait écho à celui de l’alliance de la justice et de l’amour.

Ainsi, la justice de Dieu n’est pas contradictoire avec son amour qui nous veut responsables et libres, comme sa miséricorde n’est pas antinomique avec sa vérité. En se penchant sur nos misères, qu’elles soient physiques, morales ou spirituelles, en nous aimant plus que de raison, Dieu au final se rend justice à Lui-même, rend justice à son Être qui est Amour !

Jean-Michel Castaing

Commentaires

  • Beaucoup de catholiques aiment critiquer en ce moment le Pape François en le comparant à son prédécesseur, et me font penser à ceux qui voulaient lapider la femme adultère du temps de Jésus en ne pensant qu'à la loi, en condamnant presque les divorcés remariés aujourd'hui et en attendant du Saint Père qu'il en fasse de même.

    Je pense que le Pape François est davantage dans la pastorale que dans la doctrine même s'il n'enseigne rien qui soit opposé à celle ci. Je le vois comme le bon berger qui laisse ses 99 brebis (qui ont toute la doctrine de Benoit XVI et ses prédécesseurs pour ne perdre aucun repère et garder le cap) pour aller retrouver la brebis égarée.

    Son objectif je pense, et celui de l'Esprit Saint à travers lui, est de rejoindre les pécheurs en ce temps où les portes de la Miséricorde sont encore grandes ouvertes (plus pour très longtemps). Cela ne veut pas dire qu'il faille approuver le mal ou le péché mais on n'aidera jamais le pécheur à se repentir si au lieu de l'aimer on le condamne et on l’assomme avec la loi. Cette loi que Jésus est d'ailleurs venu accomplir et dont il nous libère par le seul fait que nous nous mettions à sa suite. Le suivre c'est accomplir la loi, vivre de cette loi de façon surnaturelle sans en être écrasé car le péché n'a plus alors aucune emprise sur nous.

    A un pécheur qui ne connait pas encore le Christ c'est bien le Christ qu'il faut proposer et non la loi et la condamnation. Bien des catholiques ne comprennent pas cela... Beaucoup pensant être premiers seront finalement les derniers....

    Article intéressant à lire :

    http://www.libertepolitique.com/Actualite/Decryptage/La-tactique-des-medias-en-face-du-pape-Francois

  • Bonjour,

    Quelques précisions qui n'engagent que moi.

    "Beaucoup de catholiques aiment critiquer en ce moment le Pape François en le comparant à son prédécesseur"

    Je ne pense pas qu'un catholique aime ou prenne plaisir à critiquer le pape. Par contre, beaucoup de catholiques sont inquiets parce que plus de deux ans après son élection, ils établissent des constantes, se basant sur des faits, répétés, le tout baignant dans la confusion.

    Un article publié il y a quelques jours sur Benoît et moi illustre parfaitement ce point de vue.

    http://benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/ce-livre-ma-fait-beaucoup-de-bien.php

    Je pense exactement la même chose. Si à l'issue du synode, le pape confirme les paroles du Christ, encourage le peuple de Dieu en se basant sur ses paroles, alors, je ferai amende honorable et je demanderai pardon où il se doit.

    Autre chose: je ne pense pas que ceux qui "critiquent" le pape le comparent à son prédécesseur... mais plutôt à tout ce que l'Eglise a enseigné depuis les origines.

    Vous reprenez aussi, très naturellement, le passage de la femme adultère. Le point crucial n'est pas, je pense, lié à la condamnation par les pharisiens, ou à son contraire, la miséricorde du Seigneur: je dirais plutôt qu'il est dans la conversion, dans le fait de tourner son âme dans la direction de la Vérité. Je pense que nous ne pouvons pas comprendre ce récit, et en vivre nous-mêmes, sans penser à ces paroles de Jésus: "va et ne pèche plus". Or.. la doctrine Kasper, qui n'a toujours pas été désavouée par le pape, au point de justifier encore une fois un ouvrage collectif rédigé par 11 cardinaux (du jamais vu), envisage des pistes soit-disant miséricordieuses qui ne tiennent aucun compte d'un état durable de péché, qui est celui, par exemple, d'une vie d'adultère.

    Evidemment quand on va dans la grosse majorité des églises et qu'on ne trouve jamais de prêtre disponible avant la communion pour se confesser, quand jamais un prêtre n'insiste sur la nécessité d'être propre spirituellement pour prendre la communion, quand un prêtre même vous remballe quand vous arrivez dans son église pour une confession (ça m'est arrivé) en vous expliquant doctement qu'il n'est pas spécialisé là-dedans et que vous feriez mieux d'aller vous faire voir ailleurs, il n'est pas étonnant alors que les exigences chrétiennes passent pour des bizarreries d'un autre âge, que François voudrait à tout prix dépoussiérer.

  • En supposant, je dis bien , en supposant que le Pape François mette un jour la barre un tout petit peu moins haut , la conversion radicale ( comme dans le jeune homme riche , par exemple ) reste quasi impossible . Mais " à Dieu tout est possible " .

    En attendant, le fait que la barre soit haute , ne peut que faire du bien à notre humilité.

  • Puis-je me permettre de faire observer que, selon le texte évangélique, c’est le Seigneur lui-même qui a placé la barre très haut. Il nous a dit aussi que ses jugements n’étaient pas nos jugements : en dernier ressort ceux-ci appartiennent au secret du cœur de Dieu. Nous n’avons pas le droit de nous substituer à Lui en accommodant sa Parole. Même un pape n’y peut rien changer.

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