Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le pape et les réfugiés musulmans : une concession à l'air du temps ?

IMPRIMER

De Jean-François Colosimo sur Figaro Vox (lefigaro.fr) :

Pape François et les réfugiés musulmans : derrière la provocation, une posture prophétique

FIGAROVOX/TRIBUNE - A l'occasion de son déplacement d'une journée sur l'île de Lesbos, le pape François a ramené au Vatican douze réfugiés musulmans. Pour Jean-François Colosimo, la provocation du Saint-Père n'est pas une concession à l'air du temps.


Jean-François Colosimo est écrivain et essayiste. Président du Centre national du livre de 2010 à 2013, il dirige désormais les éditions du Cerf. Son dernier livre, Les Hommes en trop, la malédiction des chrétiens d'Orient, est paru en septembre 2014 aux éditions Fayard.


Sa prédication, le pape François la mène en actes et en personne. Il se rend à Lesbos, au milieu des migrants, et en revient avec douze d'entre eux qui sont des «musulmans» de naissance, de milieu ou d'adhésion. Scandale! Pourquoi aucun chrétien? Cette question même montre l'incompréhension de son magistère qui, comme la crise actuelle, est d'abord d'ordre spirituel.

Le communiqué final, résolument œcuménique, qu'ont cosigné le patriarche Bartholomée de Constantinople, figure tutélaire des chrétiens d'Orient, et l'archevêque Hieronymos d'Athènes, primat d'une Grèce à la souffrance, dément tout angélisme béat ou laxisme bêtifiant. L'impuissance des puissants à imposer la paix par les armes au Levant, à y réprimer les nouveaux esclavagistes qu'ils soient djihadistes, trafiquants, ou les deux, à sécuriser la Méditerranée devenue un cimetière, y est clairement dénoncée. Dans la suite de son discours devant le parlement européen à Strasbourg en novembre 2014, François fustige implicitement le troc entre l'Union de Merkel-Hollande et la Turquie d'Erdoğan: une rançon de milliards d'euros contre un très hypothétique cadenas anti-réfugiés ne relève pas seulement du leurre politique, mais aussi de la faute historique. Plus gravement encore, un tel abandon souligne cette «culture du déchet» que le Vieux Continent substitue toujours plus à sa prétention d'être le «berceau des droits de l'homme».

 

Partout, la même erreur domine. Les frontières ne sont pas que des murs, car elles établissent aussi une médiation qui est la condition d'un rapport dynamique entre l'identité et l'universalité. Voulant mener son Église «du centre aux périphéries», François n'a cessé de lever les clôtures illusoires qui permettraient le pur entre-soi et qui ne sont jamais qu'une ruse de la mondialisation aveugle, livrée aux jeux de la domination, de l'argent, de la peur, et à son pouvoir destructeur d'une humanité partagée. Ce qui vaut à Lampedusa, Bethléem, Istanbul, Damas, Cuba, Mexico, Kiev, Lesbos, mais aussi à Bruxelles, Berlin et Paris.

C'est une thérapie de choc contre le choc des civilisations que ce refus symbolique du moindre particularisme à l'heure de tous les tribalismes. Qu'avons- nous à opposer de plus fort aux nihilistes de Da'ech qui sont prêts à tuer et à mourir pour leur cause, au nom d'Allah et de leur haine de ce que nous sommes? Et d'ailleurs, qui sommes-nous? Au mal maximal d'une guerre civile planétaire, avons-nous pour seule réponse cet autre visage du nihilisme qu'est l'empire absurde des biens? Ou l'emprise irrésistible du Bien dont la nature transcendante est de contrarier les calculs trop humains?

C'eut été donner raison à l'islamisme que d'exercer un choix préférentiel incluant les chrétiens et excluant les autres, à commencer par les musulmans. Car on aurait vite vu combien une telle ambition de sauvegarde mène à creuser l'abîme. C'eut été un arrangement profane, mondain, onusien, que de pratiquer un savant panachage des minorités. Car pareille volonté de satisfaire statistiquement les uns et les autres aurait conduit inévitablement à l'indifférence de tous. C'eut été laisser les musulmans otages de la terreur que de ne pas leur adresser un signe d'exception pour mieux les rétablir dans l'ordinaire du commun.

Or ce signe était là, puisque les deux familles chrétiennes pressenties étaient retardées par des formalités administratives auxquelles le Saint-Siège lui- même ne peut se soustraire. La force du pape est de n'avoir pas reculé devant le kaïros qui se présentait à lui. Ce mot précisément grec, désigne, dans le Nouveau Testament, l'intervention de l'Éternel dans l'histoire. Il signifie ce moment unique, cette occasion irréversible où sont offerts le salut ou la perte. Les jésuites, singulièrement, en ont fait le lieu par excellence de leurs exercices au discernement. Dans le langage du pape: «Je privilégie tous les enfants de Dieu».

Quant aux chrétiens d'Orient, François, Bartholomée, Hieronymos œuvrent assez chaque jour à leur survie réelle pour n'avoir pas de leçons à recevoir de ceux qui instrumentalisent leur existence et leur martyre au service de leurs angoisses fondées ou fantasmées. Le Souverain Pontife qui a fait le voyage de Lesbos est le même Souverain Pontife qui réclamait, dès août 2014, une intervention militaire, dans les limites de la guerre juste, contre Da'ech. Il ne fut guère bien entendu alors, comme il risque fort d'être mal entendu aujourd'hui. Se mettre à l'école du réalisme mystique qui est la sienne demande, il est vrai, de renoncer à la surdité volontaire.

Naïveté feinte que celle de ce pape qui voit plus loin que les oracles du déclin! Lors des invasions barbares, au Ve siècle, les politiques romains disparaissaient, engloutis avec l'ancien monde qu'ils pleuraient, tandis que les évêques chrétiens lançaient un vaste mouvement d'évangélisation dont devait surgir le Moyen Age, cette ère d'une circulation philosophique inégalée entre des théologies autrement antagoniques.

La provocation de François n'est pas une concession à l'air du temps. Elle est, comme toutes les postures prophétiques, un rappel de l'origine par-delà l'écume des événements. Que ce rappel heurte les chrétiens tentés par le repli, qui cèdent à la confusion en acceptant d'idéologiser la foi, n'est rien que de normal. Le pari du pape vise aussi leur conversion à cet Évangile si contradictoire avec le monde et l'histoire qu'il les a radicalement changés en deux mille ans et sur les cinq continents. À bon entendeur, salut!

Commentaires

  • C'est intéressant.

    Mais l’Eglise d’Occident est-elle aujourd’hui « prophétique » sur le marché des « valeurs » qui font sens pour l’humanité, comme le fut son ancêtre de l’antiquité tardive ?

    La société antique s’est convertie au christianisme qui représentait pour les derniers siècles du monde romain, dépris de sa mythologie civique, une vraie lumière d’espérance religieuse. Et les peuples barbares, fascinés par la Rome dont ils vont précipiter le déclin, accueillirent aussi son christianisme comme une marque de civilisation.

    La situation contemporaine est bien différente. La défunte chrétienté d’occident rejette sa foi bimillénaire et les nouveaux « barbares » (c’est une manière de dire) qui piétinent à ses portes méprisent l’humanisme ambigu qui lui tient lieu désormais de religion. La seule manière de s’en sortir pour le christianisme occidental est de passer aux barbares en rejetant les valeurs qui le corrompent. Est-ce vraiment là le chemin qu’il prend aujourd’hui ? Je me permets d’en douter.

  • Vous dites : " Et les peuples barbares, fascinés par la Rome dont ils vont précipiter le déclin, accueillirent aussi son christianisme comme une marque de civilisation. " !

    Vous ne connaissez l'histoire de ces époques que de manière superficielle et fausse.

    Les "peuples dits barbares", via leurs rois et chefs ont choisi le christianisme que pour avoir "droit au chapitre" ! Voyez les fondateurs du christianisme en Hongrie, Pologne, Bulgarie ...et autres !
    Le PEUPLE était contraint de se convertir !

  • Est-il possible de s’exprimer calmement et poliment sur ce blog ?

    Je ne vous parle pas des princes conquérants du moyen âge mais du phénomène de la désagrégation de l'empire romain d'occident sous la poussée des "barbares" qui l'envahissent durant cette période que l'on nomme l'antiquité tardive.

    Tout comme leurs chefs, les peuplades germaniques devaient certainement ( chacun à son rang) être éblouies par Rome et le christianisme dont elles percevaient tout de même le caractère supérieur au culte d’ Odin ou des arbres sacrés.

    Et je doute, pour les raisons précitées, qu'on puisse faire une comparaison entre cette période et les phénomènes migratoires dans l'occident actuel.

  • Quel signale fort donné aux millions de chrétiens victimes du fondamentalisme et des persécutions des musulmans à leur égard en Irak, en Syrie (mais aussi dans tous les pays à dominante musulmane) et qui ne croient plus au retour de jours meilleurs. Le pape accueille 12 musulmans et... aucun chrétien !!!... Déjà qu'avant nos frères d'orient (en connaissance de cause) avaient difficile de comprendre l'accueil fait "à tout va" aux musulmans et le manque de solidarité de l'Europe "chrétienne" envers eux, mais maintenant le message va être très clair !...
    Quelle tristesse pour eux ; plus que jamais mettons les au centre de nos prières quotidiennes, ils en ont vraiment besoin !...

  • Quel signal fort au monde entier je dirais. Un journaliste lui pose la question du pourquoi de ce choix... et il répond qu'en fait, il n'a pas trouvé de chrétiens en ordre de papiers. Quand on sait dans quelles conditions les chrétiens fuient certaines régions et pourquoi. Le voici bien formaliste pour une fois !

    A terme c'est nous qui devrons gérer les conséquences de ses choix. Pas lui.

    Ah oui et autre chose: on devient enfant de Dieu par le baptême. Pas par la chahada.

  • En septembre 2015, le Pape avait accueilli une famille chrétienne de Damas, appartenant à l’Église grecque catholique melkite

  • Ils n'avaient leurs papiers "en ordre"...
    On sait, de longue date, que les Chrétiens et les Yésidis sont discriminés, y compris pour l'obtention des "papiers".

    Pourquoi, avant ce voyage à Lesbos, la diplomatie vaticane n'a-t-elle pas obtenu que des Yésidis et des Chrétiens soient "en ordre" pour le voyage de retour ? Soit par négligence, soit par choix.

    La solution mise en oeuvre a été la pire de toutes : elle donne à penser aux victimes les plus discriminées - et de loin - qu'elles sont soit négligées soit abandonnées.

    Le résultat, pour eux, c'est un crève-coeur révoltant.

  • Matthieu 5, 43 Lc 6, 27 -28 32 36
    " Vous avez appris qu'il a été dit : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est aux Cieux car Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes . "

  • Bonjour Thérèse.

    Votre citation est très pertinente. Notez qu'il n'y est pas écrit : donnez la préférence à vos ennemis.

    Citation pour citation, celle du bon Samaritain ne serait pas pertinente : il n'y a là qu'une seule victime sur le bord du chemin, le problème est simple.
    Nous sommes plus exactement devant un champ de bataille où les victimes sont très nombreuses, dans la situation du brancardier qui doit choisir par qui commencer.
    C'est dans ce travail là que, à mes yeux, la diplomatie vaticane n'a pas été à la hauteur de sa mission.
    La question suivante étant de savoir pourquoi.

  • St Augustin nous apporte une réponse dans ses commentaire sur l’Écriture :

    l'Apôtre Paul dit (1 Gal 6,9-10): « Ne nous lassons point, dit-il, en faisant le bien ; car nous moissonnerons sans nous lasser lorsque le temps sera venu. Ainsi donc, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, surtout à ceux qui sont de la famille de la foi. »

    Quels sont ceux qu'il désigne ici, sinon les chrétiens? A tous en effet nous devons souhaiter la vie éternelle, mais nous ne pouvons rendre à tous les mêmes devoirs de charité.

    (tiré des Oeuvres Complètes de Saint Augustin, Tome Vème)

  • Mère Theresa ne demandait jamais " Quelle est ta religion ? "
    Quand on relit la biographie de Blaise Pascal ,on découvre chaque fois de nouvelles merveilles qui touchent le coeur .
    Lui qui s'était tant dépouillé ...... ( mais chut ! la main gauche écoute ) Lui qui s'était tant dépouillé , se reprochait ,sur son lit de mort de n'avoir pas assez fait pour les pauvres .
    Nous sommes entourés de " voyeurs " , c'est triste à dire.

  • bonjour Etienne,
    Oui, la diplomatie vaticane ..... En fait, notre " caritas catholica " exigerait une discrétion absolue . Et sans doute, aurions nous du multiplier les soirees de prière, les jours de jeune pour les Chrétiens d' Oriënt .Mais leur succes ne fut pas excessif. .....
    Enfin il y a l' Eglise d' Orient, sur place, qui demande aux Chrétiens de rester . C'est assez extreordinaire d'ailleurs de penser qu'ils sont là depuis 2000ans et que certains ont ce courage surnaturel.
    Je suis toujours heureuse de citer l' Evangile et, encore, plus, quand quelqu'un apprécie :-)

  • Bonjour Thérèse.

    Permettez l'évocation d'une expérience récente.

    Voici 2 ans bientôt, lors d'un 70e anniversaire (déjà...) j'avais imaginé une soirée amicale où les "cadeaux" seraient remplacés par des dons destinés aux Chrétiens dans un camp du Poche-Orient. Via Caritas. Au Liban, de mémoire.

    Le résultat fut... à peine présentable : le message - aussi clair que possible - n'avait pas été compris correctement.
    Ce qui s'explique fort bien par la confusion qui a été installée et qui est entretenue dans les esprits.

  • Oui, Etienne,je vous comprends, nous n'étions qu ' un millier à prier pour les Chrétiens d' Oriënt ,à Koekelberg .....Je ne sais pas si vous y étiez, mais c' était impressionnant de dignité, d'émotion : des familles, des groupes de chanteurs (es) , un Notre Père unanime grâce aux grands écrans...
    Il faudrait continuer ce genre de choses pourtant ....

Les commentaires sont fermés.