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Quand deux professeurs émérites de l'UCL - l'un athée et pro-choix, l'autre catholique et pro-vie - s'inquiètent de voir la liberté académique menacée

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Lu sur le site plus.leSoir.be en "carte blanche" :

Propos anti-avortement à l’UCL: la liberté académique menacée? 

Nous sommes inquiets. Oui, nous sommes inquiets par les menaces qui pèsent sur la liberté académique, et a fortiori la liberté d’expression, à l’Université Catholique de Louvain. Le 25 mars, les autorités de l’UCL ont décidé de suspendre les cours de philosophie donnés par M. Stéphane Mercier, chargé de cours invité. En outre, une procédure disciplinaire a été engagée qui pourra déboucher sur des sanctions à son encontre. 

De quoi s’agit-il ? Dans un cours de philosophie destiné aux étudiants de premier baccalauréat à la Faculté des sciences appliquées, Stéphane Mercier a abordé la problématique de l’avortement. Dans les notes de cours dont nous avons pu prendre connaissance, il propose une argumentation éthique, inspirée d’un ancien professeur du King’s College de New York, Peter Kreeft, selon laquelle l’embryon humain est une personne dès la conception. Puisque l’avortement consiste, selon lui, à mettre fin à la vie d’une personne, il en conclut que l’avortement est un meurtre avec préméditation. L’avortement devrait donc être illégal, interdit par la loi.

Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas pour nous ici de nous prononcer sur le bien-fondé – ou non – de l’argumentation, ni de prendre position pour ou contre la loi de 1990 qui dépénalise l’avortement sous certaines conditions en Belgique. Notre propos porte sur la liberté académique et la liberté d’expression. Y a-t-il des sujets qui ne peuvent pas être discutés dans un cours de philosophie à l’Université ? Notre réponse est clairement : non. Tous les sujets peuvent être abordés, pourvu qu’ils le soient en conformité avec la rigueur et l’excellence académiques, tout en éveillant l’esprit critique des étudiants, y compris des étudiants de première année, en particulier ici sur une problématique déjà largement abordée dans l’enseignement secondaire.

Dans le « liminaire » de ses notes, significativement intitulé « permettre le débat », Stéphane Mercier propose un argument philosophique, et non pas théologique, « pour aider à réfléchir » et « qui peut être critiqué ». Certes, son argumentation défend un point de vue qui n’est pas neutre, mais l’étudiant a explicitement la liberté de le discuter et de le critiquer. Il est vrai que les formulations utilisées par Stéphane Mercier sont parfois maladroites et peuvent heurter. Mais ceci justifie-t-il des sanctions disciplinaires ? Nous ne le pensons pas.

Néo-cléricalisme de la bienpensance politiquement correcte

Pour justifier leur décision, les autorités de l’UCL font valoir que « la note dont l’UCL a connaissance est en contradiction avec les valeurs portées par l’Université. Le fait de véhiculer des positions contraires à ces valeurs dans le cadre d’un enseignement est inacceptable » (communiqué de presse du 21 mars). Quelles sont ces valeurs ? Sur le site de l’UCL, on peut lire : « Les valeurs qui sous-tendent la vision de l’UCL sont l’ouverture aux autres et à la différence, la solidarité, la liberté et le respect. Les académiques disposent de la liberté académique, inscrite dans la Constitution, c’est-à-dire la liberté de pensée dans la recherche d’une vérité construite scientifiquement et non soumise à la norme du moment. » Dans le cadre universitaire, « l’ouverture aux autres et à la différence » devrait en premier lieu s’appliquer à la différence des idées et la possibilité de les confronter.

Certainement, la liberté d’expression est limitée. Les propos sexistes, racistes, négationnistes, xénophobes, homophobes etc. sont interdits par la loi. Les notes de Stéphane Mercier n’en contiennent pas. Son argumentation se situe au niveau des idées et ne vise aucunement les personnes. Il est crucial, pour la bonne santé de l’université et plus largement de notre démocratie, que toutes les idées et opinions puissent y être débattues librement et sans contrainte, même, et peut-être surtout, si elles ne sont pas conformes à « la norme du moment ». Cette norme, dans le cas qui nous occupe, est la loi de 1990 qui dépénalise l’avortement dans certaines conditions. Il faut obéir à la loi, mais ceci ne nous empêche pas de la critiquer, sans quoi notre système légal serait figé pour l’éternité. Si personne n’avait mis en question la loi interdisant l’avortement il y a 40 ans, la loi actuelle n’aurait jamais été votée…

Il est pour le moins surprenant de constater l’émergence à l’UCL d’une sorte de néo-cléricalisme de la bienpensance politiquement correcte, d’une forme de nouvelle police de la pensée qui frapperait les positions minoritaires lorsqu’elles sont prises à partie par les médias et qu’elles sont susceptibles de heurter une majorité de l’opinion. L’Université doit rester un lieu de pensée libre et de débats ouverts. S’il est permis à juste titre de critiquer les positions de l’Eglise catholique à l’UCL, il serait pour le moins paradoxal, dans une Université qui porte le nom de catholique, d’interdire que certains académiques développent des argumentations philosophiques qui sont conformes au catholicisme.

En vertu de la liberté académique, nous demandons qu’aucune sanction ne soit prise à l’égard de Stéphane Mercier et qu’en accord avec les valeurs défendues par l’UCL, l’expression de tout point de vue concernant la problématique de l’avortement y soit autorisé.

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