Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

À chaque crise, ce sont les saints qui ont relevé l’Église

IMPRIMER

De Paul Sugy sur le site du Figaro (Vox) :

Christiane Rancé: «À chaque crise, ce sont les saints qui ont relevé l’Église»

Christiane Rancé: «À chaque crise, ce sont les saints qui ont relevé l’Église»

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Dans son Dictionnaire amoureux des saints, Christiane Rancé convoque certains des plus grands saints de l’Église, ainsi que les écrivains qui ont su avec passion retranscrire la vie et l’espérance de ces hommes et de ces femmes. La France comme l’Église doivent beaucoup, selon elle, à leur audace et à leur foi.


Christiane Rancé est romancière et essayiste. Elle a reçu le prix de l’essai de l’Académie française pour son Thérèse d’Avila. Elle publie un Dictionnaire amoureux des saints(Plon, 2019).


FIGAROVOX.- Selon vous, l’Église a canonisé environ cinquante mille personnes au cours de son Histoire… Vous ne pouviez pas faire un dictionnaire de cinquante mille entrées! Comment avez-vous choisi vos saints?

Christiane RANCÉ.- Mon critère d’élection a été d’offrir une rencontre avec les plus éminentes de ces figures chrétiennes, toutes singulières, et souligner combien la sainteté a traversé toute la société. Il y a eu des saintes savantes comme Paula, d’immenses intellectuels comme Jérôme de Stridon ou Thomas d’Aquin, des peintres comme Fra Angelico, des musiciens aussi tel Grégoire, des rois et des reines comme Louis ou Brigitte de Suède. Des va-nu-pieds comme Benoît-Joseph Labre ou de valeureux soldats comme Maurice. Sans oublier les immenses écrivains et poètes qui nous ont permis d’atteindre les sommets de l’art, de la philosophie et de la métaphysique, mais aussi de la poésie, comme Jean de La Croix ; ou les architectes mystiques comme Bernard de Clairvaux. J’ai voulu rappeler ce que nous leur devons, aujourd’hui encore, au-delà de leur exemple entièrement pétri d’amour pour leur prochain et pour la création tout entière. Et combien ils continuent de nous grandir. En cela, ils sont vivants: non pas des statues de plâtre rangées dans des sacristies, mais des compagnons qui ont eu l’audace, à travers les siècles, de se dresser au nom de l’amour contre le mal, et de nommer celui-ci, chacun selon son époque: la guerre, l’injustice, l’égoïsme, la goinfrerie ou la prétention, comme ils nous somment de continuer à le faire. Parmi tous ceux-là, j’ai gardé ceux qui me bouleversent plus particulièrement, et j’ai raconté pourquoi avec une idée: ce qui m’aide à vivre peut aider à vivre mon lecteur.

Si la vie de Saint Paul est remplie d’aventures et d’actes de courage, la petite Thérèse par exemple est morte au fond de son couvent à seulement vingt-quatre ans… Que signifie selon vous cette extraordinaire diversité dans la vie et l’œuvre des saints?

Ils ont dirigé leurs efforts vers la Beauté, qui est l’expérience la plus radicale de la Vérité.

Elle souligne la liberté que chacun d’entre eux a manifestée en inventant une nouvelle formule à l’amour, dans son tête à tête avec Dieu. Parce qu’ils n’ont jamais douté de Dieu, les saints n’ont pas davantage douté que chaque être humain méritait d’être aimé ni que le monde méritait d’être sauvé. Pour le faire, chacun a pris un chemin singulier. Une voie qui lui était propre, afin d’entrer dans l’intimité du Christ en incarnant non seulement son exemple mais encore son appel à construire le Royaume ici et maintenant, pour mieux aller au Père. Ainsi, il y a ceux qui ont prié pour tous dans l’aridité du désert. Ceux qui ont pansé les plaies des pestiférés. Ceux qui ont terrassé tous les avatars du dragon. Ceux qui ont protégé les plus faibles. Ceux qui ont tout donné. Ceux qui ont proclamé les Évangiles, chaque fois que le monde a voulu les oublier… Et tous les autres encore.

Enfin, tous vos «saints» n’en sont pas! Saint-Exupéry n’a de saint que son nom de famille, et Chateaubriand ou Gustave Thibon non plus n’ont pas été canonisés: pourquoi eux (et d’autres) dans ce dictionnaire?

Tous ceux que vous venez de citer ont un point commun: la recherche d’une conversion profonde. Tous ont cherché à posséder, comme Arthur Rimbaud, «la vérité dans une âme et un corps.» Ils ont dirigé leurs efforts vers la Beauté, qui est l’expérience la plus radicale de la Vérité. Puisqu’il s’agissait d’un Dictionnaire amoureux des saints, il convenait donc d’évoquer ces témoins de notre tradition que la sainteté à inspirés, nourris, bouleversés. À leur tour, ils peuvent nous retourner de fond en comble par leur génie à avoir su mettre les mots les plus justes sur l’exigence la plus transcendante. Ainsi, comment ne pas être saisi, par exemple, par Cioran lorsqu’il déclare que «la sainteté est une science exacte»? Nous qui tâtonnons tous les jours, comment ne pas désirer être emportés par cette mathématique de l’âme? Les voies du Seigneur étant impénétrables, qui sait d’ailleurs si ces paroles n’ont pas décidé ni ne décideront encore de la vocation d’un saint?

 

Thibon justement, vous le citez d’ailleurs, écrivait que «les saints aiment comme ils respirent. Leur amour est une nécessité»: l’amour, c’est donc ça le seul secret des saints?

L’amour bien sûr, mais d’un plus haut voltage, allié à la foi la plus ardente en Dieu et en l’homme. Et l’Espérance, cette petite fille chère à Charles Péguy, que leur vie, leur mort et leur témoignage ont entretenue. Le saint est celui qui veut sauver son âme, en sauvant celles de ses contemporains, en purifiant le monde par tout son être, par la vérité que porte sa vie.

Saint Irénée, Sainte Geneviève, Sainte Jeanne d’Arc, ou Saint Louis bien sûr… Certains de vos saints sont devenus des emblèmes de la France chrétienne: alors que le toit de Notre-Dame est parti en fumée il y a quelques jours, oseriez-vous dire que les Saints sont en quelque sorte les pierres vivantes de l’Église de France?

La France doit aux saints l’invention sans cesse réinventée du lien social et partant, de nos plus belles institutions.

Bien sûr! Et il n’y a aucune audace à l’affirmer! Depuis Sainte Geneviève, qui affronte l’envahisseur pour que Paris et la France ne cèdent pas à la violence des barbares ni à l’apostasie, à Saint Martin de Tours qui initie la tradition d’une charité pleine de compassion pour le plus misérable, à Saint Louis qui a illustré cet axiome qui veut que la Joie d’un prince soit de rendre son peuple heureux en lui faisant justice, sans oublier Saint Vincent de Paul ou le curé d’Ars. Mais il serait injuste de limiter cette définition de pierres vivantes à la seule Église. Ils sont celles de la France elle-même. Les saints ont toujours eu partie liée avec notre histoire et avec leur temps, et ce jusqu’à aujourd’hui. Qu’on pense à Christian de Chergé ou au Père Hamel. Leur sainteté a été l’émanation d’une attente partout diffuse qu’ils ont comblée par leur existence. La France doit aux saints l’invention sans cesse réinventée du lien social et partant, de nos plus belles institutions. Qui, plus qu’eux, et avant eux, a mieux défendu la liberté de chaque être humain, l’égalité de tous devant Dieu et devant les hommes, et la fraternité qu’ils ont incarnée dans l’esprit de la plus parfaite charité?

» LIRE AUSSI - Christiane Rancé à la poursuite du vivant

Vous avez rencontré deux saints dans votre vie (sans doute plus, mais on ne le sait pas encore!): lorsqu’ils sont canonisés, les saints sont représentés dans l’iconographie chrétienne avec une auréole. Jean-Paul II et Mère Teresa avaient-ils déjà, au cours de leur vie terrestre, quelque chose de plus grand ou de plus profond qui préfigurait l’auréole?

Leur éclatant charisme. Tout leur être manifestait une vie intérieure, un amour tangible, une compassion et dans le même temps une douleur indicible face aux malheurs du monde. Leur puissance à être, leur présence appelait une présence supérieure, et elle invitait à croire avec eux, à défaut de toujours trouver la force de les suivre sur ce chemin de sainteté. J’ai rencontré Mère Teresa à Calcutta, et Jean-Paul II à Rome. Je les ai vus prier. Je me suis sentie irradiée par leur foi. Et je n’étais pas la seule à éprouver ce sentiment. Leur rayonnement agissait sur tous. Enfin, comme les saints, ils m’ont communiqué une puissante Espérance et une foi en l’homme. Ils ne convertissaient pas, ils étaient la conversion, ce qui est le signe même de la sainteté, l’essence de l’auréole.

Notre monde semble plus que jamais sombrer dans la nuit.

À l’heure où le message de l’Église séduit semble-t-il de moins en moins nos pays postchrétiens, le témoignage des saints est-il l’une des plus grandes forces pour l’apostolat de l’Église?

Je n’en imagine pas de meilleur, à condition de mettre les saints en avant, et avec eux, leur parole de feu. Rien de niais, jamais, ni de petit, ni de mièvre. Rien d’ambigu. La vérité dans sa lumineuse splendeur. D’ailleurs, ce sont les saints qui ont toujours sauvé l’Église dans ses crises les plus dramatiques - et elle en a connu au cours des siècles! Mais la sainteté sauvera bien plus que l’Église elle-même. Notre monde semble plus que jamais sombrer dans la nuit. On pensait avoir atteint le paroxysme de l’horreur au XXe siècle. Aussi sidérant que cela puisse paraître, le XXIe siècle porte le germe de maux plus grands encore, à cause de moyens techniques sans précédents, et d’un nihilisme sinistrement fier de lui. Aujourd’hui, l’alternative est simple: ou la sainteté redeviendra une question d’importance, ou la guerre de tous contre tous cédera à la défaite générale. En un sens, Jésus n’a rien dit d’autre et c’est faute d’avoir été en mesure de ressaisir sa parole que le pire est advenu. Sans sainteté, pas de transformation du monde! Quant au fait que nos pays soient postchrétiens, permettez-moi d’en douter. On s’acharne à nous le faire croire, à vouloir que le désir de quelques-uns soit la réalité de tous. Les pleurs, les prières et le sentiment de désolation, devant Notre-Dame de Paris en flammes, ont apporté un irrécusable contredit à cette assertion ; ils ont manifesté notre inextinguible besoin de sainteté.

On ne peut tout de même pas terminer sans vous demander quel est votre petit «chouchou» parmi tous ces saints…

À la façon de Thérèse de Lisieux, je répondrai: je les choisis tous. Mais j’avoue la plus grande dévotion pour Saint Jean de la Croix. L’apôtre de la poésie de Dieu, et du pardon. Je ne veux jamais oublier cette phrase de lui: «Au soir de votre vie, vous serez jugés sur l’amour».

Les commentaires sont fermés.