En cette période de Pâques, Eric Vinson, chercheur et enseignant spécialisé sur le fait religieux, la laïcité et la spiritualité, a répondu à vos questions dans un tchat du « Monde ».
Pitlegor : Dans les précédents événements marquants de notre société occidentale, on invitait souvent la population à prier. Aujourd’hui on invite les gens à applaudir à leurs fenêtres. Avez-vous remarqué d’autres changements de paradigme ?
J’ai moi aussi été frappé par ce que vous dites, et que certains ont d’ailleurs bien vite qualifié de « nouveau rituel ». Une notion devenue bien vague et passe-partout, dans notre société où l’on éduque si peu au fait religieux, à la laïcité et aux thématiques en rapport. Cela dit, en respectant tout à fait ce cadre laïque, les autorités religieuses ont invité leurs fidèles respectifs à prier, alors que se multipliaient (surtout en ligne) les propositions « spirituelles » permettant de tirer profit sur ce plan du confinement, que ce soit par des séances de « méditation », de « pleine conscience », ou par des exercices de yoga, de qi gong, etc.
Sans compter la dimension « littéraire », philosophique, psychologique de ce que nous traversons, où le recours à des ressources culturelles variées est de rigueur. Sans oublier le retour sur soi… Il est sans doute trop tôt pour parler de « changement de paradigme ». Mais oui, il me semble possible – quoique peu probable – que la crise actuelle débouche sur des transformations profondes et durables. Cela dépendra, pour beaucoup, de ce que nous en ferons, les uns et les autres.
Love : Pour moi, ma vie spirituelle n’étant pas reliée à une pratique religieuse, le confinement ne me gêne pas, au contraire, de ce côté-là il permet un retour à soi, à l’essentiel, une pause, qui peuvent être bénéfiques. Et je me sens très fort en lien avec ceux que j’aime, malgré la distance. Si mon corps est confiné, mon cœur ne l’est pas, loin de là !
Beaucoup d’autres personnes, « croyantes » ou non, se reconnaîtront dans vos confidences. Oui, le confinement peut être une opportunité pour revenir à l’essentiel. N’est-ce pas d’ailleurs ce que M. Macron a dit explicitement lors d’un de ses premiers discours liés à l’épidémie ? Ce qui souligne l’intrication – trop souvent négligée, au nom d’une laïcité comprise de façon trop simpliste – entre le politique et le spirituel.
Raphaël : Il me semble que l’ennui que génère le confinement forcé peut devenir la porte d’entrée d’une intériorité qu’on ne soupçonnait même pas. Le temps d’un retour sur soi, et d’une ouverture sur du « plus grand que soi ». Si Dieu est partout, comment se fait-il qu’on soit si souvent ailleurs ?
Je suis assez d’accord avec ce que vous dites sur le confinement, et « l’opportunité » qu’il représente éventuellement. Les traditions religieuses et philosophiques ont en outre souligné que les maladies pouvaient avoir une profonde signification sur le plan éthique et spirituel (les écrits de Blaise Pascal, par exemple), et être en cela des occasions de « croissance ». Comme toute épreuve.
Luc Eco : Pensez-vous que le confinement, annihilant les rassemblements, peut entraîner un recul des pratiques religieuses par la suite ? Ou, au contraire, un renforcement de ces dernières, de par une sorte de « retour à l’essentiel » ?
Le confinement pourrait conduire un certain nombre de personnes à un retour sur soi spirituellement fécond. Lequel ne me semble pas du tout contradictoire, bien au contraire, avec un retour à des pratiques collectives, quand ce sera possible. Reste que les expériences faites en termes de « religion à distance » vont sans doute marquer certaines personnes. De quoi rapprocher ces dernières (qui ne seraient pas allées spontanément dans un lieu de culte « en dur ») du religieux, du spirituel ? Mais je n’ai pas de boule de cristal.
Miroir : L’idée de Dieu est-elle si importante ? Pourquoi les hommes semblent en avoir besoin ? Ne sait-on pas faire sans ?
A ma connaissance, il n’existe pas de société humaine durablement privée de religion(s) ; et si toutes les religions connues ne se réfèrent pas au Dieu monothéiste, toutes me paraissent se rapporter à des « divinités », d’une façon ou d’une autre. En cela, oui, l’idée de « Dieu » est importante, et toujours actuelle, puisqu’une large majorité des habitants de cette planète (80 % peut-être ?) continuent d’y adhérer.
Mais on doit aussi constater qu’un nombre croissant d’entre eux « font sans », comme vous dites. Ce qui constitue un phénomène tout à fait inédit à l’échelle historique. Sera-t-il durable ? Les grands bouleversements en cours (écologiques, géopolitiques, économiques), ou qui s’annoncent, ne vont-ils pas renforcer les quêtes de sens, de repères, d’identité, de salut, c’est-à-dire le religieux ? C’est l’une des principales questions du présent et de l’avenir, me semble-t-il.