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Fraternité universelle : Pierre Manent critique envers les injonctions du pape François

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Pierre Manent sur le dilemme des chrétiens face à l'immigration dans Le Figaro de ce jour (Eugénie Bastié) :
 
Pierre Manent: «Ne confondons pas le christianisme avec la religion de l’humanité»

GRAND ENTRETIEN - Le philosophe participe, le 6 février, à un colloque de l’Académie catholique de France sur le thème «Christianisme et migrations (1)». Dans cette perspective, il livre une réflexion de haut vol sur le malaise qu’éprouvent de nombreux chrétiens face à l’immigration, déchirés entre le devoir de charité et le droit des peuples à la continuité historique. Il se montre critique envers les injonctions du pape François à une fraternité universelle qui abolirait les frontières.

Pierre MANENT. - Le malaise des chrétiens est un aspect du malaise général des citoyens européens, confrontés non seulement à un déclassement de leurs nations dans l’échelle des puissances, mais à une perte de confiance dans la légitimité et le sens même de la forme de vie que la nation abrite. Le droit des peuples à la continuité historique dont vous parlez ne fait précisément pas partie des droits de l’homme tels qu’ils sont aujourd’hui compris et garantis et qui ne veulent connaître que l’individu d’un côté, l’humanité de l’autre. (...)

Les migrants eux-mêmes, avant de venir dans nos pays, participaient activement à la vie du pays qu’ils ont quitté, et où, selon leur âge, ils ont reçu une éducation plus ou moins complète, une formation humaine plus ou moins accomplie. Compte tenu de la diversité des régimes politiques, sociaux et religieux, il est clair, nous en avons fait l’épreuve douloureuse, que cette formation peut leur avoir inculqué des règles de conduite et des dispositions incompatibles avec nos principes de justice et avec l’amitié civique dans laquelle nous souhaitons vivre.

Le regard humanitaire ne veut voir dans les migrants que des «hommes semblables» alors qu’ils sont aussi des «citoyens différents». Si c’est une obligation de les secourir quand ils sont en danger, cette obligation ne comporte pas celle d’en faire des concitoyens. Nous pouvons avoir de bonnes raisons de leur opposer un refus suivi d’effet. J’accueille volontiers les encouragements du pape François à nous montrer «fraternels», mais je regrette que la pointe de son reproche soit obstinément dirigée contre nos vieilles nations chrétiennes, qui, certes, ne sont pas ces jours-ci les membres les plus dévoyés de la famille humaine." (...)

L’injonction à l’ouverture des frontières et à l’accueil inconditionné des migrants est la conséquence de ce que vous appelez « religion de l’humanité » . Celle-ci est-elle une version édulcorée du christianisme (les fameuses « vertus devenues folles » de Chesterton) ou bien en rupture radicale avec celui-ci ?

Chrétiens ou non, ne confondons pas le christianisme avec la religion de l’humanité qui est aujourd’hui la religion politique de l’Occident, si du moins nous souhaitons faire un peu de clarté sur notre situation. Pour le dire d’un mot, la religion de l’humanité repose sur un sentiment immédiat, que partagent tous les hommes à des degrés divers, à savoir le sentiment du semblable, le sentiment de l’humanité de l’autre homme, qui contiendrait la promesse d’une unification de l’humanité par une sorte de contagion irrésistible, chacun s’identifiant à son semblable, se transportant par l’imagination à la place de son semblable.

La charité est tout autre chose que le sentiment du semblable ou la compassion. Elle ne repose pas sur le sentiment ni l’imagination. Elle est une disposition active de la volonté, une vertu, qui vise quoi ? Inséparablement Dieu et le prochain, mais d’abord Dieu. Pourquoi ? Ici, il faut casser le morceau. Parce que nous autres hommes, nous ne sommes en réalité ni très aimants ni très aimables. Seule la médiation du Christ, telle est l’affirmation chrétienne, peut nous libérer de la prison du moi. C’est pourquoi la charité ne voit pas l’apparence émouvante du semblable mais vise la présence invisible de Dieu dont notre semblable est l’image. Pardon pour ce comprimé de théologie catholique !

La religion de l’humanité s’est installée parmi nous à la faveur de l’affadissement du christianisme. Elle consacre notre passivité : incapables de rien vouloir qui nous soit propre, nous attendons que l’autre vienne à nous.

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