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Pour Fabrice Hadjadj, Harry Potter est une histoire profondémment christique

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Du site "Présence" (Canada) :

«Harry Potter est une histoire profondément christique»

Entrevue avec le philosophe Fabrice Hadjadj

Il y a vingt ans sortait Harry Potter à l’école des sorciers, le premier film adapté de la saga de J.K. Rowling. Le magicien à lunettes divisait alors les chrétiens: les uns y voyaient un corrupteur de la jeunesse, les autres saluaient un héros christique. Deux décennies plus tard, le philosophe Fabrice Hadjadj appartient clairement à la seconde catégorie.

Par Christine Mo Costabella 

C’est peut-être parce qu’il partage avec lui les binocles et la coupe échevelée que Fabrice Hadjadj est intarissable sur Harry Potter. Père de neuf enfants, il n’a pas pu échapper au phénomène. Et directeur de l’Institut Philanthropos, école d’anthropologie chrétienne à Fribourg, il porte un regard de philosophe sur ce véritable mythe moderne. Attention, divulgâcheur!

Est-ce bien sérieux, pour un philosophe, de s’intéresser à Harry Potter?

Fabrice Hadjadj: Il n’y a pas des choses philosophiques et d’autres qui ne le sont pas. De la fermeture éclair au bouton d’ascenseur, on peut tout interroger. Harry Potter peut être un objet de philosophie des plus sérieux. Aristote dit que le philosophe est un «philomythos», un ami des mythes. Ceux-ci posent des questions fondamentales : les mortels et les dieux, l’amour et le pouvoir, la liberté et le destin… Or, Harry Potter correspond à ce qu’on pourrait appeler un mythe contemporain, comme Don Quichotte est un mythe moderne.

Comment avez-vous commencé à vous y plonger?

En voyant l’engouement de mes filles pour ces gros livres de plusieurs centaines de pages. J’y ai vu un lieu pour «penser avec» mes enfants. De manière analogue, j’ai regardé la série des Avengers – Marvel – avec mes garçons. On peut en faire une lecture qui donne à s’interroger sur la condition humaine. L’éducation ne consiste pas de réduire les contacts de nos enfants avec le monde. Elle invite à se confronter à la culture commune des jeunes et à l’interpréter, à y discerner ce qui est bon. Dieu est toujours à l’œuvre, partout, dans toute la création. Il faut apprendre à le voir. A l’inverse, des œuvres bien estampillées «catho» peuvent s’avérer très mauvaises.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans la saga de J.K. Rowling?

Rowling est un très bon écrivain. Elle assume trois grands genres de la littérature anglaise: l’humour, le roman gothique (les monstres, les vampires…) et le roman policier. Outre le burlesque, l’épouvante et le suspens, elle a le sens de la composition, sait nous mettre sur de fausses pistes pour nous découvrir l’évidence cachée.

Et vous y avez décelé des valeurs chrétiennes?

Je ne sais pas très bien ce qu’on entend par «valeurs chrétiennes». Dans la lettre aux Colossiens, saint Paul affirme: «Tout subsiste en lui.»

Une œuvre est chrétienne dès qu’elle nous met en contact avec la réalité.

Justement, le monde de la magie, ce n’est pas la réalité…

Oui, ça a pu faire se cabrer un certain nombre de chrétiens, qui y voit le recours à l’irrationnel ou aux démons… Mais Harry Potter est un conte, pas un roman naturaliste. Et puis, d’emblée, l’amour y est présenté comme une force plus puissante que la magie. Si Harry est un survivant, s’il a échappé, bébé, à un sortilège de mort, c’est que l’amour de sa mère l’a protégé, on ne sait trop comment.

 

Ensuite, si on veut parler de valeurs, la magie selon Rowling apparaît comme l’opposé des fantasmes de la technologie. L’univers de Poudlard, l’école des sorciers, est un univers traditionnel où des vieux enseignants transmettent un savoir ancestral à des jeunes. On n’y est pas derrière des écrans, on y a les mains dans des matières bien concrètes, les plantes chez le professeur Chourave, des potions au cours de Rogue, des bêtes sauvages chez Hagrid. On a parfois identifié la magie à la technologie, mais cet univers de chaudrons et de crapauds fait plutôt naître une nostalgie pour le monde dans sa matérialité et pour le savoir-faire artisanal.

Il y a aussi l’amitié. Dans Harry Potter, on n’est jamais meilleur qu’avec des amis pour combattre le mal ou résoudre une énigme. Et les sorciers de sang pur doivent se garder de mépriser «moldus», les simples humains, ainsi que les «sang mêlé» (de parents sorciers et humains). Au contraire, Arthur Weasley, de sang pur, est carrément fasciné par les inventions des non-sorciers, notamment le canard de bain en plastique.

Y a-t-il des symboles plus directement chrétiens dans la saga?

Le cœur de l’histoire, c’est le don de la vie. Rowling oppose Harry à Lord Voldemort, le mage noir qui veut être immortel. Celui-ci vampirise son entourage pour devenir toujours plus puissant. À la fin, on apprend que pour échapper à la mort, il a dissimulé des fractions de son âme dans des objets maléfiques, des «horcrux», obtenus grâce au meurtre d’innocents. C’est la croix parodiée: il tue pour absorber la vie des autres. Dans le mot horcrux, il y a «horreur» et «croix».

Pour Harry, comme pour son père James, c’est l’inverse. Réalisant qu’il est lui-même le dernier horcrux qui permet à Voldemort d’être immortel, il accepte de mourir pour engloutir l’ennemi. C’est très christique, évidemment. Mais il y a autre chose: à la toute fin de la saga, Harry devient le père, c’est-à-dire un homme qui accepte de laisser un autre – son enfant – à sa place.

Le dernier tome, Les reliques de la mort, s’articule autour du conte des Trois frères. Pour berner la Mort qu’ils rencontrent en chemin, l’un des frères exige qu’elle lui donne une baguette qui le rendrait invincible; le second, une pierre capable de ramener les morts à la vie; le troisième une cape d’invisibilité qui le déroberait au regard de la Mort. Les deux premiers, à cause de leur orgueil, sont rapidement rattrapés par la Mort. Le troisième frère lui échappe longtemps; mais devenu vieux, il donne sa cape d’invisibilité à son fils, s’expose de lui-même à la mort comme à une «amie». Il s’efface ainsi en faveur de son fils.

Entrer dans la mortalité pour donner la vie: on ne fait pas plus chrétien! Le christianisme n’étant pas une affaire d’immortalité, mais de mort et de résurrection et de don de la vie.

Quel est le personnage le plus «chrétien» de Harry Potter?

En dehors de Harry lui-même, deux personnages sont profondément christiques: Dobby, l’elfe de maison, figure du service, qui ira au sacrifice par amour de Harry; et bien sûr, Rogue. Le professeur Rogue apparaît tout au long de la saga comme un méchant. Le Christ aussi était vu comme blasphémateur! Tout le monde pense que Rogue est un lieutenant de Lord Voldemort. En fait, on découvre qu’il est descendu dans au royaume du mal pour détruire le mal. Il se «fait péché», dirait saint Paul, pour sauver les autres alors qu’il est méprisé, rejeté par tous. C’est une figure magnifique.

Certains chrétiens ont été scandalisés quand J.K. Rowling a suggéré, dans un échange avec son public en 2007, que le mentor de Harry, le professeur Dumbledore, était sans doute homosexuel… et vous?

D’abord, ça n’apparaît nulle part dans les romans, qu’on ne peut soupçonner de militantisme LGBT. Ensuite, pourquoi cela serait-il choquant? Moi-même, c’est un écrivain homosexuel qui m’a appris le sérieux de la littérature. Les personnes qui n’ont pas d’enfant, quelle qu’en soit la raison, ont souvent une grâce pour s’occuper des enfants des autres. Elles peuvent exercer plus facilement une paternité artistique ou spirituelle.

Enfin, montrer un monde où il n’y aurait aucun homosexuel, ce serait un mensonge. Une figure importante du premier volume de ma trilogie L’Attrape-Malheur est un contorsionniste androgyne. Si Dumbledore est vraiment homo, alors, pour les homosexuels, quel exemple!

Comment comprenez-vous la méfiance des milieux chrétiens conservateurs? Y compris, en son temps, de Joseph Ratzinger?

Peut-être sommes-nous dans une époque où les chrétiens sont sur la défensive. Tout se délite, alors il nous faut des repères bien explicites, des affirmations massives, des figures sans équivoque. Mais cette attitude risque d’évacuer le drame et la complexité de l’existence…

J’y vois aussi un élément propre à la France. La tradition française, chrétienne ou non, se méfie de l’imaginaire et de l’imagination, «maîtresse d’erreur et de fausseté». Le conte français n’a de valeur que par sa moralité. Le grand modèle est la Comtesse de Ségur, chez qui il n’y a ni fée ni monstre.

Dans le monde anglo-saxon, au contraire, les grands écrivains de la fantasy viennent du christianisme. Le réinventeur de la faery tale, George MacDonald, est un pasteur anglican. Sans parler de Tolkien ou de C.S. Lewis… Il ne s’agit pas pour eux de faire de la pédagogie, mais d’ouvrir le cœur. Leurs œuvres ne parlent pas d’abord aux jeunes de devoir, mais de désir. Elles leur disent que cette vie est une aventure, qu’ils peuvent y aller, y accomplir de grandes choses. Harry Potter se situe dans cette veine: un jeune homme est pris dans l’affrontement des ténèbres et de la lumière, et il choisit la lumière au péril de sa vie. Cela rappelle le pape qui exhorte chacun à se dire: «Je suis une mission sur cette terre.»

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