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Le missel de Vatican II et le missel de Trente devenus inconciliables ?

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Si quelqu’un dit que la liturgie tridentine reste « lex orandi » : anathema sit ? Réponse de l’abbé Claude Barthe dans la Lettre mensuelle  d'information et d'analyse "Res Novae"  de février 2022 :

« La violence de l’offensive déclenchée par le pape François contre la liturgie traditionnelle, coupable de prospérer alors qu’elle jure trop visiblement avec la liturgie nouvelle, a surpris jusque dans les milieux progressistes. Cette violence est d’abord dans le fond : Traditionis custodes annule Summorum Pontificum sur un point majeur: « Ces deux expressions de la lex orandi de l’Église [le missel promulgué par Paul VI et le missel promulgué par Pie V et réédité par Jean XIII] n’induisent aucune division de la lex credendi de l’Église ; ce sont en effet deux mises en œuvre de l’unique rite romain », disait Benoît XVI. Ce qu’infirme François : « Les livres liturgiques promulgués par les Saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du Concile Vatican II, sont la seule expression de la lex orandi du Rite Romain ».

Mais Traditionis custodes n’est pas un retour pur et simple à la promulgation de la réforme par Paul VI. Succédant à Summorum Pontificum, c’est un renforcement de sa signification.

Rappel sur l’adage Lex orandi, lex credendi

On prie ce que l’on croit, on croit ce que l’on prie. Le culte divin dont use l’Église est un vecteur privilégié de la profession de foi. Le fameux adage : lex orandi, lex credendi exprime les rapports étroits du culte divin, avec ses prières, gestes, symboles, et de la profession de foi, catéchisme, dogme. « Par la manière dont nous devons prier, apprenons ce que nous devons croire : legem credendi statuat lex supplicandi, que la loi de la prière règle la loi de la foi », disait une lettre aux évêques de Gaule attribuée au pape Célestin Ier, (il s’appuyait sur les « ces formules de prières sacerdotales », les collectes de la messe, pour répondre à l’hérésie pélagienne).

Pie XII avait donné une précision dans l’encyclique Mediator Dei, que les experts audacieux du Mouvement liturgique auxquels elle s’adressaient auraient dû prendre au sérieux : la liturgie n’est pas un terrain d’expérience qu’approuve ensuite l’Église, comme si le magistère était à la remorque des pratiques, mais c’est d’abord parce qu’elle est soumise au suprême magistère que la prière de l’Église « fixe » la règle de foi comme un des modes d’expression de ce même magistère.

Ce qui, rapporté aux modifications – généralement très lentes, organiques comme on dit – que l’Église romaine approuve dans telle partie de son culte, ou de celles qu’elle apporte en édictant un office ou une messe, ou en procédant à telle réorganisation dans le calendrier, le rituel, le bréviaire, nous assure qu’au minimum elles ne contiennent pas d’erreur, et qu’elles peuvent aussi apporter des précisions doctrinales (l’institution de la messe et de l’office du Christ-Roi par Pie XI).

Par la nature de ce qu’est le magistère – la transmission du dépôt révélé –, la formulation postérieure ne contredit jamais l’ancienne, mais elle l’éclaire. Par exempleles mots transsubstantié, transsubstantiation, canonisés au XIIIe siècle par Innocent III et le 4ème concile du Latran, explicitent le terme de conversio du pain et vin en Corps et Sang, utilisé par saint Ambroise dans son De Sacramentis. Parler aujourd’hui de conversio reste parfaitement catholique ; mais en revanche, s’en tenir au terme de conversio en refusant celui de transsubstantiation serait fort suspect.

On ne peut faire une analogie rigoureuse avec la succession des « formulations » du culte, mais le principe est identique : « De même, en effet, qu’aucun catholique sérieux ne peut, dans le but de revenir aux anciennes formules employées par les premiers conciles, écarter les expressions de la doctrine chrétienne que l’Église, sous l’inspiration et la conduite du divin Esprit, a dans des âges plus récents élaborées et décrété devoir être tenues, […], de même, quand il s’agit de liturgie sacrée, quiconque voudrait revenir aux antiques rites et coutumes, en rejetant les normes introduites sous l’action de la Providence, à raison du changement des circonstances, celui-là évidemment, ne serait point mû par une sollicitude sage et juste[1]. »

Ainsi, à supposer qu’on puisse connaître la liturgie de la messe de Rome telle qu’elle était célébrée dans l’Antiquité chrétienne, mettons au IVe siècle, avant qu’elle n’ait été enrichie de ces nombreuses prières de glose qui ont fleuri du VIIe au XIe siècle, on ne songerait pas à dénier la valeur de clarification qu’ont apporté ces prières dans la messe et qui soulignent sa signification, notamment celle de l’offrande du sacrifice.

Une liturgie en quelque sorte régressive

Nous n’avons évidemment pas pris l’exemple qui précède au hasard. Une des manières – une manière bénigne – de qualifier la difficulté que pose Vatican II et la liturgie composée en suite de ce concile, est qu’il y a eu une sorte de régression dans la formulation doctrinale et dans son équivalent cultuel.

L’exemple doctrinal le plus souvent évoqué est celui du n. 8 de Lumen Gentium, où il est affirmé que l’Église du Christ subsiste dans l’Église catholique, alors que Mysticis Corporis, de Pie XII, tenait que l’Église de Jésus-Christ est l’Église catholique et le Corps mystique du Christ[2]. Si on ne veut pas parler d’équivocité, on dira qu’on est passé du clair au flou.

Dans la nouvelle liturgie de la messe, l’affaiblissement de l’expression sacrificielle est assurément le plus grave à reprocher. Cela se manifeste notamment par la suppression des prières de l’offertoire, prières de glose contre lesquelles tonnaient le P. Joseph-André Jungmann, sj, et l’oratorien Louis Bouyer, qui militaient pour la restitution d’un rite romain antique, « pur » de toute adjonction. Elles ont été remplacées par une « préparation des dons », faite de prières inspirées de bénédictions juives, dont on pensait avec naïveté que Jésus avait pu les prononcer lors de la Cène.

Certes, il y a pas eu que des retours dans la réforme, il y a eu aussi des apports, le principal étant le surplus de participation du peuple qu’elle met en œuvre, et que souligne François dans la lettre aux évêques accompagnant Traditionis custodes : « Parmi les vœux que les évêques [de Vatican II] ont indiqués avec le plus d’insistance, émerge celui de la participation pleine, consciente et active de tout le Peuple de Dieu à la liturgie. » En réalité, la participation des fidèles était bien connue avant le Concile, pour avoir été promue par Pie X pour la messe chantée, par Pie XI et Pie XII pour la messe basse (cf. l’instruction de Musica Sacra et Sacra Liturgia de 1958). La survalorisation de la participation par la réforme liturgique est un des éléments, et non le moindre, qui provoque les faiblesses que l’on peut noter dans les nouvelles formes liturgiques, notamment l’immanentisation du culte divin, dont le mystère est estompé (célébration face au peuple, toucher de l’hostie), sa laïcisation (ministères laïques d’hommes et de femmes), la surélévation qu’il fait de l’assemblée auto-célébrante.

Ainsi la liturgie nouvelle, en affichant une volonté de retour à des formes anciennes, mêlé à une adaptation pour les hommes de ce temps, délivre un message où la présence réelle, le sacrifice sacramentel, le sacerdoce hiérarchique sont exprimés de manière plus impressionniste que précédemment.

L’aveu de Traditionis custodes

Devant cette difficulté tout à fait spécifique posée par un enseignement nouveau et une liturgie nouvelle, dont la continuité vivante avec ce qui précède n’est pas évidente, Benoît XVI a eu recours à l’« herméneutique du renouveau dans la continuité ». Quelles que soient les limites de cette tentative – en fait, ce sont les dernières élaborations de l’Église enseignante qui sont le dernier mot de la tradition interprétative[3] –, c’est en l’appliquant au culte divin que Benoît XVI avait conçu la coexistence de ce qu’il avait qualifié de deux « formes » d’un unique rite. Aux utilisateurs de l’une et l’autre forme le pape Benoît voulait faire entendre, de manière quelque peu volontariste, que la forme ancienne n’était pas contredite par la nouvelle : la présence vivante de la liturgie ancienne en regard de la liturgie nouvelle attestait, disait-il dans sa lettre aux évêques accompagnant son motu proprio, que « l’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture », et donc que « ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. »

Cette reconnaissance inédite, par l’autorité en charge de la liturgie nouvelle, du droit à l’existence de la liturgie ancienne voulait donc attester, contre la critique de nombreux anciens et contre les affirmations de nombreux modernes, que la seconde était en continuité de la première. On pouvait en débattre, mais tel était le message de Benoît : le missel de Vatican II et le missel de Trente étaient conciliables. Contre quoi François s’inscrit en faux : la liturgie tridentine ne saurait plus désormais exprimer la foi de l’Église.

Abbé Claude Barthe »

[1] Pie XII, Mediator Dei.
[2] « Or, pour définir, pour décrire cette véritable Église de Jésus-Christ – celle qui est sainte, catholique, apostolique, romaine –, on ne peut trouver rien de plus beau, rien de plus excellent, rien enfin de plus divin que cette expression qui la désigne comme “le Corps mystique de Jésus-Christ”. »
[3] Cf. P. Serafino M. Lanzetta, Vatican II et le Calvaire de l’Église – Res Novae – Perspectives romaines « Avoir besoin d’herméneutique pour résoudre le problème de la continuité est déjà un problème en soi. In claris non fit interpretatio, dit un adage bien connu, qui fait que c’est parce que la continuité a besoin d’être démontrée par l’interprétation, qu’il faut une herméneutique. »

Ref. « Si quelqu’un dit que la liturgie tridentine est encore lex orandi : anathema sit ! »

 

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