Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'euthanasie en Belgique : un modèle, vraiment ?

IMPRIMER

De Gènéthique magazine :

Euthanasie : la Belgique, un « modèle » ?

10 mai 2022

L’euthanasie est autorisée depuis 20 ans en Belgique. Un pays montré en « exemple » par les promoteurs de l’euthanasie en France. Récemment, Emmanuel Macron s’est d’ailleurs déclaré « favorable à ce qu’on évolue vers le modèle belge » (cf. Présidentielles : Emmanuel Macron favorable à l’euthanasie). Léopold Vanbellingen, docteur en droit et chargé de recherche à l’Institut européen de bioéthique, répond aux questions de Gènéthique sur ce « modèle belge ».

Gènéthique : Alors que cela fait 20 ans que l’euthanasie est autorisée en Belgique, que nous apprend le dernier rapport publié par la Commission d’évaluation de la loi belge ? Le nombre d’euthanasies pratiquées se stabilise-t-il ?

Léopold Vanbellingen : La Commission fédérale d’évaluation et de contrôle publie les chiffres bruts des euthanasies déclarées tous les ans.  C’est seulement tous les deux ans que la Commission publie un rapport circonstancié. Il devrait être publié dans les semaines qui viennent. A ce stade on ne dispose que des chiffres bruts.

2020  une légère baisse du nombre d’euthanasies déclarées a été enregistrée. Une « première » que les experts savaient être exceptionnelle, puisque due aux mesures sanitaires prises à l’occasion de la pandémie de Covid-19. Et en effet la progression a repris en 2021, avec, à nouveau, un nombre record d’euthanasies depuis l’adoption de la loi. Les chiffres ont été multipliés par 10 en 15 ans et continuent à progresser. En 2003, on recensait 235 euthanasies déclarées. Déjà en 2008, on en dénombrait 2359. En 2021, 2699 euthanasies ont été déclarées.

Il s’agit bien ici d’euthanasies qui ont été déclarées par les médecins à la Commission fédérale de contrôle. Mais, d’après diverses études, on estime à 25 à 35% le nombre d’euthanasies pratiquées en Belgique qui n’ont pas été déclarées, et qui sont a fortiori illégales.

G : La dépénalisation de l’euthanasie conduirait, pour ses promoteurs, à mettre fin aux euthanasies illégales. Les données dont vous venez de parler nous apprennent donc que ce n’est pas le cas ?

LV : Non, ce n’est absolument pas le cas. Le chiffre que je viens de vous donner est bien sûr un peu compliqué à analyser. Les données sont issues d’entretiens avec les médecins qui pratiquent des euthanasies, des données non officielles par définition. Ces euthanasies sont réalisées parfois avec le consentement du patient, mais en dehors des conditions fixées par la loi. Ou pratiquées sans même le consentement du patient.

Ce qu’on observe en Belgique, et plus largement dans les pays qui ont fait le choix de dépénaliser l’euthanasie, c’est qu’on n’est pas dans une espèce d’« encadrement » de ce qui se faisait avant de manière clandestine. On est vraiment dans une logique de banalisation, y compris des euthanasies non déclarées, dont le nombre continue à être important en dépit de la dépénalisation.

G : L’euthanasie a été autorisée il y a 20 ans, en mettant en avant un « encadrement » strict, des « garde-fous » qui éviteraient toute dérive. Que sont devenus ces garde-fous 20 ans plus tard ?

LV : En dépénalisant l’euthanasie, le signal qui est envoyé est un signal de normalisation de la pratique. Dans les faits cela mène certains médecins à pratiquer des euthanasies en interprétant de manière extrêmement extensive les conditions fixées par la loi. Ce qui est très intéressant à noter en Belgique est que le deuxième critère médical mentionné dans les déclarations d’euthanasie est, après les cancers, les polypathologies. Ce critère prend de l’importance d’année en année. Il représente désormais une euthanasie sur cinq. Sous ce critère, la Commission regroupe des combinaisons d’affections qui, à elles seules, ne sont pas nécessairement graves et incurables comme le prévoit la loi. C’est leur combinaison qui est invoquée pour justifier l’euthanasie. Très concrètement, ces pathologies peuvent être une baisse de la vue, de l’audition, combinée à de l’incontinence ou une difficulté à se déplacer en raison de polyarthrite. On est donc davantage face à des personnes âgées dépendantes que face à des malades en phase terminale. D’un point de vue sociétal, on assiste ainsi au développement d’une sorte de « droit à l’euthanasie » enrobé de conditions médicales qui n’en sont pas vraiment.

Par ailleurs, une logique subjective se développe. Ce que le patient dit de sa maladie, de sa souffrance va faire loi et être opposable au médecin. Cela est d’autant plus vrai qu’en même temps que la loi du 29 mai 2002 sur l’euthanasie, deux autres lois ont été votées. Une loi qui consacre un droit aux soins palliatifs, et une loi relative aux droits des patients, qui sont l’une et l’autre une bonne chose en soi. Sur la base de cette dernière loi, un patient peut légitimement refuser un traitement ou un soin, y compris un soin prescrit par le médecin pour soulager ses souffrances. Ce refus n’aura pas de conséquence sur la possibilité pour le patient d’avoir accès à l’euthanasie. Ce qui conduit à une forme de droit subjectif à l’euthanasie.

Enfin, la dépénalisation de l’euthanasie a été promue dès 2002 comme une loi de liberté. Pour ses promoteurs, les patients ne sont pas obligés d’y recourir, ni les soignants d’y participer. Mais après 20 ans de pratique, on peut constater l’impact réel de la loi. Les personnes fragilisées perçoivent leur dignité comme étant réduite, du fait de leur maladie. Dans l’hypothèse où on élargirait la loi aux personnes démentes incapables d’exprimer leur volonté, le risque est très grand de les voir réduites à leur souffrance. Quant aux soignants, même si leur liberté continue à exister en théorie, le Parlement belge a interdit en 2020 les maisons de retraite et les hôpitaux qui refusent l’euthanasie. En pratique, un soignant ne peut donc plus travailler dans un établissement ne pratiquant pas d’euthanasies. Et ils sont régulièrement soumis à des pressions implicites et à une culpabilisation parfois importante.

G : Quel est le rôle de la Commission de contrôle quant au respect de ce cadre ? S’y tient-elle ?

LV : De l’aveu même de la Commission, elle n’a pas les moyens d’effectuer un contrôle sérieux. Elle se base uniquement sur les déclarations faites par les médecins, et donc sur ce que les médecins veulent bien dire de l’euthanasie qu’ils ont pratiquée. A fortiori, la Commission n’a pas les moyens de contrôler les euthanasies qui ne sont pas déclarées. Ni les moyens, ni la volonté d’ailleurs. Les membres de la Commission pratiquent eux-mêmes des euthanasies. Ils sont donc nécessairement juges de leurs propres pratiques. En outre, la Commission compte des membres qui militent activement pour une extension continue des critères d’accès à l’euthanasie.

Au-delà de ces considérations, les chiffres montrent qu’en 20 ans de pratique, une seule affaire a été transmise à la justice. Une euthanasie qui avait fait l’objet d’une émission de la télévision australienne. Cette émission avait montré que cette euthanasie était manifestement illégale. On n’a donc pas affaire à une Commission qui contrôle mais à une instance qui avalise.

Les commentaires sont fermés.