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Fléau des abus : le remède de l'évêque n'est pas celui du 'The Economist'

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Un article de Sandro Magister sur Settimo Cielo :

Economist

Fléau des abus. Le remède de l'évêque n'est pas celui du 'The Economist'.

25 juillet 2022

Selon l'opinion de la culture dominante, bien résumée par un éditorial de "The Economist" du 14 juillet, l'Église catholique dispose d'un moyen obligatoire pour enrayer la maladie des abus sexuels du clergé : abolir la discipline du célibat. C'est la solution à laquelle s'est pliée une partie importante et croissante de l'Église elle-même, avec la litanie ininterrompue des appels aux femmes prêtres, à une nouvelle morale sexuelle et à la démocratie à la place de la hiérarchie.

Mais pour le jeune et dynamique évêque de Trondheim, en Norvège, Erik Varden, qui se révèle être l'une des voix les plus vivantes et les plus sages du catholicisme actuel, le "phármakon" qui peut guérir l'Église du fléau des abus est tout autre chose, c'est ce "médicament de l'immortalité" qui est l'une des plus anciennes définitions de l'Eucharistie.

C'est ce qu'il écrit et argumente dans un article paru dans le dernier numéro de "Vita e Pensiero", la revue de l'Université catholique de Milan, dont les passages saillants sont reproduits ci-dessous.

Varden reconnaît et approuve les mesures pratiques et judiciaires prises par l'Église catholique pour réduire ce fléau. Mais ils ne sont pas tout. Car l'essentiel est ailleurs. C'est dans cette source et ce sommet de la vie de l'Église qu'est précisément l'Eucharistie, le sacrifice de l'Agneau qui porte tout le poids des péchés du monde.

"Avant que le péché ne soit "enlevé", écrit-il, il faut l'assumer et le supporter". Comme Jésus sur la croix. Un chemin pénitentiel dont l'axe est l'Eucharistie est nécessaire à l'Eglise. Il est nécessaire de donner "un accomplissement à ce qui manque aux afflictions du Christ", comme le disait l'apôtre Paul.

Varden cite un précédent historique, le grand acte pénitentiel qui a culminé avec l'érection à Paris de la basilique de Montmartre, pour guérir les horreurs commises avec la Révolution. Il commente : "Nous ne comprendrons jamais la renaissance de la vie religieuse après la Révolution française si nous perdons de vue cet aspect ; nous n'apprécierons pas non plus la ferveur du mysticisme du XIXe siècle".

Il fait allusion à ce renouveau religieux de l'âge romantique, avec le retour à la foi d'une partie importante de la culture européenne, rappelé par l'historien Roberto Pertici dans son essai publié en avril dernier dans Settimo Cielo.

Mais il y a aussi un autre précédent que rappelle Varden : le référendum qui a introduit l'avortement en Irlande en 2018, résultat de la vague sécularisatrice mais aussi du scandale des abus du clergé, avec l'effondrement consécutif de la crédibilité de l'Église.

C'est aux catholiques d'Irlande que Benoît XVI a adressé en 2010 la lettre qui représente sa réflexion la plus profonde sur le scandale des abus et les moyens de le guérir. Il en va de même pour l'exhortation à un chemin de pénitence qui trouve dans l'Eucharistie sa nourriture.

Et plus intense encore a été la référence de Joseph Ratzinger au "phármakon" de l'Eucharistie dans le texte qu'il a offert comme contribution au sommet sur les abus sexuels dans l'Église convoqué par le pape François au Vatican en février 2019.

La parole est donnée à Varden.

*

LES BLESSURES DE L'ÉGLISE ET LES MOYENS DE LES GUÉRIR

par Erik Varden

L'une des plus anciennes définitions extrabibliques que nous ayons de la Cène est une référence dans l'épître aux Éphésiens d'Ignace d'Antioche. Ignace appelle l'Eucharistie "phármakon athanasías", le médicament de l'immortalité. La mort est le mal pour lequel l'Eucharistie est avant tout un remède. Et la mort, nous le savons, est "le salaire du péché" (Romains 6:23). Nous commettrions une erreur si nous essayions de séparer l'Eucharistie du déroulement effectif de notre rédemption. [...] Nous devons comprendre le sacrement en fonction de l'ensemble du mystère du Christ, comme agent de la destruction de la mort. [...]

Malheureusement, cet idéal a trop souvent été piétiné dans la boue par des hommes qui auraient dû l'incarner et être transformés par lui. [...] Le scandale des abus est une chose à laquelle nous préférons tous ne pas penser. Le dévoilement implacable et apparemment sans fin de l'horreur peut sembler être plus que ce que nous pouvons supporter. Mais nous devons y faire face. Seule la vérité nous rend libres. [...]

Le lundi 28 mai 2018, quatre jours après le référendum irlandais sur l'avortement, John Waters a écrit un article pour l'édition en ligne de "First Things" intitulé "Ireland : An Obituary". [...] Waters expose les enjeux comme suit : "Pour la première fois dans l'histoire, une nation a voté pour supprimer le droit à la vie des enfants à naître. Les victimes de ce choix terrible seront les plus démunis, ceux qui n'ont ni voix ni mots. C'est le verdict réfléchi du peuple irlandais, et non - comme ailleurs - un décret des élites, imposé par un décret parlementaire ou un "fiat" judiciaire. Les Irlandais sont désormais ces gens heureux qui précipitent leurs enfants contre les rochers (cf. Psaume 137, 9)". [...]

Comment s'est produit cet effroyable tumulte ? Hélas, la réponse est à portée de main. L'effondrement de la crédibilité de l'Église, non seulement en Irlande mais dans le monde entier, a été énorme. Les révélations constantes d'abus - abus de pouvoir, abus de statut, abus sexuels et violents - ont incité de larges pans de la nation irlandaise, et de nombreuses autres nations, à considérer l'Église avec dégoût, et donc à rejeter l'identité catholique et, pour combler ce vide, à adopter un programme radicalement laïc. La retenue de l'Église à la veille du référendum irlandais ne peut se comprendre que dans ce contexte : on avait le sentiment à l'étranger que tout ce que l'Église pouvait dire ne ferait qu'empirer les choses.

C'est la situation dans laquelle nous, catholiques, nous trouvons, [...] La densité et l'immensité de l'ombre noire sont immenses. Il est probable que le dernier demi-siècle, qui a d'abord été salué comme l'aube d'une nouvelle Pentecôte, restera dans les mémoires comme une période d'apostasie. Je n'essaie pas d'être inutilement apocalyptique. Je suis convaincu qu'il est crucial de lire cette crise dans une perspective théologique et de formuler une réponse théologique.

Sur le plan pratique, beaucoup a déjà été fait, Dieu merci. Il est douloureux mais utile de cartographier l'étendue des abus. La prise en charge des victimes est essentielle. Les abuseurs doivent être tenus pour responsables. Les réformes juridiques et canoniques visant à garantir l'efficacité de la procédure régulière sont bonnes. Les procédures de sauvegarde claires sont bonnes. Il est bon que nous ayons trouvé les mots pour dénoncer la corruption qui sévit en silence depuis trop longtemps.

Cependant, si nous voulons faire face à cette crise en tant que croyants, il faut faire davantage. Car nous ne sommes pas seulement confrontés à l'héritage du crime. Nous sommes confrontés à un héritage de péchés.

Le péché, nous le savons, peut être pardonné. L'Église a toujours enseigné, en harmonie avec la Sainte Écriture, que Dieu est prêt à pardonner. Chaque jour, l'Eucharistie est offerte "pour le pardon des péchés". Le fait qu'un péché ait été pardonné ne supprime toutefois pas le mal qu'il a causé, tant au pécheur qu'aux personnes touchées par les conséquences de ce péché. Il se peut qu'il y ait encore un besoin de réparation et de purification, tant dans cette vie que dans la suivante. La théologie parle austèrement de "punition temporelle pour des péchés déjà pardonnés". Personnellement, je trouve utile de penser en termes de "salaire du péché". Nous savons par expérience comment un péché commis laisse une blessure dans notre âme, une blessure sur laquelle nous devons continuer à verser le baume de la miséricorde de Dieu. Plus le péché est grave, plus la blessure est contagieuse et plus la guérison est lente. Être catholique aujourd'hui, c'est, je dirais, vivre dans une énorme blessure infectée, ulcéreuse, qui demande à être guérie. Qui s'approprie cette blessure, pour la garder devant Dieu afin qu'à la fin, la santé puisse être restaurée ?

Pour expliquer ce que j'entends par cette question, je voudrais faire un parallèle avec le début du 19ème siècle. Au lendemain de la Révolution française et des horreurs commises en son nom, la France catholique s'est mise à genoux dans une prière de réparation. Le grand monument de ce remords croissant est la basilique de Montmartre, dédiée au Sacré-Cœur. Dans sa coupole, on peut lire, en lettres d'or, cette dédicace : " Sacratissimo Cordi Iesu Gallia poenitens et devota et grata " : " Au Sacré-Cœur de Jésus de la France pénitente, pieuse et reconnaissante ". La basilique a été construite comme un gage de pénitence, un espace dédié à la prière ininterrompue devant le Saint Sacrement, pour invoquer la grâce eucharistique du Christ sur une nation brisée.

Ce que la basilique représente à l'extérieur a été vécu comme une réalité intérieure et secrète par d'innombrables âmes. Nous ne comprendrons jamais la renaissance de la vie religieuse après la Révolution française si nous perdons de vue cet aspect ; nous n'apprécierons pas non plus la ferveur du mysticisme du XIXe siècle. Les paroles mystérieuses de saint Paul sur la nécessité de "combler ce qui manque dans les afflictions du Christ" ont été perçues par beaucoup comme un appel personnel. Le sacrifice salvateur a été accompli au Calvaire une fois pour toutes. Il est "parfait". Mais ce n'est pas terminé. Elle se déploie dans l'Église, le corps du Christ, par une présence réelle. Pascal a écrit dans ses "Pensées" : "Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant cette période". Beaucoup de bons chrétiens ont assumé leur part de la tâche consistant à réparer, par le Christ, en Lui et avec Lui, les dommages causés par les autres.

Pour nous, cela peut sembler terriblement désuet, voire un peu embarrassant. [...] Pourtant, elle repose sur des bases solides. Avant que le péché ne soit "enlevé", il doit être assumé et enduré. C'est le sens de la Croix, que le Christ nous appelle à partager à travers un mystère enfermé dans la structure de l'Eucharistie. L'Agneau victorieux est inséparable de l'Agneau sacrificiel, l'Agneau qui porte le péché du monde. [...]

Je pense qu'il y a un immense travail de purification et de partage de la douleur à faire dans l'Église aujourd'hui. Je pense que cette endurance, assumée consciemment et librement, est une condition préalable à la guérison. [...]

Lorsque nous regardons le monde d'aujourd'hui, il est clair que ce travail est encore cruellement nécessaire. L'efficacité du potentiel de guérison du mystère du salut à notre époque dépendra en grande partie de nous, appelés par le Christ à vivre en tant que membres de son corps, de la manière dont nous exercerons l'intendance de la grâce qui nous a été confiée.

Le Nouveau Testament culmine dans une description majestueuse de la manière dont, du trône de l'Agneau, des fleuves d'eau vive coulent jusqu'aux extrémités de la terre. Les fleuves sont entourés des bourgeons de l'arbre de vie dont le fruit est inépuisable et dont les feuilles sont "pour guérir les nations" (Apocalypse 22,1ss). Laisserons-nous notre vie et notre mort être un courant le long duquel la guérison du Christ peut se répandre, pour atteindre les endroits déserts, frappés par la mort, de notre monde et du cœur humain ? Le Voyant de Patmos a conclu son livre par un "Amen" clair. Que ceci soit également notre note finale.

Commentaires

  • Difficile d'être en parfait accord avec le texte. En effet et brièvement, le Nouveau Testament, qui nous sert de guide dans la réflexion et dans la prise de décisions, ne parle pas de célibat des prêtres. Et puis que vient faire l'immortalité dans la discipline du célibat? Ca n'a strictement rien à voir. Ensuite, nous retombons dans une morale qui veut que sexe = péché alors qu'on parle d'abus sexuels. Je ne pense pas que les abus sexuels ont un lien avec le célibat. Idem pour les déviances sexuelles. Je suis d'accord avec Benoit XVI et JPII en théologie. De plus, il est exact que l'Eglise n'est pas, ne peut et ne doit surtout pas être une démocratie où tout le monde aurait son mot à dire en théologie. Mais il y a deux choses qui ne (me) vont pas du tout: le célibat de tous les prêtres catholiques (hypocrisie) et la contraception (premier outil anti-avortement). Mais apparemment, en ce qui concerne le célibat, on est encore et toujours prêt à se voiler la face.

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