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Inde : l’héritage de Mère Teresa mis à mal par le nationalisme hindou

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Vingt-cinq ans après sa mort, la religieuse reste une figure reconnue dans son pays d’adoption, où elle a fondé les Missionnaires de la Charité pour se mettre au service des plus démunis. Si la congrégation y est toujours bien implantée, les sœurs de Mère Teresa sont régulièrement visées par des accusations du parti au pouvoir.

Dans les rues de Calcutta, les murs des bâtiments ont été repeints en bleu et blanc il y a quelques années. Un hommage simple, aux couleurs du sari que la religieuse a revêtu dès son arrivée dans le pays. « Ici, Mère Teresa fait partie du quotidien des habitants », résume le père Laurent Bissara, prêtre des Missions étrangères de Paris (MEP) dans la capitale de l’État du Bengale, où se trouve la maison mère des Missionnaires de la Charité, la congrégation qu’elle avait fondée en 1950.

Vingt-cinq ans après sa mort, le 5 septembre 1997, son héritage reste ancré dans la société indienne. Les foyers des sœurs comptent plus de 20 000 salariés et personnes accueillies dans le pays, dont 1 902 religieuses ayant formulé le vœu – spécifique à la congrégation – de consacrer leur vie aux pauvres. « Mère Teresa a été la première à mener une œuvre missionnaire sans aucune discrimination de religion, de caste, de couleur », rappelle le père Vincent Kundukulangara, prêtre des MEP dans le Kerala, dans le sud de l’Inde, qui témoigne de la reconnaissance de la population envers l’œuvre des sœurs.

Contexte politique de tensions

L’héritage spirituel de Teresa de Calcutta, canonisée en 2016, s’inscrit toutefois dans un contexte politique tendu. Depuis 2014, le BJP, parti nationaliste hindou au pouvoir, mène une politique répressive envers les minorités religieuses, dont font partie les 28 millions de chrétiens du pays (2,3 % de la population). « Pour Narendra Modi (le leader du BJP et premier ministre de l’Inde), Mère Teresa est une figure à oublier », observe le père Yann Vagneux, également prêtre des MEP, installé à Bénarès.

Les missionnaires ont été régulièrement visées par des accusations de baptêmes forcés ces dernières années, alors que le pouvoir traque toute tentative de prosélytisme par le vote de lois anti-conversions. Une suspicion de trafic d’enfants avait en outre ébranlé la congrégation en 2018, lorsqu’un couple avait affirmé avoir payé les sœurs d’un foyer de Ranchi, dans le nord-est de l’Inde, pour adopter un enfant. Cette déclaration avait mené à l’interpellation d’une religieuse, à l’ouverture d’une enquête dans toute la congrégation pour commerce de nourrissons et à la fermeture, l’année suivante, du foyer.

 
 

« Jeu politique »

La défiance du gouvernement central envers la congrégation entache-t-elle pour autant la mémoire de sa fondatrice ? « Dans les classes populaires, même chez les hindous, il y a dans toutes les maisons une statue de Ganesh, de Shiva, à côté d’une photo de Mère Teresa, note Laurent Bissara. Beaucoup comprennent que ces affaires relèvent du jeu politique du BJP. »

La figure de Mère Teresa est d’ailleurs utilisée par les opposants politiques à Narendra Modi, comme la dirigeante de l’État du Bengale, Mamata Banerjee. Celle-ci a vivement dénoncé, en décembre, la décision du gouvernement central de stopper les subventions internationales à la congrégation.

L’organisation avait pourtant précisé ne pas avoir été victime d’un gel bancaire mais avoir demandé elle-même à ne plus utiliser de devises étrangères, après la découverte d’irrégularités dans ses comptes. Une situation régularisée une semaine plus tard. « Mère Teresa est l’anti-Modi, l’anti-BJP, donc elle inspire fortement ses opposants », analyse le père Bissara.

« Grande inspiration »

Dans ce contexte houleux, que restera-t-il de son charisme dans vingt-cinq ans ? « Des pauvres, en Inde, il y en aura toujours, estime le père Vagneux. Mais la congrégation a connu de grands changements, avec l’arrêt des adoptions, notamment. » Après un durcissement des conditions administratives, en 2015, les Missionnaires avaient en effet fermé leurs 18 centres d’adoption dans le pays. Le prêtre de Bénarès relève également une chute des vocations au sein de la congrégation, liée à la sécularisation progressive de la société indienne et à la rigidité des règles que les sœurs doivent respecter – elles ne peuvent par exemple visiter leur famille qu’une fois tous les dix ans.

« Malgré tout, l’œuvre de Mère Teresa reste une grande inspiration pour tous les chrétiens d’Inde », assure le père Bissara. Il évoque en ce sens les autres ordres religieux, comme les jésuites ou les salésiens qui, à la suite de Mère Teresa, sont descendus dans les bidonvilles.

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Une congrégation internationale

Les religieuses missionnaires de la Charité, au nombre de 5 123 aujourd’hui, sont implantées dans 700 foyers à travers le monde.

Présentes sur tous les continents, notamment au Kenya, en Italie, en Amérique latine ou encore aux États-Unis, elles sont également implantées dans des zones de conflit, comme à Aden, la capitale du Yémen, où quatre religieuses avaient été assassinées en 2016.

L’Inde, où se trouve la maison mère, compte le plus grand nombre de foyers.

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