Dans l'affaire Mortier c. Belgique (voir ICI), la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH) déclare à l'unanimité que la Belgique a violé l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, relatif au droit à la vie, du fait de l'absence de contrôle a posteriori effectif de la légalité de l'euthanasie pratiquée sur la mère du requérant.
Texte intégral de l'arrêt
A lire : http://www.koztoujours.fr/tweets-euthanasie-la-belgique-condamnee-par-la-cedh
Euthanasie pour « dépression incurable » : la CEDH ne soulève qu’un problème de procédure
Et, sur le Figaro (Paul Sugy) :
Euthanasie en Belgique : la CEDH dénonce une commission de contrôle défaillante
4 octobre 2022
La CEDH a estimé que l'euthanasie n'entrait pas en contradiction avec le droit européen, mais a condamné la Belgique pour le manque d'indépendance de sa Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) s'est prononcée mardi pour la «première fois» sur une législation autorisant l'euthanasie, validant la procédure belge menant à l'acte d'euthanasie mais condamnant Bruxelles pour des «défaillances» dans le contrôle a posteriori des euthanasies pratiquées en Belgique.
Dans son arrêt de chambre, la Cour précise que sa décision «ne porte pas sur l'existence ou non d'un droit à l'euthanasie» en général mais sur «la compatibilité» avec la Convention européenne des droits de l'homme d'une euthanasie pratiquée sur la mère d'un requérant belge, profondément dépressive depuis une quarantaine d'années et qui souhaitait en finir. Dans cette affaire, le médecin ayant euthanasié la patiente est lui-même président de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie (CFCEE) chargée de contrôler a posteriori la légalité des euthanasies en Belgique. Il est également président de l'association LevensEinde InformatieForum (LEIF) qui milite en faveur de l'euthanasie et qui a reçu 2500 euros de cette femme peu avant son euthanasie.
C'est la « première fois » que la CEDH «se prononce sur une législation (...) qui autorise l'euthanasie», a commenté sur Twitter Nicolas Hervieu, juriste spécialiste du droit européen. «Tout en confirmant l'absence d'un droit de mourir, la Cour juge que rien n'interdit l'euthanasie, (si elle) est encadrée par des garanties légales», a-t-il ajouté.
Le requérant affirmait ne pas avoir été prévenu de l'euthanasie de sa mère, qu'il avait apprise le lendemain de sa mort, en avril 2012. Il avait notamment déposé une plainte au pénal, finalement classée par le parquet, celui-ci estimant que l'euthanasie «s'était déroulée selon les prescrits légaux» belges, rappelle la Cour.
Examinant les dispositions de la loi sur l'euthanasie belge, en vigueur depuis 2002, la Cour a jugé que celles encadrant «les actes et la procédure préalables à l'euthanasie» constituaient «en principe un cadre législatif propre à assurer la protection du droit à la vie des patients tel qu'exigé par l'article 2 de la Convention» (droit à la vie). Elle estime encore «qu'il ne ressort pas des éléments dont elle dispose que l'acte d'euthanasie de la mère du requérant, pratiqué conformément au cadre légal belge établi, ait été effectué en méconnaissance des exigences de l'article 2».
La Commission de contrôle, juge et partie ?
En revanche, les juges européens ont pointé des «défaillances» dans l'examen «a posteriori de l'euthanasie pratiquée», opéré par la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie : selon la CEDH, la législation ne garantit pas à cet organe une indépendance suffisante. En effet, la loi belge «n'empêche pas le médecin qui a pratiqué l'euthanasie de siéger» en son sein «et de voter sur la question de savoir si ses propres actes étaient compatibles avec les exigences matérielles et procédurales du droit», relève la CEDH, qui a condamné Bruxelles à payer 2211,30 euros pour frais et dépens au requérant.
Un des membres de cette même Commission avait déjà démissionné en 2018, après que ses pairs ont refusé de transmettre à la justice le cas d'un médecin ayant euthanasié, sans son consentement, une patiente atteinte de démence et de Parkinson. «La commission ne remplit pas son rôle. Elle se prend pour un juge. Elle n'élargit pas l'application de la loi euthanasie, elle la viole» avait alors déclaré le membre démissionnaire de la CFCEE.
Commentant les statuts de cette Commission, l'avocat et essayiste Erwan Le Morhedec pointe ainsi le rôle ambigu qu'entretient la CFCEE à l'égard de l'autorité judiciaire : «Sur quelle base, dans un État de droit, cette Commission peut-elle concevoir son propre rôle comme “un tampon entre les médecins et le pouvoir judiciaire” ? Selon quelle logique peut-on faire tampon/écran à la justice ?», demandait l'auteur de Fin de vie en République (éditions du Cerf, 2022).
La Belgique doit veiller, à présent, à mettre en conformité ses mécanismes de contrôle avec les exigences rappelées par la Cour. «Quand la CEDH condamne un État, il y a ensuite une surveillance de l'exécution du jugement. C'est le Comité des ministres du Conseil de l'Europe qui a la charge de cette surveillance. La Belgique devra donc montrer au Comité des ministres qu'elle a agi afin de remédier aux dysfonctionnements de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie», précise au Figaro Nicolas Bauer, chercheur associé au Centre européen pour le droit et la justice, qui est intervenu auprès de la Cour dans cette affaire.