Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'Eglise va-t-elle entrer dans des zones de turbulence ?

IMPRIMER

De Jean-Marie Guénois sur le site du Figaro (via Il Sismografo) :

ANALYSE - Le pape François n’hésiterait désormais plus à renoncer à sa charge, chose qu’il s’interdisait avant pour qu’il n’y ait pas deux papes émérites plus un successeur régnant.

6 janvier 2023

Obsèques de Benoît XVI: à Rome, certains observateurs prophétisent des «zones de turbulences» 

Dans quelles pensées le pape François était-il plongé, la main longuement posée sur le cercueil de son prédécesseur, à l’issue de la messe d’enterrement? Une image saisissante, rare, comme si le pape allemand, cette fois, passait définitivement le témoin à son successeur.

Le symbole était toutefois trompeur car ce passage de témoin, dans l’esprit des deux hommes, avait été effectué depuis longtemps, sans ambiguïté, ni retour, avant même l’élection du pape François, le 13 mars 2013. Benoît n’était plus pape, et s’était engagé à l’obéissance à son successeur, sans interdire de s’exprimer mais en restant à sa place.

La mort du pape émérite change-t-elle la donne? François va-t-il se sentir plus libre d’agir? Son pontificat va-t-il prendre une nouvelle dimension? La question s’est beaucoup posée à Rome et dans l’Église ces jours-ci. La réponse apparaît évidente, en apparence: nombreux sont ceux qui estiment que rien ne devrait changer puisque la frontière entre les territoires de compétences des deux papes avait été clairement délimitée. Aussi le départ de l’un ne changerait rien au pontificat de l’autre.

Mais les choses ne sont pas aussi simples, en raison de la nature des dossiers en cours mais aussi en raison de l’état de santé et de l’âge du pape François, 86 ans, quasiment l’âge où Benoît XVI s’est retiré, en 2013. La renonciation donc. Le pape François, entend-on, n’hésiterait désormais plus à renoncer à sa charge, chose qu’il s’interdisait avant pour qu’il n’y ait pas deux papes émérites plus un successeur régnant, soit trois papes au Vatican! Impression renforcée par le fait que François a dit publiquement à plusieurs reprises que, si les conditions de santé le lui imposaient, il suivrait le chemin ouvert par le pape Benoit XVI. Il est certain que la voie de la renonciation éventuelle de François est maintenant plus ouverte que jamais.

Mais c’est oublier une autre donnée du problème, la nature de la responsabilité papale. La raison profonde de la renonciation du pape Benoît XVI était certes liée à un affaiblissement de ses forces mais aussi au constat qu’il n’avait plus les moyens d’accomplir la mission qui lui était confiée. Il se trouvait enfermé par une administration centrale du Saint-Siège, la curie, qui avait fini par prendre le contrôle sur le pontificat. Plus qu’une décision de confort personnel, comme elle a été souvent interprétée, la renonciation de Benoît XVI fut avant tout une décision de conscience personnelle, celle de ne plus pouvoir assumer son devoir d’État.

Grand dessein

De ce point de vue, le pape François est en pleine possession de ses moyens et bien conscient de sa responsabilité. La récente réforme de la curie romaine, publiée le 19 mars 2022 et appliquée depuis le 5 juin, a notamment consisté, à renforcer le pouvoir du pape au détriment de son administration. On dit facilement au Vatican, sans médire, que beaucoup de décisions sont prises par le pape en personne. François est un homme de gouvernement, un pape qui dirige de près, comme le Saint-Siège n’en avait pas connu depuis longtemps.

Mais le pape François a-t-il fini ses réformes au point qu’il pourrait maintenant se retirer? Outre le changement du style papal, qui tient à sa personnalité et qui pourrait évoluer avec un autre pape, le grand dessein de François demeure la mise en œuvre «irréversible» , dit-il, du concile Vatican II.

Benoît XVI était un élément de stabilité, sa disparition ouvre une zone de turbulences. C’est le lot des dernières parties de pontificat. Les différentes factions se réveillent
Un observateur.

Sur ce plan, il n’était pas en symbiose avec Benoît. Le pape allemand entendait réconcilier la tradition et la modernité, et sa grande réforme fut de libéraliser la possibilité pour les prêtres de dire la messe selon le rite établi par saint Pie V. Non pour revenir en arrière mais pour donner sa place à la «tradition». Mais cette mesure fut annulée en juillet 2021 par le pape François. «Elle brisa le cœur» du pape émérite, selon son secrétaire personnel Mgr Georg Gänswein qui l’aborde dans un livre à paraître en janvier en Italie. En attendant, cette grande réforme de Benoît XVI est cassée. Et aucun signe ne montre que François reviendra sur sa décision.

Même chose sur la réforme de la curie, qui suscite en interne beaucoup de mécontentement. Elle semble, selon les plaignants, avoir encore alourdi les processus de décision par excès de centralisation. D’autant que les économies escomptées ne sont pas au rendez-vous.

Écarter toute ambiguïté

Mais, à côté de ces deux réformes - reprise en mains de la liturgie, nouvelle organisation de la curie romaine -, le troisième chantier phare du pontificat, qui est en cours, est le «synode sur la synodalité». Toujours dans l’esprit de conduire l’Église à la pleine application du concile Vatican II. Cette grande étape veut changer la culture pyramidale de l’Église en un gouvernement démocratique et décentralisé. François a lancé une réflexion mondiale sur le sujet avec une session romaine d’abord fixée en octobre 2023. À laquelle le pape vient d’ajouter une seconde session, en octobre 2024.

Ce qui signifie, aux yeux de beaucoup à Rome, que le pape actuel n’est pas en train de démissionner. Quant à la présence de Benoît XVI, elle n’a ni empêché ni retardé le programme réformiste de François. Il n’est pas impossible en revanche, après le départ de Benoît XVI et l’expérience de cette cohabitation unique, que le pape codifie à présent le statut du pape émérite pour écarter toute ambiguïté. Notamment sur le plan du vêtement blanc, de l’appellation «pape émérite» et du lieu de résidence qui pourrait ne plus être le Vatican.

En réalité la seule question pour le pape François, estiment les meilleurs observateurs, est celle de sa santé et celle de son rythme actuel de travail. Beaucoup pensent qu’il ne pourra tenir longtemps à ce niveau. Enfin, l’enterrement de Benoît XVI pourrait libérer la parole des cardinaux et des prélats qui sont opposés à la ligne du pape François. La publication à venir du livre de Mgr Gänswein, où il promet de régler un certain nombre de comptes, est un signal mais rien ne dit qu’il sera fédérateur d’une opposition. En effet, il n’est pas cardinal, il n’a jamais dirigé un diocèse, et son autorité reposait sur Benoît XVI. Un observateur avisé commente: «Benoît XVI était un élément de stabilité, sa disparition ouvre une zone de turbulences. C’est le lot des dernières parties de pontificat. Les différentes factions se réveillent.»

En 2023, François créera au moins onze nouveaux cardinaux. Il aura alors nommé la majorité absolue de ceux qui éliront son successeur.

Commentaires

  • Quand on parle de liturgie, il est absurde de parler de l' "ancien rite" (qui n'est pas si ancien puisqu'il ne fut remis en ordre qu'au XIXe siècle) et du "nouveau rite" (très semblable à celui qui était en usage au VIIIe sicle). Un rite est catholique ou il n'est rien. La coexistence de deux formes d'un même rite est une sorte d'absurdité qui avait déjà été soulignée par le cardinal Ratzinger dans une lettre adressée au professeur Lothar Barth : "le rite romain de l'avenir devrait être un seul rite" avait-il écrit. On l'oublie trop souvent. La vraie question qu'il faut se poser est la suivante : jusqu'à quand l'Église acceptera-t-elle que des prêtres et des évêques se réclamant de Vatican II puissent continuer à célébrer presque partout des liturgies résolument fantaisistes, creuses, variables et désacralisées qui n'ont strictement rien à voir ni avec les enseignements conciliaires ni avec le missel romain promulgué par Saint Paul VI ? La est la seule vraie question devant être posée et résolue pour qu'on cesse enfin de faire passer pour "conciliaire" des célébrations dont les formes aléatoires (gestes, chants, autels) dépendent plus du caprice des célébrants (très peu formés, il est vrai) que des enseignements de l'Église.

Les commentaires sont fermés.