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Quand Jean-Marie Guénois célèbre le cran du pape François

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De Charles-Henri d'Andigné sur le site de Famille Chrétienne :

Jean-Marie Guénois - Pape François : la révolution

Jean-Marie Guénois : « Le pape François a beaucoup de cran dans sa direction de l’Église »

4/09/2023

Est-ce parce que vous trouvez qu’il est incompris que vous avez tenu à écrire un livre sur François ?

Il y a deux aspects. Le premier concerne l’homme lui-même, à la fois jovial, chaleureux, un homme de cœur, un passionné ; mais il est également autoritaire, colérique, très directif. Le second aspect est la polarisation que son pontificat a créée dans l’Église. Rarement pape aura suscité autant de louanges et d’oppositions. À travers ce livre, j’ai voulu sortir des schémas, des clichés noirs ou blancs, et expliquer la complexité d’un homme à la personnalité riche dans l'environnement subtil du Vatican.

À qui s’adresse votre livre ?

Quand on est spécialiste d’un domaine comme je le suis, on a tendance à écrire pour les initiés. C’est le piège ! Je veux m’adresser au grand public, pas forcément au fait de la culture chrétienne. J’espère être assez pédagogue pour me faire comprendre du plus grand nombre. Les affaires spirituelles ne regardent pas que les croyants, elles concernent tout le monde.

Le pape a un caractère très vif, il a un côté autoritaire, mais il veut introduire la synodalité dans l’Église. N’est-ce pas contradictoire ?

Il ne faudrait pas limiter l’ampleur de cette réforme à la personnalité du pape. Pourquoi cette réforme de la synodalité ? Le pontificat de Benoît XVI a démontré jusqu’où pouvait aller la sclérose de la Curie, du système administratif du Saint-Siège avec tout ce que cela comporte de carriérisme ecclésiastique, absolument détestable. François a raison de bousculer ces habitudes de pouvoir, que l’on trouverait dans une grande administration. On l’a vu de façon paroxystique sous Benoît XVI qui faisait confiance à son administration, laquelle l’a en quelque sorte absorbé au point de le conduire à démissionner. Alors François a corrigé le tir, assez vertement. Et il fallait un homme de son cran, de son courage, de sa force, de son autorité, parfois de sa dureté pour arriver à faire bouger un peu le système. C’est dans ce contexte que s’inscrit la réforme synodale, qui va porter sur la prise de décision dans l’Eglise. Donc pour répondre à votre question, l’homme François est foncièrement sympathique, il aime les gens, il veut que chacun s’exprime, mais c’est aussi un patron. Cela faisait longtemps que l’Église n’avait pas eu de patron. Je salue les efforts d’un homme qui se bat contre des habitudes séculaires, et qui n’a pas encore gagné la partie.

La synodalité, est-ce l’une des façons de contourner le pouvoir de la Curie ?

C’est un des génies politiques du pape François, qui devant une montagne, face à une culture qu’il ne peut pas changer du jour au lendemain, contourne la difficulté en allant au cœur même du problème, c’est-à-dire, dans ce cas, la prise de décision. Qui prend les décisions dans l’Église ? Comment sont-elles prises ? Avec la synodalité, François veut habituer le peuple catholique à s’intéresser davantage au fonctionnement de son Église, à questionner davantage ses responsables, ses prêtres, ses évêques, à entrer davantage dans les conseils paroissiaux, à être plus partie prenante, et à ne plus être une Église qui attend du prêtre ou de l’évêque la décision sans prendre trop de responsabilités. Tel est le sujet du « synode sur la synodalité », expression inaudible, pour que les catholiques dans une démarche ecclésiale et évangélique aient aussi leur mot à dire, les femmes en particulier.

Le processus ne risque-t-il pas de lui échapper, comme en Allemagne ?

Nous avons en effet l’exemple du synode allemand où l’on voit comment une structure très organisée est finalement devenue une machinerie politique avec des tendances dominantes qui avancent des propositions très réformatrices fortement influencées le protestantisme. C’est vrai que le mouvement échappe en partie à François. On retrouve là son ambivalence : le côté jésuite, j’allais dire révolutionnaire, qui encourage toutes les tendances à s’exprimer, quelles qu’elles soient. Et en même temps son rôle de chef de l’Église qui ne peut pas laisser franchir certaines limites. Ce synode allemand alerte le Saint-Siège du danger potentiel du synode et de la nécessité d’une modération, mais il fait aussi douter certains défenseurs de la synodalité de l’opportunité d’un synode tous azimuts concernant l’organisation même de l’Église. Nous verrons, à partir d’octobre prochain, comment François va accompagner ce mouvement de réflexions, de réformes. L'enjeu est grave pour l'avenir de l'Église. 

Qu’en est-il de ses positions en matière morale ? On a le sentiment qu’à ses yeux, la morale passe après le reste…

Je ne crois pas qu’il mette la morale au second plan, l’éthique est pour lui très importante, les jugements moraux reviennent très souvent dans ses discours. Ce qu’il dénonce, c’est ce qu’il considère comme une obsession de certains catholiques sur les sujets de morale sexuelle qui lui paraît totalement contreproductive sur le plan pastoral. Il veut baisser l’intensité de la lumière sur les sujets moraux pour l’accentuer sur la miséricorde, pour mettre en valeur une Église sans murs et sans portes où l’on puisse entrer plus facilement. Mais il ne change pas la morale, il n’en a ni la volonté ni le pouvoir. On l’a accusé de le faire en matière d’homosexualité (« Qui suis-je pour juger ? »). En réalité, il s’est exprimé sur le sujet avec nuance, prenant une position de type pastoral, adapté à chaque cas, préférant le sur-mesure à l’affirmation d’une règle un peu trop raide. L’objet était de décrisper une relation extrêmement tendue, notamment avec l’Église américaine, très en pointe sur ces sujets-là. Il ne s’agit pas de changer la morale, mais de faire évoluer l’approche de certains sujets, de modifier le climat. De faire sauter les verrous qui empêchent certains d’oser entrer dans les églises.

Comme avec l’exhortation apostolique Amoris Laetitia ?

Oui, d’une certaine manière. Avec ce texte, il s’agissait à la fois de maintenir l’indissolubilité du mariage, le texte dit à plusieurs reprises que la doctrine reste ce qu’elle est, et de chercher des solutions pastorales adaptées à chaque cas pour éventuellement accorder, à certaines conditions précises, l’accès à la communion à des personnes divorcées remariées. Donc, en effet, plutôt du sur mesure qu’un rappel à la loi. Peut-on pour autant lui faire le procès de progressisme, comme certains le font ? Je ne crois pas. Il cherche, dans ces domaines, une voie de compromis sur un sujet dramatique pour les familles. 

Les termes « droite/gauche », « traditionaliste/progressiste », sont-ils pertinents pour rendre compte de la pensée et de l’action d’un pape ?

Ce sont des notions très pratiques ! Le pape lui-même, quand vous regardez son parcours personnel, apparaît comme un homme de centre gauche. Il rejette le capitalisme forcené, le libéralisme, etc. Cela étant dit, c’est l’honneur de l’Église que de réunir des gens politiquement très opposés, des verts, des rouges, des bleus, des blancs, et c’est le génie catholique que d’arriver à dépasser ces différences très légitimes, et de faire en sorte que ces personnes puissent prier ensemble. Je crois que le pape est dans cet esprit-là. Il a ses idées personnelles qu’il ne cache pas, mais il n’est jamais là où on l’attend.

Ses origines latino-américaines sont-elles une clé de compréhension du personnage ?

De son caractère, oui ; de son positionnement, non. Le fait qu’il soit descendant d’Italiens est très important. Cela explique sa connaissance intime de la culture italienne. Cela lui donne une grande liberté par rapport aux Italiens du Vatican. Il les comprend parfaitement. Mais sur le fond, le plus important est qu’il soit jésuite : très classique dans sa spiritualité, il prie devant l’Eucharistie, il médite les évangiles, il est très attaché au culte marial et à saint Joseph - il a longtemps été confesseur après sa mise à l’écart de la province argentine. Et en même temps influencé par sa formation jésuite, assez libre vis-à-vis du dogme et très hostile vis-à-vis du capitalisme - et d’ailleurs des États-Unis. Il y est allé pour la première fois de sa vie comme pape, alors qu'il avait toujours refusé de s'y rendre, délibérément. 

Vous l’admirez, ce pape, non ?

(Sourire) Merci pour cette question, car on m’a souvent accusé d’être son ennemi, de ne pas l’aimer. Ce qui est absurde. Je suis exigeant, assez critique sur ses ambivalences, ce qui ne signifie pas lui manquer de respect. Il n’en demeure pas moins que j’admire son courage. Il a beaucoup de cran dans sa direction de l’Église, il a fait des choses qu’aucun pape n’avait faites avant lui. Il a aussi une vraie liberté, que j’apprécie beaucoup également. Cela dit, j’ai connu et observé de très près trois pontificats : le risque actuel de déstabilisation de certains points vitaux de l’Église m’interroge alors que cette institution est déjà très affaiblie.

« Pape François. La révolution », Gallimard, 288 pages, 21 euros.

Commentaires

  • Ces beaux discours sur la synodalité me font penser aux propos que l'on entendait, notamment en France, il y a de cela plusieurs années, lorsque les vocations sacerdotales ont commencé à se faire rares : "Il y aura moins de prêtres, ce qui obligera les laïcs à se prendre eux-mêmes en main, à ne plus tout attendre des clercs..." Et l'on a créé des comité Théodule chargés de gérer les paroisses en accord avec des groupes de "laïcs engagés". Aujourd'hui, il y a toujours moins de prêtres mais il y aussi beaucoup moins de laïcs "engagés", les premiers d'entre eux ayant vieilli et n'on pas été remplacés. Quant aux jeunes qui attendent quelque chose de l'Eglise, une Eglise synodale fonctionnant sur des structures bureaucratiques (car ce sera inévitablement le cas) les intéresse beaucoup moins qu'une Eglise ouvertement, visiblement et "simplement" catholique catholique.

  • Les enfants des laïcs engagés dans l'Eglise ont bien compris l'importance du temps y consacré, la difficulté pour tout gérer : famille - travail - santé - silence avec Dieu.- enseignement, services ...
    L'I.A. peut aider, mais l'étude sera toujours nécessaire, les sciences religieuses, comme les autres études scientifiques demandent tout de même des aptitudes, appel de Dieu, vocation et don de soi et ici pour les Prêtres le souci des âmes pour la Vie Eternelle en union avec le Christ Trinité Sainte.
    Donner une plus grande place aux Prêtres, lesquels s'entourent de laïcs de différentes professions et compétences, et en union avec leur Evêque, décident ce qui est le mieux pour la famille chrétienne de tous âges. On s'enrichirait l'un l'autre ...
    La mise à jour de la pratique des vertus et des commandements sera toujours à faire... avec l'aide de nos Prêtres et ainsi articuler le tout.

  • Le processus synodal est pleinement utile : depuis le lancement de ce processus synodal, François voudrait faire diversion en permanence, pour faire en sorte que les clercs et les laïcs ne commencent pas à se poser des questions dérangeantes sur l'ampleur de l'échec du Concile et de la faillite de l'après-Concile, notamment voire surtout dans le monde occidental, qu'il ne s'y prendrait pas avec autre chose qu'avec le même processus, qui n'est autre qu'un processus d'instauration d'une espèce de centralisme démocratique ad intra et de conformation axiologique ad extra.

  • Et voilà! Un autre livre à la gloire de François avec un tacle au passage à Benoit XVI (incapable de "tenir" son administration)!
    Pfft! François passera, et l'Eglise demeurera!

  • Tant de livres, de présence dans les médias ... J'en fais une indigestion

  • Si François veut vraiment une Eglise catholique "sans murs ni portes", pour reprendre l'expression de Jean-Marie Guénois, cela signifie que François veut aussi, ou, en tout cas, accepte pleinement que, dans une telle Eglise, la toiture pastorale ne repose plus sur une structure doctrinale un tant soit peu synonyme de pérennité et de solidité, si tant est qu'elle repose encore sur quoi que ce soit de propice à la vigilance et à la résistance face à l'esprit du monde.

    Ainsi, ce qui prévaut depuis Jean XXIII, le premier des prédécesseurs néo-catholiques du futur Jean XXIV dont François nous parle déjà, c'est une stratégie, de moins en moins précise ou prudente, de conformation de l'Eglise et des fidèles à l'esprit du moment et du monde présents, en l'occurrence, depuis Francois, sous couvert de mise en oeuvre du "discernement évangélique dans la miséricorde vers les périphéries".

    Pourtant, il suffit de relire, entre autres, Saint Matthieu, Saint Jean, Saint Pierre, Saint Paul, pour se rendre compte que bien des éclairages et des exigences présents dans le Nouveau Testament n'ont pas un caractère "évangélique" ou "miséricordieux", dans l'acception inclusiviste, périphériste ou synodaliste de chacun de ces deux termes.

    Enfin, on est vraiment en droit de se demander quelles sont aujourd'hui l'autorité et la pertinence du Catéchisme de l'Eglise catholique de 1992, ou du Compendium du Catéchisme de 2005, ou encore du Directoire sur l'homélie de 2014, pour la très grande majorité des évêques et des cardinaux.

  • "François veut une Eglise sans murs ni portes"? Alors une suggestion: qu'il commence par abattre les murs qu'il a construit; qu'il cesse de persécuter les multiples témoins de la foi catholique pour les remplacer par des prélats plus qu'ambigus (sur le plan doctrinal et liturgique. Des murs, il en construit tant et plus contre ceux qui aimaient Jean-Paul II et Benoît XVI. Je n'ai pas la naïveté de penser que ce pontife a la moindre charité à l'égard de ceux qui se retrouvaient aimés par ses deux prédécesseurs. J'éprouve une réelle compassion et un réel amour pour ces évêques qui, tels Mgr Léonard ou Mgr Rey, sont devenus aujourd'hui des martyres face à quelqu'un qui n'est plus rien d'autre que le disciple de ce monde.

  • Un pape qui tacle les racines chrétiennes de l'Europe me navre, qui détruit l'héritage de son prédécesseur sur l'accueil justement, mais surtout qui n'élève pas le débat, On le dirait en campagne médiatique. Il veut changer l’Église mais il ne respire ni la bienveillance, ni la foi , et place ses amis aux postes clés;.3 pas en avant 2 pas en arrière comme concession , mais enfin de compte il est progressiste/ Sa position sur le covid et le vaccin m'a scandalisé, sa position sur l'immigration ne me semble pas chrétienne, car elle met l’idéologie de l’immigration qui iest un leurre au dessus de la réalité des personnes, de ce qu'il appelle " les brebis et leur odeur" avec sa délicatesse habituelle. Sur la foi il est ambigu , à la limite de l'hérésie, en carrément laissant l'hérésie droit de cité. Si la seule qualité que retient JM Guenois est de vouloir réformer l'Eglise au forceps avec ses amis curieux, , c'est léger. L’Église n'a pas à se réformer, mais devenir sainte, un long chemin de sacrifice, non de médiatisation abusive. Dernier point qui me blesse, ce pape ne répond jamais à ceux qui de bonne foi l'interrogent, un peu surpris; Quel mépris à l'inverse de son prédécesseur.

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