Interview à Paris par Christophe Rigaud (site web Afrikarabia) et Olivier Delafoy (Mining & Business) :
Afrikarabia : Vous avez beaucoup attendu avant d’annoncer votre candidature, qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans la course à la présidentielle ?
Denis Mukwege : Cela fait bientôt trois décennies que nous subissons une guerre qui a tout déstructurée à l’Est du Congo. Il n’y a plus d’économie, le tissu social est complètement détruit. Cette partie du Congo est en danger. Du côté médical, nous avons essayé de faire ce que nous pouvions. Sur le plan international, nous avons pu obtenir une loi de l’Union européenne sur les minerais des conflits. Malheureusement, cette loi a été contournée par les présidents Tshisekedi et Kagame qui ont décidé que ces minerais seraient traités au Rwanda. Nous avons également plaidé auprès des Nations unies sur la question des violences sexuelles. Nous avons l’impression d’avoir fait le maximum pour défendre la cause du Congo. Malheureusement, force est de constater un manque de volonté criant des autorités congolaises pour faire avancer la paix à l’Est du Congo. Que ce soit de la part du régime de Joseph Kabila ou de celui de Félix Tshisekedi,
Afrikarabia : Vous avez plaidé votre cause auprès du président Tshisekedi ?
Denis Mukwege : Oui, ma dernière demande à Félix Tshisekedi concernait la mise en place d’une justice transitionnelle, pour engager des poursuites contre les auteurs de crimes, demander des réparations et prévenir ainsi de nouvelles violences. Il avait promis de le faire, mais cela n’a pas été fait. Ce qui est terrible, c’est que les solutions existent, mais s’il n’y a personne pour les mettre en pratique, on risque d’attendre encore trois décennies pour que la population vive en paix. Nous avons donc décidé de ne plus demander, mais de s’engager pour faire.
Afrikarabia : Il n’y a que le politique pour faire bouger les lignes ?
Denis Mukwege : En tant que membre de la société civile, j’ai été partout dans le monde, j’ai vu toutes les instances internationales où des décisions importantes pouvaient se prendre, mais ce n’est plus suffisant.
Afrikarabia : Dans cette course à la présidentielle, les autres candidats de l’opposition dressent les mêmes constats. En quoi votre candidature est elle différente ?
Denis Mukwege : Je suis avant tout un défenseur des droits humains. Nous partons d’une base qui est tout à fait différente. Toutes mes actions seront centrées sur l’Homme. Cela fait une très grande différence. Je souhaite mettre l’Homme au centre de mes préoccupations.
Afrikarabia : Dans un scrutin à un seul tour, une alliance de l’opposition n’est-elle pas indispensable pour battre Félix Tshisekedi ?
Denis Mukwege : Le fait qu’une grande partie de nos politiciens ont décidé de rejoindre l’Union sacrée de Félix Tshisekedi va nous faciliter la chose. Je pense que l’idéal serait de pouvoir trouver un candidat commun pour créer enfin une réelle alternance démocratique. Au vu de la situation désastreuse dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui, c’est une lourde responsabilité de vouloir jouer la carte individuelle en espérant pouvoir y arriver seul. Je pense que ceux qui partagent les mêmes valeurs doivent mettre en commun leurs efforts.
Afrikarabia : Etes-vous compatible avec les autres candidats, comme Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Matata Ponyo… ?
Denis Mukwege : Je n’exclus personne. Le plus important est d’obtenir l’alternance.
Afrikarabia : Etes-vous prêt à nouer des alliances ou à proposer un « ticket » avec un autre candidat ?
Denis Mukwege : Oui. Il faut que ceux qui sont dans l’opposition comprennent que dans la situation du pays, on ne peut pas jouer individuel. Il faut jouer collectif. Je suis très ouvert par rapport à cela.
Afrikarabia : Nous sommes à deux mois et demi du scrutin, vous ne vous êtes pas lancé un peu trop tardivement ?
Denis Mukwege : En deux mois et demi, nous pouvons faire beaucoup de choses.
Afrikarabia : Que faut-il retenir du bilan de Félix Tshisekedi ?
Denis Mukwege : Félix Tshisekedi avait déclaré au début de son mandat que s’il n’arrive pas à ramener la paix à l’Est du Congo, il considérera qu’il a échoué. C’est à lui d’en tirer les conclusions.