De John L Allen Jr sur Crux (Catholic Herald) :
Cardinal Ambongo : un candidat papabile qui émerge grâce à Fiducia Supplicans
/ Crux
31 janvier 2024
ROME - On raconte qu'à l'époque de la domination britannique de l'Inde, les fonctionnaires coloniaux se sont inquiétés de la présence de cobras venimeux dans la ville de Delhi et ont décidé d'offrir une prime pour chaque serpent mort. Des habitants entreprenants se mirent alors à élever des cobras afin de toucher la prime. Lorsque les Britanniques ont découvert la ruse et retiré leur offre, les éleveurs ont libéré leurs cobras devenus inutiles, ce qui a considérablement aggravé le problème.
Ce que l'on appelle "l'effet Cobra" est une illustration classique de ce que l'on appelle la "loi des conséquences involontaires". Très souvent, les actions conçues pour obtenir un résultat génèrent en fait une cascade d'autres effets, dont la plupart n'ont jamais été envisagés ou souhaités.
À l'heure actuelle, le pape François se sent peut-être pris au piège de sa propre version de "l'effet Cobra" en ce qui concerne le document du Vatican Fiducia Supplicans sur la bénédiction des personnes vivant dans des unions de même sexe.
L'une des principales conséquences de la controverse autour de ce document, assez ironiquement, semble avoir donné aux détracteurs conservateurs du pape l'occasion de s'intéresser à d'éventuels candidats lors d'un futur conclave, c'est-à-dire à des candidats susceptibles d'orienter l'Église dans une direction différente.
À l'heure actuelle, la cote du papabile, ou candidat à la papauté, n'a peut-être pas augmenté autant que celle du cardinal Fridolin Ambongo Besungu de Kinshasa, en République démocratique du Congo, qui est également le chef élu des évêques africains en tant que président du Symposium des conférences épiscopales d'Afrique et de Madagascar (SCEAM).
Un titre récent du journal italien Il Messaggero, en tête d'un article du correspondant vétéran du Vatican Franca Giansoldati, dit tout : "Le profil du cardinal Ambongo progresse parmi les futurs papabili : il a dirigé le blocus africain à la bénédiction des couples homosexuels."
La référence est due au fait que le cardinal Ambongo, âgé de 64 ans, a été le principal instigateur d'une déclaration du SCEAM du 11 janvier qui a déclaré que Fiducia Supplicans était restée lettre morte sur le continent. Les prélats africains, selon cette déclaration, "ne considèrent pas qu'il soit approprié pour l'Afrique de bénir des unions homosexuelles ou des couples de même sexe parce que, dans notre contexte, cela causerait de la confusion et serait en contradiction directe avec l'éthique culturelle des communautés africaines".
Bien entendu, la déclaration du SCEAM n'est pas la seule réaction négative suscitée par Fiducia, mais elle est particulièrement remarquable pour deux raisons.
Tout d'abord, c'est la première fois que les évêques d'un continent entier déclarent qu'un édit du Vatican ne sera pas appliqué sur leur territoire. Étant donné qu'il est généralement difficile de mettre d'accord un corps d'évêques peu maniable, la manière compacte et rapide dont le SCEAM a réagi est un témoignage du leadership d'Ambongo.
En outre, la déclaration du SCEAM est également frappante par la manière dont elle a été élaborée de concert avec le Pape et ses principaux conseillers.
Après avoir sollicité les réponses des conférences épiscopales africaines à la Fiducia, Ambongo s'est envolé pour Rome afin de les partager avec le Pape. François lui a demandé de travailler avec le cardinal argentin Victor Manuel Fernández du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, ce qu'Ambongo a fait, en consultant le pontife en cours de route, de sorte que lorsque la déclaration du SCEAM a été publiée, elle portait de facto le sceau de l'approbation papale.
En d'autres termes, Ambongo a trouvé un moyen pour les évêques africains de s'opposer au Pape, au moins indirectement, mais sans paraître déloyal. C'est l'une des aiguilles les plus difficiles à enfiler dans la vie catholique, et l'art avec lequel Ambongo y est parvenu a fait tourner les têtes.
Voici comment Soldati résume les choses dans son article pour Messaggero :
"Dans cette conjoncture très délicate, Ambongo s'est taillé un rôle de premier plan, en démontrant au Collège des cardinaux une capacité de médiation indubitable et un grand courage, au point que certains le considèrent désormais comme un candidat possible au prochain conclave, dans un futur hypothétique, quel qu'il soit : Un cardinal électeur d'un continent en croissance, ancré dans la tradition, fidèle au principe de la synodalité, connaissant bien les mécanismes curiaux et doté d'une perspective capable d'affronter un avenir compliqué".
"En somme, écrit Soldati, toutes les qualités pour un futur pape noir.
Membre des Franciscains capucins, Mgr Ambongo a obtenu un diplôme de théologie morale à la prestigieuse Académie Alphonsienne dirigée par les Rédemptoristes à la fin des années 1980. Dans les années qui ont suivi, il a travaillé dans une paroisse, enseigné dans des séminaires et occupé divers postes de direction au sein des Capucins jusqu'à ce qu'il soit nommé évêque en 2004, à l'âge de 44 ans.
En 2016, Mgr Ambongo est devenu archevêque de Mbandaka-Bikoro et, comme son mentor, le défunt cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, il s'est rapidement retrouvé plongé dans le maelström de la politique congolaise. Lorsque le président de l'époque, Joseph Kabila, a retardé les élections en 2016 pour rester au pouvoir, Ambongo est devenu un tribun de l'opposition pro-démocratique et a aidé à négocier l'accord-cadre de Saint-Sylvestre qui a ouvert la voie à de nouvelles élections en 2018.
Ambongo ne manque certainement pas d'audace. Son franc-parler en faveur de l'environnement, notamment ses critiques à l'égard des géants mondiaux du pétrole et de l'exploitation minière ainsi que des politiciens locaux qui leur obéissent, a suscité des menaces de mort au fil des ans ; à un moment donné, il s'est qualifié lui-même de "personne en danger au Congo".
Il jouit manifestement des faveurs du pape François, puisqu'il a été nommé membre du Conseil des cardinaux du souverain pontife en 2020, à la place de Monsengwo, puis confirmé à ce poste en 2023. Il a également organisé un voyage papal réussi au Congo en février dernier. Cependant, comme l'a montré l'affaire Fiducia, il est également capable de rompre les rangs lorsqu'il estime qu'une question de principe est en jeu.
Mgr Ambongo pourrait séduire les cardinaux conservateurs à la recherche d'un changement, mais il a également gagné le respect des fidèles de François pour la manière dialoguée dont il s'est comporté. Son curriculum vitae témoigne d'une certaine gravité : il a su résoudre des problèmes et s'imposer comme homme d'État dans la politique nationale, il est le chef continental d'un corps épiscopal et un conseiller papal qui connaît de l'intérieur les efforts de réforme du Vatican.
Qu'il s'agisse ou non de la recette d'un futur pape - ce qui, bien sûr, est une supposition à ce stade - ce qui semble plus sûr, c'est qu'il s'agit du profil d'un prélat qui compte, aujourd'hui et pour un certain temps à venir.
Commentaires
On peut toujours rêver et espérer ... : Ambongo papa ! subito !
Pourquoi pas ? Ce sera aussi une fierté pour nous, Belges.
Vous connaissez tous la maxime qui dit que celui qui entre "pape" au conclave en ressort cardinal....
Personnellement , je crois qu'il est trop catholique et qu'il a trop de qualités pour avoir des chances d'être élu... mais gardons confiance en l'Esprit Saint.
Avec ou sans origines africaines, le prochain pape devra remédier à la véritable "guerre de sécession culturelle" qui est menée, depuis les débuts de l'avant-Concile, dès les années 1930, sous Pie XI, par une grande majorité des docteurs et des pasteurs catholiques, contre la conception catholique traditionnelle, non anti-scolastique ni anti-tridentine,
- de la foi catholique, de la liturgie romaine, de la morale chrétienne, des sacrements de l'Eglise,
mais aussi
- des confessions chrétiennes non catholiques, des religions non chrétiennes, des aspirations de l'homme et de l'orientation du monde de ce temps.
Autant dire que le chantier est immense, ou autant dire ce qui suit : de même qu'il a fallu cinq papes, conciliaires puis post-conciliaires, pour faire passer l'Eglise catholique de Pie XII à François, de même il faudra plusieurs papes pour faire sortir l'Eglise et les fidèles de l'irénisme utopiste qui est à l'oeuvre, de la manière la plus explicite et officielle qui soit, depuis le début des années 1960 et du Concile.
Dans cet ordre d'idées, un aspect des choses mérite d'être relevé : près de trente années de pré-configuration des esprits, notamment chez les Dominicains et chez les Jésuites, de la fin des années 1920 à la fin des années 1950, ont été nécessaires et ont rendu possible le coup d'État intellectuel qui s'est produit au moment et au moyen du Concile, et qui a permis au "Parti iréniste" de conquérir puis de conserver le pouvoir dans l'Eglise catholique.
Or, on ne voit pas en quoi la période, qui a commencé juste après la publication du Catéchisme de l'Eglise catholique, et qui a commencé par la publication de Veritatis splendor, s'est traduite par une pré-configuration des esprits dans la direction opposée, c'est-à-dire dans une direction déconciliarisante et recatholicisante, pour ainsi dire.
Benoît XVI lui-même, ou même Benoît XVI, n'a jamais essayé d'imposer aux évêques le recours au Compendium du Catéchisme de l'Eglise catholique dont il est l'auteur, et n'a jamais voulu revenir avec courage et franchise sur les sacro-saintes intuitions prophétiques du Concile, placées sous les signes suivants : le dialogue, la dignité, l'inclusion, la liberté, le renouveau, l'unité.