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Des cardinaux choisis par l'argentin François pourraient-ils élire un pape conservateur ?

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De Marie-Lucile Kubacki sur La Vie via le site "Pour une école libre au Québec" :

Des cardinaux choisis par l'argentin François éliront-ils un pape conservateur ?

C’est ce que pense possible l’historien des religions et théologien italien Massimo Faggioli interrogé par La Vie.

Alors que les Églises d’Afrique ont annoncé un « non » continental à la possibilité de bénir des couples homosexuels, ouverte par le pape François, une page difficile s’ouvre pour la gouvernance de l’Église.

Au-delà des oppositions habituelles au pontificat de François, les réactions au document publié en décembre dernier par le Dicastère pour la doctrine de la foi sur la possibilité de bénir des couples homosexuels, et notamment le « non » du continent africain, ouvre une crise riche d’enseignements sur la gouvernance de l’Église et les enjeux de la synodalité.

— Une nouvelle forme d’opposition au pape François est-elle en train d’émerger ?

Au cours des derniers mois, nous avons été témoins de nouveaux cas d’opposition, comme de ce prêtre en Italie qui a été excommunié latae sententiae après avoir déclaré que le pape était un « imposteur ». Cet épisode est survenu en même temps que des évêques et des cardinaux prenaient position contre le document du Vatican sur les bénédictions, Fiducia Supplicans. La séquence donne l’impression qu’il existe un mouvement contre le pape François qui est en train d’éclater.

— Est-ce vraiment le cas ?

La seule chose que l’on puisse dire est qu’il s’agit d’un moment très délicat de son pontificat, car pour la première fois depuis dix ans, le pape François pouvait rédiger des documents et légiférer avec un cardinal proche de sa sensibilité, Victor Manuel Fernandez, qu’il a nommé en assortissant son choix d’une lettre de mission personnelle. Ses prédécesseurs étaient marqués par une sensibilité différente, plus proche de celle de Joseph Ratzinger. Avec Fernandez, il pouvait aller plus loin dans la mise en œuvre de sa vision des choses, et le premier test ne s’est pas très bien passé.

— Étonnamment, il y a eu assez peu de réactions d’opposition au document dans l’épiscopat américain…

C’est effectivement un constat intéressant. Aux États-Unis, l’opposition au pape François a commencé dès le début de son pontificat. Un mouvement assez large a commencé à se structurer, porté par des intellectuels, quelques évêques et quelques cardinaux, une grande partie du clergé américain et surtout des laïcs dotés d’importants leviers financiers. Des équivalents américains de Vincent Bolloré, mais bien plus nombreux et organisés. Ainsi, après la publication de ce document sur les bénédictions homosexuelles, il n’y a pas eu de grand tollé, parce que ceux qui auraient pu s’y opposer sont occupés à mener une stratégie différente.

Ils travaillent sous la surface de l’eau, ils créent de nouvelles écoles, des centres de formation et des universités. Ils financent des médias catholiques et travaillent à l’après-François. De la même manière, en Europe de l’Est, en Pologne, en Ukraine, en Hongrie, cette affaire de bénédictions vient renforcer des mouvements de fond silencieux très stratégiques, où les regards sont déjà tournés vers la prochaine étape : le conclave et l’élection du prochain pape. Dans ce contexte, il n’est pas à exclure que le prochain conclave, et donc des cardinaux choisis par François, élisent un conservateur ou un ultraconservateur.

— Une nouvelle forme d’opposition silencieuse, donc ?

Oui, un certain nombre d’évêques, de prêtres et de théologiens ont cessé de dire les choses en public et de s’opposer frontalement à François. [L’Argentin punissant mesquinement les opposants trop bruyants… Voir Le cardinal Burke (en opposition aux dérives du Vatican) aurait été officiellement sommé de quitter son appartement en févrierAux États-Unis, certains évêques et cardinaux craignent que ce pontificat ne devienne une sorte de papauté fantôme dans le pays, au sens d’un pape que l’on aurait cessé d’écouter. La manière dont certaines des dernières mesures ont été prises n’a pas aidé. Si Fiducia Supplicans avait été publié à la fin du synode, elle aurait eu davantage de légitimité. La situation est donc très compliquée. Je n’ai jamais vu un document du Saint-Office être bombardé de la sorte. Et ces réactions pourraient changer la dynamique au Synode en donnant aux gens l’impression que quoi que disent les participants, tout sera décidé à la fin par le Vatican et le pape. Pour la synodalité, c’est un passage délicat. Mais pas seulement.

C’est-à-dire ?

Depuis quelques années déjà, François s’appuie davantage sur ses contacts personnels pour s’informer et prendre ensuite des décisions, en contournant le système institutionnel, le collège des cardinaux, les services diplomatiques… Au moment où le Dicastère pour la doctrine de la foi publiait sa note, le Conseil de cardinaux (C9) tenait une réunion à Rome sur un autre thème. Et comment le Dicastère pour la liturgie a-t-il été impliqué, dans la mesure où cette note porte sur la nature des bénédictions ? Par ailleurs, dans sa nouvelle constitution de la Curie, le pape a placé l’évangélisation avant la doctrine de la foi, qui, ces jours-ci, est placée sous les feux des projecteurs. Quel est le sens de tout cela ? Chacun semble jouer sa propre partition de son côté et cette manière de faire isole le pape dans son gouvernement.

— Quelles pourraient être les conséquences du rejet par le continent africain de Fiducia Supplicans, après la consultation lancée aux conférences épiscopales par le cardinal Ambongo ?

Il est difficile de répondre à cela, car cette crise est plus profonde que l’opposition au pape François que l’on a connue au cours des premières années. Je ne m’inquiète pas tant en raison des quelques extrêmes qui crient à l’hérésie à chaque décision du pape — parce que ce sont toujours un peu les mêmes, les suspects habituels — que face à cette nouvelle lame de fond. Dans les années 1960 ou 1970, vous aviez une liste limitée de questions sensibles (la contraception et les femmes, questions qui préoccupaient essentiellement les Européens et les Nord-Américains).

Désormais émergent des questions qui n’affectent pas seulement une petite partie de la population catholique, mais le continent en croissance pour le catholicisme, qui est l’Afrique. C’est un problème systémique. Je ne parle pas seulement en termes de quantité, car l’Église catholique ne raisonne pas en termes de clientèle à développer. En revanche, cela touche à la capacité de l’Église catholique à se connecter avec son peuple. A fortiori le Sud, envers lequel François n’a cessé de manifester sa proximité depuis le début du pontificat.

— La synodalité pourrait-elle résoudre cette crise ?

Je pense que la synodalité reste encore une grande occasion. Le plus grand problème de l’Église est le suivant : comment rester unie en acceptant l’idée et la réalité qu’il existe différentes situations et différentes manières d’aborder les questions dans le monde ? Les Églises locales ont acquis un peu d’autorité et de liberté en matière de liturgie, mais pour le reste, du chemin reste à faire. Personnellement, je peine à imaginer que l’Église catholique ait la même politique sur la manière de traiter le rôle des femmes dans l’Église en tous points du monde. Certains pays vivent sur des planètes différentes au regard de ces questions.

Le pape doit maintenant faire face au problème de l’unité dans la foi, unité dont plus que jamais il doit être le signe visible face à cette diversité qui existait déjà, mais qui apparaît désormais en pleine lumière. Ainsi, l’impératif est double : reconnaître la spécificité des contextes et rester un signe visible d’unité. Sinon, les gens se tournent vers de faux prophètes, des politiques ou des figures médiatiques qui se présentent comme plus papistes que le pape.

— La question de l’autorité des Églises locales devrait-elle être selon vous davantage prise à bras-le-corps en octobre prochain ?

Ce serait souhaitable, mais sur ce point, François se heurte à une de ses peurs : que le synode devienne un parlement. Plus que de conversion des structures et des institutions, il a placé le style de la « conversation spirituelle » au cœur du premier synode. On touche ici à un des paradoxes du pontificat : un pape qui a cette grande intuition de la synodalité tout en ayant un gouvernement qui devient plus centralisé.

Voir aussi

M à j : François recule un peu (Bénédiction des couples homosexuels : une révolution qui ne dit pas son nom et qui divise)

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