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Avortement : l’exception française

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De Grégor Puppinck sur le site de l'European Centre for Law & Justice :

IVG : l’exception française

Le débat sur la constitutionnalisation de l’avortement est étrangement faussé, comme si l’essentiel de la question ne devait pas être posé. Du côté des partisans de la constitutionnalisation, on avance le besoin de se prémunir contre une hypothétique menace de remise en cause de l’IVG. Du côté des opposants, on avance des arguments juridiques.

Mais ces arguments omettent l’essentiel. Ils omettent le fait même de l’avortement, et l’objet qui en est la victime. Mais cette réalité-là, il est convenu de ne plus en parler. Ils omettent aussi la réalité matérielle de l’avortement, que nous devrions pourtant pouvoir regarder en face : quelles sont les causes et les conséquences de l’avortement, quelle est notre situation par rapport aux autres pays européens ? Nous verrons alors que la France fait figure d’exception, pour le pire.

Deux fois plus d’avortements en France qu’en Allemagne

Selon Eurostat, la France détient le record de l’Union Européenne en nombre d’avortements pratiqués chaque année. En 2022, on compte 320 avortements pour 1000 naissances selon la DREES (2023), ce qui place la France en tête des pays européens, largement devant l’Allemagne ou la Suisse qui comptaient respectivement 129 et 125 avortements pour 1000 naissances (Eurostat, 2020).

Non seulement, le recours à l’avortement en France est le plus élevé d’Europe, mais il ne diminue pas. Nous sommes passés de 202 180 en 2001 à 234 300 avortements en 2022, soit le maximum jamais atteint. À l’inverse, le recours à l’avortement a diminué considérablement chez la plupart de nos voisins. Selon les dernières données de Eurostat disponibles, le recours à l’IVG baisse dans tous les pays européens sauf en France, au Royaume Uni et en Espagne. Cette baisse n’est pas due au seul vieillissement de la population car le taux d’avortements par naissance a baissé considérablement.

Seule la Bulgarie a encore un taux d’avortements équivalent à celui de la France

Il a baissé dans les anciens pays communistes. La Roumanie est ainsi passée de 400 IVG pour 1000 naissances en 2014 à seulement 160 en 2020. De même, en Europe de l’Ouest : de 2001 à 2021, le taux d’avortements est passé de 151 à 119 pour 1000 naissances en Allemagne et de 266 à 159 avortements pour 1000 naissances en Italie (selon les instituts nationaux de statistiques d’Allemagne et d’Italie). Ainsi, depuis 2000, le nombre total d’IVG a été réduit de moitié en Italie pour atteindre 63 653, et de 30 % en Allemagne, où il n'est plus que de 94 596 en 2023, selon Eurostat.

La comparaison avec nos voisins européens démontre que la France pourrait faire bien mieux, sans même modifier la loi. C’est d’ailleurs ce que veulent les Français puisque 73 % d’entre eux estiment que la société devrait aider les femmes à éviter l’IVG, selon un sondage de l’IFOP de 2020. C’est aussi ce à quoi la France s’est engagée. Lors de la Conférence sur la Population et le Développement de 1994, qui est restée une référence en droit international, la France s’est engagée, avec les autres membres des Nations Unies, à « réduire le recours à l’avortement » et à « prendre des mesures appropriées pour aider les femmes à éviter l’avortement ».

L’IVG n’est plus « compensée » par les naissances

Longtemps, les responsables politiques ne se sont pas inquiétés de cette exception française, car le taux élevé d’avortements était compensé, disait-on, par un taux également élevé de la natalité. Ce n’est plus le cas : les naissances diminuent alors que l’IVG augmente. Depuis 2010, les naissances ont baissé de 20 % pour atteindre 678 000 en 2023, tandis que le taux de fécondité recule encore à 1,68 enfant par femme. Il est globalement inférieur à deux enfants par femme depuis 1975, année de légalisation de l’avortement. À présent, c’est l’immigration qui contribue « pour près des trois quarts à la hausse de la population » en France selon l’INSEE.

L’IVG causée par la pauvreté

Plutôt que de glorifier l’avortement dans la Constitution, il faudrait s’interroger sur les causes de son augmentation en France. L’une d’entre elles, généralement ignorée, est l’accroissement de la pauvreté. Toutes les études sociologiques le démontrent : plus une femme est pauvre et isolée, plus elle est exposée au risque de subir un avortement. Selon la DREES, les femmes seules ont un risque supérieur de 37 % à celui des femmes en couple de subir un avortement. Quant aux femmes faisant partie des 10 % les plus pauvres, leur risque de subir un avortement est supérieur de 40 % par rapport aux 10 % des femmes les plus riches, à groupe d’âge et situa­tions conjugales identiques. Ce déterminisme social de l’avortement est confirmé encore par le sondage de l’IFOP dont il ressort que la moitié des femmes françaises estime que la « situation matérielle » constitue « l’influence principale qui pousse une femme à recourir à l’IVG ».

Lorsque l’on prend conscience que l’avortement est souvent causé, et même contraint, par la pauvreté et la solitude, on comprend alors qu’il puisse causer de réelles souffrances chez celles qui le subissent. Ici encore, les études le démontrent. L’avortement est lié à un risque accru de dépression, d’addictions à la drogue ou à l’alcool, d’idées suicidaires, etc.[1] 92 % des femmes déclarent d’ailleurs que l’avortement laisse des traces difficiles à vivre, elles sont 96 % chez les 25-34 ans (IFOP).

Face à un tel tableau, l’attitude des responsables politiques est difficilement compréhensible. Comment la gauche fait-elle pour ignorer la réalité sociale de l’IVG, pour ne pas voir cette misère ? Et pourquoi la droite est-elle si timorée alors qu’il y a tellement de bien à faire ? C’est peut-être cela la plus grande exception française en la matière : le « tabou de l’avortement », ce tabou qui nous empêche de réfléchir et d’agir de façon raisonnable. Et c’est ce tabou que l’on se propose à présent de graver dans la Constitution, pour en faire un principe indiscutable.

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[1] Voir notamment l’étude de P. K. Colman, « Abortion and Mental health: quantitative synthesis and analysis of research published 1995-2009, The British Journal of Psychiatry, Vol. 199, no. 3, 2011.

Commentaires

  • Ainsi en va-t-il lorsqu'on est passé de la dépénalisation de l'avortement sous conditions de la loi pour remedier aux avortements clandestins, au droit a l'avortement comme droit des femmes en passant par la prise en charge par la politique de santé.
    On se demande si la constitutionalisation était bien nécessaire faute de menace sur la dépénalisation et comment la Constitution peut tenir ensemblre le droit à l'avortement de la femme et le droit de l'enfant dès la conception, comment on peut à la fois prendre en compte la liberté de la femme de disposer de son corps et l'expérience de la distinction du corps de la femme et du corops du foetus, comment le droit est compatible et avec les limites de 12 ou jusqu'a 24 semaines et avec la liberté de conscience du médecin.
    Autre cependant le droit pénal et la morale sans que le pénal dispense de l'exercice de la conscience, tant le droit pénal ne dit pas le bien et le mal, seulement le socialemen utile ou inutile.

  • Le chef de l'OMS s'est immédiatement réjoui, indiquant que "l'avortement sans risque fait partie des soins de santé". Le plus significatif est peut-être que plus personne ne s'étonne d'entendre pareilles carabistouilles.

    Un aspect dominant, écrasant, du débat est la peur. Elle apparaît sous de multiples facettes. Relevons d'abord le prologue à ces derniers jours d'infamie qu'a constitué la couverture pour ainsi dire burlesque du sujet par la chaîne d'information (?) française Cnews. Le dimanche 25 février, dans l'émission (religieuse) "En quête d'esprit", un comparatif a établi que l'avortement était la première cause de mortalité dans le monde. Rien d'autre qu'un constat, donc. Mais c'est justement cela, le regard sur la réalité, qui est devenu intolérable. Dans les heures qui ont suivi, le tollé était général. En sorte que, le lendemain, la chaîne présentait ses excuses. Et de quelle manière ? Par un sobre communiqué officiel ? Non, ce fut un défilé d'éditorialistes qui, tout au long des programmes, se désolidarisèrent de leur collègue dominical. L. Ferrari estimait "impossible" (sic) la diffusion d'une telle séquence et se faisait vindicative, avertissant qu'il "ne s'agit pour quiconque de remettre en cause" un droit qu'elle appelait dès lors à constitutionnaliser sans retard. P. Praud, toujours attentif à son orientation dans le sens du vent, abondait dans le même sens. S. Mabrouk exigeait "l'IVG pour toujours", en la "sanctuarisant". C. Kelly signalait qu'elle "ne valide pas" la comparaison, mais ne communiquait pas de données alternatives.
    Deux jours plus tard, P. Praud livrait une explication de son positionnement en faveur de la constitutionnalisation : il s'est laissé convaincre par les jeunes gens qu'il rencontre. Voilà un homme de 59 ans moins désireux de transmettre que d'être rééduqué par ses petits-enfants. Encore 48 heures et c'est alors un épisode carrément désopilant - dans la mesure où le rire empêche le désespoir total - qu'a offert Cnews. Un autre animateur de la chaîne, E. Deval, a commis l'imprudence de donner la parole à Philippe de Villiers. Celui-ci a d'abord vigoureusement dénoncé une "dérive eugéniste" et une "course à l'abîme d'une civilisation". Le jeune présentateur a senti le sol se dérober sous ses pieds et a dû penser que sa carrière se jouait ; bredouillant, il essayé de circonscrire le cataclysme par ces mots : "Je précise que vous avez une réflexion sur la constitutionnalisation et non sur le droit des femmes." Mais Villiers ne lui a pas fait de cadeau et a répliqué : "Je suis hostile à l'avortement, parce que je suis pour le droit à naître de tous les enfants. Il faut qu'il y ait, y compris sur cette chaîne, au nom de la liberté d'expression, une voix qui le dise." L'étalage général de lâcheté a rendu éclatant le contraste d'un moment de courage.
    Ce qui ajoute au surréalisme d'une telle pantalonnade, c'est que Cnews est universellement stigmatisée pour faire la part trop belle à des points de vue droitiers - jusqu'à être placée sous la vigilance permanente des régulateurs du paysage audiovisuel français. On verra combien de semaines de répit lui aura achetées son acte de soumission au lobby des tueurs.

    La peur de déplaire ne touche pas que les journalistes. La posture de dizaines de parlementaires qui, en quelques mois, passent du rejet à l'approbation du texte foeticide ne laisse aucun doute. Les justifications entendues pour ces revirements sont éloquentes. Par exemple : "J'ai constaté que ce texte allait passer, j'en prends acte, je n'allais pas voter contre." Ou encore : "Ce n'est pas la peine d'hystériser la société. On donne le sentiment de pinailler pour pas grand-chose. J'ai vu que l'opinion publique était à une forte majorité favorable." Quelle personnalité ! Quelle détermination dans les convictions ! Et puis cette perle émanant d'une sénatrice qui semble craindre d'avoir le reniement moins rapide que les représentants de l'autre sexe : "Il y a une perception par les hommes politiques qui change. Si les femmes font évoluer les hommes, tant mieux." On le voit, il y a compétition entre la bêtise et la trouille ; mais à l'arrivée, celle-ci l'emporte.

    Quoique. Un acteur au moins mérite une mention spéciale. Le micro-président, ce n'est pas la peur qui le remue. Il nous avait prévenus - c'est plus fort que lui, il ne parvient pas à s'en empêcher : "La Bête de l'événement arrive." Son envie de plus en plus palpable d'en découdre avec le tsar confirme que son projet est plus sinistre que de seulement emm... ses compatriotes. La guerre débarrassant les médiocres de la fine fleur d'une génération, la motivation pour le conflit est grande parmi les têtes à claques qui squattent les lieux de pouvoir.
    La mort s'abat sur la France. Que vaut un chiffon de papier juridique lorsque tout est réduit en cendres ?

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