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Phénomènes surnaturels : les nouvelles normes nient la possibilité de reconnaître les traces de l'intervention de Dieu dans l'histoire humaine

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De Luisella Scrosati sur la NBQ :

Les nouvelles normes sur les apparitions mettent en pièces l'apologétique

Le document présenté le 17 mai est en nette rupture avec l'attitude que l'Église a toujours eue à l'égard des phénomènes surnaturels. Les nouvelles normes nient la possibilité de reconnaître les traces de l'intervention de Dieu dans l'histoire humaine.

23_05_2024

Les nouvelles normes sur les apparitions mariales présentées le 17 mai dernier nous obligent à jeter un regard neuf sur l'attitude traditionnelle de l'Église à l'égard des phénomènes surnaturels afin de comprendre si ces normes s'inscrivent ou non dans la continuité. Il a toujours été connu que l'attitude de l'Eglise dans ce domaine est celle de la prudence. D'autre part, nous avons les impératifs de l'apôtre Paul : "N'éteignez pas l'Esprit, ne méprisez pas les prophéties ; examinez tout, retenez ce qui est bon" (1 Th 5,19-21). Ces deux aspects sont complémentaires : la prudence est précisément au service de l'exhortation paulinienne, c'est-à-dire que l'Église est appelée à tout examiner, afin de parvenir autant que possible à la certitude morale que tel ou tel événement est bien une manifestation de l'Esprit.

L'attitude de l'Église a toujours été précisément d'observer, d'examiner, de passer au crible, afin de parvenir à un jugement positif ou négatif sur l'éventuelle origine surnaturelle de certains phénomènes. Une certaine systématisation de ces critères a été l'œuvre d'importants théologiens du XVe siècle, tels que le cardinal dominicain Juan de Torquemada et le docteur Christianissimus, Jean de Gerson. Il semble que l'intérêt théologique pour les phénomènes surnaturels ait été déclenché par la décision du concile (controversé) de Bâle d'examiner les célèbres révélations célestes de sainte Brigitte de Suède.

Deux conciles œcuméniques ultérieurs, le Latran V (1512-1517) et le Tridentin (1545-1563), ont déclaré qu'il appartenait à l'évêque compétent d'agir et de se prononcer définitivement sur tout phénomène surnaturel, avec l'aide de quelques "docti et gravi" (Latran) et "theologi et pii" (Tridentin). Il s'agit d'un double principe - compétence de l'évêque et recours aux experts - qui garantit d'une part la dimension de la communion hiérarchique, et d'autre part la science et la compétence nécessaires pour parvenir à un jugement qui se rapproche le plus possible de la certitude morale. Reste la "réserve apostolique", c'est-à-dire la possibilité d'une intervention du Siège apostolique, même sans le consentement de l'évêque.

Le XVIe siècle a vu l'apport extraordinaire de mystiques tels que Sainte Thérèse d'Avila, Saint Jean de la Croix et Saint Ignace de Loyola, qui ont enrichi le discernement des prétendus phénomènes surnaturels avec des critères plus fins. Les siècles suivants ont vu l'émergence d'importants traités théologiques, parmi lesquels le De discretione spirituum du cardinal Giovanni Bona, et surtout l'œuvre du cardinal Prospero Lambertini, le futur Benoît XIV, tant le monumental De servorum Dei beatificatione que l'ouvrage qui lui est aujourd'hui attribué par la critique et qui est enfin disponible dans une édition critique, les Notæ de miraculis.

Cela conduit aux Normæ de 1978, qui résument le long développement historique retracé, en énumérant quelques critères positifs et négatifs selon lesquels l'Ordinaire peut juger le fait considéré, les relations avec la Conférence épiscopale concernée et avec la Congrégation pour la doctrine de la foi. Les Normæ susmentionnées servaient à "juger, au moins avec une certaine probabilité" de l'éventuelle origine surnaturelle du phénomène concerné.

Le document de 1978 était déjà bien conscient de la rapidité avec laquelle se répandent aujourd'hui les nouvelles sur les prétendus phénomènes, ainsi que de "la mentalité actuelle et des exigences scientifiques de la recherche critique" qui "rendent plus difficile, voire presque impossible, d'émettre avec la célérité voulue les jugements qui concluaient les enquêtes sur le sujet dans le passé". Mais c'est précisément en raison de ces difficultés que les Normæ ont été émises, afin d'arriver "à la lumière du temps écoulé et de l'expérience, en tenant particulièrement compte de la fécondité des fruits spirituels" à "exprimer un jugement de veritate et supernaturalitate, si le cas l'exige".

Le lecteur pardonnera ce long excursus, nécessaire toutefois pour comprendre l'orientation de l'Église en la matière : la plus grande prudence, sans être pressé de se prononcer dans un sens ou dans l'autre, mais aussi l'ouverture à la reconnaissance de la présence de l'Esprit, à travers l'attestation d'éléments qui font appel à la raison de l'homme, capable d'arriver à un jugement hautement probable et à une certitude morale.

Sur la toile de fond de toute cette évolution historique, on peut identifier précisément ce point fixe : l'Église a conscience de la capacité de la raison humaine à saisir les signes du surnaturel. Ce principe est à la base de la crédibilité de la personne de Jésus-Christ lui-même, de l'Évangile et de l'évangélisation. L'apôtre Pierre, le jour de la Pentecôte, s'adressant aux juifs, a décrit le Seigneur Jésus comme "l'homme que Dieu vous a crédité par des miracles, des prodiges et des signes" (Ac 2,22) ; Dieu a également crédité l'œuvre des apôtres eux-mêmes par "beaucoup de signes et de prodiges" (Ac 5,12). Le miracle, l'événement surnaturel est une sorte de "signature de Dieu", que l'homme est en mesure de décoder, un indice que Dieu offre précisément à la raison de l'homme, afin qu'il puisse en reconnaître l'origine. Toute l'action prophétique, du Christ lui-même et des Apôtres, se fonde précisément sur ce principe : l'homme n'est pas en mesure de connaître directement le surnaturel, mais d'en identifier les signes, les traces, afin de reconnaître l'empreinte de Dieu et de s'ouvrir à l'accueil de son action et de son message.

Maintenant, que trouvons-nous dans les nouvelles normes ? Le cardinal Fernández a tenté de justifier le nouveau document par la nécessité d'une plus grande prudence de la part de l'Église, en raison de la confusion générée par les actions de certains évêques et les déclarations contradictoires. Mais en réalité, le problème ne réside pas dans l'absence de normes ou dans leur obscurité, mais plus simplement dans l'imprudence de certains prélats, à tel point que les Nouvelles Normes reprennent en grande partie les critères du document de 1978. S'il s'agissait donc d'un problème de prudence, le document serait inutile.

La véritable nouveauté du document, cependant, réside dans le fait que désormais la possibilité d'exprimer une opinion positive sur le caractère surnaturel d'un événement sera exclue, mais se limitera, tout au plus, à un nihil obstat ; la mise en garde de l'article 22 §2 exprime cette nouveauté : même dans le cas du nihil obstat, "l'évêque diocésain veillera (...) à ce que les fidèles ne considèrent aucune des déterminations comme une approbation du caractère surnaturel du phénomène". Le concept a été réitéré par Fernández lors de la conférence de presse, en réponse à une question de la journaliste Diane Montagna ; se justifiant par la nécessité de se limiter à une décision prudentielle, le cardinal a déclaré que "l'on ne peut pas demander une déclaration d'origine surnaturelle pour décider dans ce cas, précisément parce que le risque de déclarer [un phénomène] comme surnaturel est celui de donner une pleine certitude. De sorte que, en dernière analyse, on ne peut plus douter".

Or, même les pierres savent que lorsqu'un évêque s'exprime favorablement sur le caractère surnaturel d'une apparition ou d'un miracle, et même lorsqu'un pape le fait, il n'entend ni ne peut lier la conscience des fidèles, comme s'il enseignait un dogme ou une vérité de fide tenenda. Il s'est toujours agi d'un jugement prudentiel, même lorsqu'il est exprimé par un constat de supernaturalitate, dont le plus haut degré d'assentiment est la certitude morale, et non la certitude absolue d'un acte de foi. À tel point que l'opposition au jugement autorisé de l'évêque dans une telle matière signifierait en soi tout au plus une imprudence, et non une hérésie ou un schisme.

Le contenu concret du document est donc tout autre : il s'agit de nier que l'Église ait les moyens de pouvoir porter sur un événement un jugement de probabilité ou de certitude morale quant à son origine surnaturelle ; mais comment accorder foi à l'Église qui annonce le miracle de la guérison de l'hydropique par le Seigneur, ou de l'infirme par Pierre et Jean, si cette même Église nous dit aujourd'hui qu'en substance il n'est pas possible de dire quoi que ce soit sur le caractère surnaturel d'un événement ? Car il ne s'agit pas de savoir ce qui est objet de foi et ce qui ne l'est pas, mais de pouvoir dire quoi que ce soit sur la crédibilité d'un fait. Malgré les nombreuses divergences entre théologiens à ce sujet, la ligne suivie par le Dicastère semble entièrement nouvelle dans l'histoire de l'Église : sacrifier la credibilitas pour sauvegarder la credentitas, c'est-à-dire renoncer à se prononcer sur le caractère surnaturel d'un fait pour préserver l'acte de foi. Le souci de Tucho, comme il l'affirme dans la Présentation des Nouvelles Notes, est que l'approbation de certaines révélations conduit à les apprécier "plus que l'Évangile lui-même" ; il est donc préférable de ne pas donner de signes d'approbation, mais seulement de concession.

L'expérience est cependant différente et considère les raisons de crédibilité comme une aide à l'acte de foi proprement dit et non comme un obstacle. On le constate quotidiennement dans nos églises et dans la pratique du peuple de Dieu : si certaines apparitions mariales, comme Lourdes, Fatima, Guadalupe, n'avaient pas été acceptées par l'Église, la vie chrétienne du peuple et la fréquence des sacrements seraient encore pires qu'elles ne le sont déjà. La force des signes crédibles de miracles eucharistiques ou d'apparitions, apparus précisément grâce à l'enquête prudente et parfois timide des évêques, a toujours soutenu la foi des gens, surtout dans les périodes d'obscurité. Voilà pour ce qui est d'entraver la foi.

Le sentiment est que Tucho Fernandez est complètement conditionné par le courant qui pulvérise l'apologétique depuis plusieurs décennies, créant non pas un saut mais un écart entre les exigences de la raison et l'acte de foi, soutenant une impossibilité substantielle de reconnaître avec certitude (morale) les traces des interventions de Dieu dans l'histoire de l'humanité.

Commentaires

  • Attention : la prudence de l'Eglise devant les phénomènes paranormaux ne signifie absolument pas la négation de l'existence des miracles.

    Lorsqu'une apparition privée, (ou encore une série de locutions intérieures qu'une personne prétend recevoir,) n'est pas accompagnée de miracles indubitables pour en confirmer l'origine surnaturelle, l'Eglise se contente d'un "Nihil obstat" (il n'y a pas d'obstacle mais nous ne pouvons prouver que cela vient de Dieu) comme c'est le cas actuellement pour l'apparition de Medjugorje ou de Notre-Dame du Laus.

  • Cher Arnaud. si je suis bien informé, au Laus, l'Eglise ne s'est pas contentée d'un simple Nihil obtat mais aussi d'une reconnaissance officielle par Mgr Di Falco en 2008. Evidemment, c'était avant Tucho, c'est à dire au temps désormais révolu où l'évêque diocésain pouvait rendre un avis positif concernant le caractère surnaturel d'une apparition.

  • Bonjour cher Jean-Pierre,

    je pense que selon les critères donnés par la DDF, la reconnaissance actuelle de l'apparition de Notre-Dame du Laus pour le moment n'est équivalente que du "Nihil Obstat", tant que des miracles authentiques s'étant produit sur ce lieu n'auront pas été étudiés par une commission ad-hoc du Vatican.

    C'est très différent pour lourdes où le nombre de miracles reconnus comme ne pouvant venir de Dieu dépasse le nombre de 80

  • Jusqu'où iront Fernandez et le pape? Jusqu'à réduire à un Nihil obstat les apparitions déjà reconnues par les évêques diocésain? Tant qu'ils y sont, on peut s'attendre aux pires décisions.

  • On voit où ils veulent en venir. L'actualité a maintenant tellement de correspondance avec ce que la Vierge avait annoncé ( à la Salette et à Fatima notamment), qu'ils s'empressent de décrédibiliser les apparitions. Et pour cause ! Les prélats sont gravement visés et les manigances de certains bien mises en lumière par les messages de la Vierge.
    Ces nouvelles directives sous-entendent que l'Eglise a mal discerné dans les siècles antérieurs. Une injure à l'Esprit Saint et au Christ qui en est la Tête !

  • Puisqu'on lésine de moins en moins sur la grosseur des ficelles, il sera intéressant de voir si un effet rétroactif est introduit, si d'anciennes déclarations de surnaturalité sont proclamées nulles et non avenues ! Un doute méthodique sera-t-il jeté sur les messages du passé qui étaient de nature à raffermir la foi populaire et à démasquer les impostures ?
    Ce ne serait pas la première fois, sous ce pontificat, que des positionnements romains antérieurs sont envoyés à la corbeille. L'Eglise aurait-elle erré dans l'hérésie depuis sa création jusqu'en 2013, avant de trouver alors le chemin de la vérité ? Mais dans ce cas, à quoi faudrait-il attribuer ce prodige, si on ne peut l'expliquer par une intervention surnaturelle ?
    Autre question : l'Esprit-Saint, si référencé comme source de propositions qui jaillissent des séances de brain-storming synodal, est-il désormais persona non grata ? Ou bien l'attribution de surnaturalité est-elle réservée aux innovations conformes à l'idéologie des cercles globalistes ? Bref, la mise à jour des critères pour l'octroi d'un label sacré est-elle l'annonce de l'avènement d'une religion unique ?

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