De Tommaso Scandroglio sur la NBQ :
Le "moindre mal" : qu'est-ce qui ne va pas dans le discours de François
18_09_2024
Les hauteurs de la pensée du pape François correspondent précisément aux hauteurs atteintes par les avions qui le ramènent chez lui après ses voyages apostoliques. Lors de la Conférence de presse de retour de Singapour, un journaliste, en vue des élections américaines, demande au pape pour quel candidat un électeur catholique devrait voter : Trump, « qui voudrait expulser onze millions de migrants », ou Harris, « en faveur de l'interruption de grossesse » ?
Le pape François affirme que « tous deux sont contre la vie, celui qui rejette les migrants et celui qui tue les enfants ». Immédiatement après une autre question similaire : « Peut-il y avoir des circonstances dans lesquelles il est moralement permis de voter pour un candidat en faveur de la fin de la vie ? Réponse de François : « Dans la morale politique, en général, on dit que ne pas voter c'est mal, ce n'est pas bien : il faut voter. Et il faut choisir le moindre mal. Qui est le moindre mal, cette dame ou ce monsieur ? Je ne sais pas, tout le monde en conscience pense et fait cela. »
Le Saint-Père, dans ces réponses, a abordé de nombreux sujets. Essayons de les examiner également. Dans un premier temps, tenons-nous en aux déclarations de Trump : il souhaite expulser les migrants illégaux. Cette décision d'un point de vue moral est bonne. Ce n'est pas un mal moral. L'immigration clandestine est contraire à la loi. Il existe bien un droit à migrer, mais dans le respect des lois équitables du pays d'accueil. L'Église n'a jamais été favorable à un accueil inconditionnel et aveugle des émigrés : « La régulation des flux migratoires selon des critères d'équité et d'équilibre est une des conditions indispensables pour que les insertions se fassent avec les garanties exigées par la dignité des personnes. personne humaine » (Conseil pontifical Justice et Paix, Recueil de la doctrine sociale de l'Église, 298) ; en ce qui concerne les flux migratoires, la « politique de coopération internationale [...] doit être accompagnée d'une réglementation internationale adéquate capable d'harmoniser les différents cadres législatifs, en vue de sauvegarder les besoins et les droits des émigrés et des familles et, en même temps, ceux des sociétés d'accueil des émigrés eux-mêmes » (Benoît XVI, Caritas in veritate, 2009).
Nous passons ensuite à la déclaration de François selon laquelle « il faut voter », sous-entendant « toujours ». Dans la moralité naturelle, il existe la catégorie des devoirs négatifs absolus (actions qui ne doivent jamais être accomplies), des devoirs négatifs contingents (actions qui dans certaines circonstances ne doivent pas être accomplies) et des devoirs affirmatifs contingents (actions qui doivent être accomplies dans certaines circonstances). Mais la catégorie des devoirs affirmatifs absolus, c’est-à-dire des actions qui doivent toujours être accomplies, n’existe pas. Cela est dû au principe d’efficacité ou de proportionnalité : il est parfois bon d’omettre une action abstraitement bonne pour un bien plus grand. Voter en soi est une bonne chose, si vous votez pour une bonne loi ou un bon programme électoral, mais parfois il est bon de ne pas voter pour un bien commun. Par exemple, on peut s'abstenir pour protester, pour faire entendre sa dissidence, pour dénoncer le décalage entre la base électorale et les dirigeants politiques, pour manifester sa méfiance envers la classe politique, etc. Naturellement, précisément dans le respect du principe d'efficacité, il faudra peser le pour et le contre, c'est-à-dire évaluer si l'abstention du vote entraînera plus de bénéfices que de préjudices. Quoi qu’il en soit, il est faux de considérer le vote comme un devoir absolu.
Revenons aux paroles du Pape. Il estime à tort que Trump veut nuire moralement lorsqu’il déclare qu’il s’efforcera de renvoyer chez eux les immigrés illégaux et que, de son côté, Harris souhaite également du mal en étant en faveur de l’avortement. Dans son imagination, Trump est un homme pro-vie avec le défaut d’être contre les migrants et Harris est un candidat pro-immigration mais avec le défaut d’être contre la vie émergente. D'après les paroles du Pape, nous comprenons bien qu'il sait que Trump est en faveur d'un mal moindre que Harris, mais il ne peut pas le dire car François ne peut pas être pro-Trump et se réfugie donc dans la rhétorique : « Qui est le moindre mal, cette dame ou ce monsieur ? Je ne sais pas, tout le monde en conscience pense et fait cela. »
Mais au-delà du vote pour Trump ou Harris , ce qui suscite le plus de consternation, c'est le principe, pas du tout catholique, exprimé par François : « Il faut choisir le moindre mal ». Un de ses collègues, Paul VI, lui répond : « Il n'est pas permis, même pour des raisons très graves, de faire le mal pour qu'il en résulte du bien, c'est-à-dire de faire l'objet d'un acte positif de volonté de ce qui est intrinsèquement désordonné et donc indigne de la personne humaine, même si c'est dans l'intention de sauvegarder ou de promouvoir les biens individuels, familiaux ou sociaux » ( Humanae vitae , 18). Le moindre mal ne peut être choisi simplement parce qu’il est mauvais. Entre deux maux de gravité différente, il ne faut donc choisir aucun d’eux : une action est bonne parce qu’elle tend au plus grand bien possible.
Commentaires
Cet article comprend des réflexions intéressantes. Mais il y a une faille dans le raisonnement final. L'auteur assimile "choisir le moindre mal" à "faire le mal".
Ce n'est pas correct, car le mal moindre est effectué par un autre, et non par celui qui choisit de réduire l'ampleur du mal. Si ce choix limite le plus possible les dégâts, c'est-à-dire si tout autre choix a des conséquences pires, il est justifié de le favoriser. Nous ne sommes pas tenus à l'impossible, nous devons simplement concourir au maximum de bien atteignable, ce qui consiste notamment à bloquer d'autres dans leurs mauvaises entreprises, autant que faire se peut.
N'oublions d'ailleurs pas que, puisque tout être humain - et notamment les politiciens - est pécheur, il est irréaliste d'espérer qu'un élu ne fera strictement aucun mal.
Vous faites une distinction que la théologie morale catholique ne fait pas. Selon cette dernière, même si l'intention est de réduire un mal plus grand, participer au mal, même indirectement, peut constituer une faute morale. Ce que l'on appelle la coopération au mal (en particulier la coopération formelle) est condamnée. Or voter pour quelqu'un qui dans son programme a des actions claires contre la vie (l'avortement par exemple) c'est coopérer (au moins indirectement) à cette action. En ce qui concernent les politiciens, J. Ratzinger avait parlé de principes non négociables pour un électeur catholique et comme la doctrine catholique enseigne aussi que l'inaction peut être préférable à la commission d'un mal moral même mineur, s'abstenir de voter si chacun des candidats propose quelque chose de non négociable est la seule action moralement acceptable
Visiblement ce n'est pas ce que pensent et font comprendre nos évêques. Ils disent qu'il faut exercer notre droit de vote, que c'est un devoir, mais que l'on ne peut pas voter pour la droite que l'on qualifie d'extrême. Il ne reste donc que le vote pour les partis du centre, qui tous soutiennent et votent les lois pro-avortement.
Ce qui est étonnant, car à parler de non-négociable, ne pas accueillir tout le monde n'est pas un principe non-négociable, alors que l'avortement l'est.
Vous n'avez pas lu avec attention ce que j'ai écrit. Je n'ai nullement parlé de "participer" ou de "coopérer" au mal, ni d'appuyer "des actions claires contre la vie" ; c'est même le contraire.
Ce qui est moralement inacceptable, c'est de ne pas se préoccuper des bébés qui seront sauvés si un candidat plutôt qu'un autre est élu. Pour ces bébés, c'est une différence, qui ne devrait pas échapper à la compréhension d'un théoricien. Diminuer le nombre de victimes d'un massacre, ce n'est pas coopérer au mal, c'est faire le bien.
Ce raisonnement est accessible à toute personne sensée. Mais puisque vous revendiquez des références théologiques, je vous renvoie à Jean-Paul II, "Evangelium Vitae", 73 (25 mars 1995), qui approuve l'adoption de dispositions "plus restrictives" afin de "limiter les préjudices" lorsqu'il n'est "pas possible d'éviter complètement" une légalisation de l'avortement.
Ajoutons que rien n'empêche, une fois un candidat élu, d'exercer une pression maximum sur lui afin de le détourner des aspects négatifs de son programme.
Un intégrisme consistant à ne soutenir que l'auteur d'un bien absolu et à regarder passivement la progression du mal n'est pas une solution.