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Toujours à contretemps, et pour cause…

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Paul Vaute rend compte pour Belgicatho du nouveau livre de Mutien-Omer Houziaux, "Ces temps crépusculaires ou Le passé décomposé".

   Au regard des générations du futur, si futur il y a, notre Occident présent ne pourra manquer d'apparaître comme un monde marqué massivement par une rupture sans précédent avec ses propres fondements. Les courants négateurs qui, en d'autres temps, étaient cantonnés à des cercles philosophiques et intellectuels minoritaires, ont gagné par imprégnation progressive toutes les strates de la société. Ainsi s'impose la connotation immanquablement positive de tout ce qui "libère des carcans", "affranchit des contraintes", "fait bouger les lignes", "enterre le vieux monde", "désaliène", "déconstruit"…, ce qui signifie de plus en plus clairement pour le tout-venant: rejeter toute transcendance, proclamer le règne de l'homme et célébrer la victoire de la culture en mouvement sur les héritages antique et chrétien.

   C'est le même refus des limites et des normes d'antan au nom de la liberté chérie qui a permis que la nature soit impunément dévastée, mais c'est là un des rares effets qu'on consent à déplorer. Il n'y a pas de Greta Thunberg pour défendre les prérogatives du vrai dans la pensée, du beau dans l'art, du sens commun dans la vie sociale. Promouvoir la famille monogame stable et unie, dénoncer l'emprise de la pornographie dans tous les domaines de la création, réclamer une protection légale de la vie humaine à naître et finissante…: autant de gageures dans le contexte où nous vivons. Des vents contraires se sont certes levés, notamment en Hongrie et aux Etats-Unis,  mais sont-ils durables ? Des courants néoconservateurs ou populistes ont le vent en poupe dans quelques pays, mais ils apparaissent souvent divisés ou timorés sur les questions éthiques. En Belgique, ils peinent à se structurer et les "grands" médias se garderont bien de leur ouvrir la porte.

   Il est d'autant plus heureux que quelques sages, même s'ils n'auront pas droit aux feux de la rampe, prennent la plume pour intervenir "à temps et à contretemps", fustiger le mal, exhorter, instruire (2e Epître à Timothée, 4:2). Mutien-Omer Houziaux est l'un d'eux.  A contretemps était justement le titre d'un de ses précédents ouvrages. Il en prolonge aujourd’hui la démarche avec Ces temps crépusculaires.

   Né à Rochefort en 1935, retraité très actif après une carrière de chercheur et maître de conférences, entre autres à l'Université de Liège, il ne craint pas de mettre notamment en cause, aux sources de notre déracinement spirituel et culturel, la "sacralisation du principe démocratique" qui induit à identifier mœurs et loi, à confondre majorité et légitimité (p. 274). Qui ose encore se réclamer de la vertu ? Sans elle pourtant, la république ne tient pas debout, disait en substance Montesquieu, inspirateur de bon nombre de nos constitutions (pp. 271-272).

   Précisons d'emblée, pour ceux qui seraient tentés de faire de l'auteur un laudator temporis acti, nostalgique inconditionnel du bon vieux temps, qu'il a été un pionnier de l'enseignement et de l'anamnèse assistés par ordinateur, ceci dès les années '60 du siècle dernier, quand l'informatique domestique relevait encore de la science-fiction. Le diagnostic qu'il nous propose de la déliquescence occidentale s'appuie principalement sur des études de cas en Belgique et en France. Ainsi va-t-il au plus significatif du discours dominant sur le vivre ensemble, des débats en cours sur l'euthanasie, de la vogue envahissante du wokisme. L'affaire Palmade, du nom de l'humoriste condamné à la suite d'un accident de la route provoqué sous l'empire de stupéfiants (il vient d'être libéré sous bracelet électronique) est passée au crible. Il en va de même et plus encore pour l'attitude des autorités de l'Université catholique de Louvain qui ont "trucidé académiquement" (p. 51) le chargé de cours Stéphane Mercier coupable d'avoir, sur l'avortement, fourni à ses étudiants un exposé en tout point conforme aux positions de la hiérarchie légitime de l'Eglise, du concile Vatican II, de tous les papes sans exception. Détail piquant: alors que Jean Bricmont, essayiste athée, et une juriste de l'Université libre de Bruxelles ont volé au secours du philosophe au nom de la liberté académique menacée (pp. 54, 58), l'épiscopat belge ne s'est manifestement pas senti concerné par la question.

   Les pages consacrées au victimologisme wokiste pour lequel "l'homme blanc, hétérosexuel serait nécessairement, ontologiquement, raciste, viriliste, colonialiste" (pp. 213-214) sont d'actualité brûlante. J'ai entendu il y a peu, sur les ondes de notre inénarrable RTBF, un journaliste maison assurer, armé de la citation d'un éminent universitaire, que "le wokisme n'existe pas" et qu'il ne s'agirait que d'une invention des milieux populistes, d'extrême droite, etc. Pareille objection frise l'incroyable quand on sait que, dans certains campus américains, des professeurs de lettres ont été jugés par de véritables soviets pour n'avoir enseigné que "des écrivains blancs, hommes et patriarcaux" (ce qui, par parenthèse, n'a jamais ému nos faiseurs d'opinion et autres éditorialistes, aujourd'hui en alerte contre les restrictions imposées aux universités par l'administration Trump). Le présent ouvrage répond on ne peut mieux au déni en citant ce propos que Baudelaire, dans ses Petits poèmes en prose, mit dans la bouche d'un prêtre: "Mes chers frères, n'oubliez jamais, quand vous entendez vanter le progrès des lumières, que la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas" (cité p. 213).

   Avant de refermer Ces temps crépusculaires, je n'énoncerai qu'un seul regret, c'est que nombre de notes infrapaginales ont été maintenues sous la forme de liens hypertextes, bien souvent sans l'adresse URL, ce qui ne peut évidemment pas fonctionner sur papier. Mais l'essentiel, bien sûr, réside dans le fond. Mutien-Omer Houziaux, avec d'autres, nous conforte en démontrant que notre pensée est bien vivante, même si chaque jour qui passe nous confronte à son contraire.

PAUL VAUTE
Historien,
Journaliste honoraire 

Mutien-Omer HOUZIAUX, Ces temps crépusculaires ou Le passé décomposé, Paris, Les 3 Colonnes, 2024, 289 pp., 24 € papier, 15,99 € numérique. A contretemps. Regards politiquement incorrects a été publié en 2010 aux éditions Mols.

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