De Leonardo Lungaresi sur son blog :
Collégialité apostolique et « mentalité synodale » : le pape Léon commence à remettre les choses en place.
21 juin 2025
Je suggère de prêter attention à ces deux passages « stratégiques » de l'important discours que le pape Léon XIV a adressé aux évêques italiens, réunis à Saint-Pierre le 17 juin. (Voici le texte intégral : https://www.vatican.va/content/leo-xiv/it/speeches/2025/june/documents/20250617-cei.html )
La première déclaration substantielle que le Pape a voulu faire – après les salutations et les remerciements initiaux, où ressort une fois de plus ce trait « traditionnel », heureux de relier continuellement la parole du pontife actuel à celle de ses prédécesseurs, que j'ai déjà relevée comme un élément caractéristique de son « style » (ici : https://leonardolugaresi.wordpress.com/2025/06/01/tradizione-e-giusto-uso-una-nota-sullo-stile-di-papa-leone-xiv/ ) – est la suivante : « Dans l'exercice de mon ministère avec vous, chers frères, je voudrais m'inspirer des principes de collégialité, développés par le Concile Vatican II. En particulier, la Constitution Lumen gentium souligne que le Seigneur Jésus a constitué les Apôtres « à la manière d'un collège ou d'une classe stable, dont il a placé Pierre, choisi parmi eux, à la tête » (n. 19). C'est ainsi que vous êtes appelés à vivre votre ministère : collégialité entre vous et collégialité avec le successeur de Pierre .
En conclusion de son discours, après avoir indiqué aux évêques les priorités pastorales qui doivent inspirer leur mission (« annonce de l'Évangile, paix, dignité humaine, dialogue »), Léon leur a adressé trois exhortations, dont la première concerne l'unité. « Avant tout : avancez dans l'unité, en pensant spécialement au Chemin synodal. Le Seigneur – écrit saint Augustin – « pour garder son corps bien composé et en paix, s'adresse ainsi à l'Église par la bouche de l'Apôtre : L'œil ne peut pas dire à la main : Je n'ai pas besoin de toi ; ni la tête aux pieds : Je n'ai pas besoin de toi. Si le corps n'était que yeux, où serait l'ouïe ? Si le corps n'était que ouïe, où serait l'odorat ? » ( Exposé sur le Psaume 130 , 6). Restez unis et ne vous défendez pas des provocations de l'Esprit. Que la synodalité devienne une mentalité, dans le cœur, dans les processus de décision et dans les manières d'agir » (italiques ajoutés).
Le placement de ces deux références, placées non par hasard l'une au début et l'autre à la fin du discours, avec la combinaison de collégialité et de synodalité qui en découle, me semble vouloir transmettre un message fort et très significatif.
La collégialité était un mot clé de Vatican II et, comme le souligne Léon XIV dans une citation de Lumen gentium, elle représentait, avec la notion de « peuple de Dieu », une pierre angulaire de l'ecclésiologie développée par ce concile. Parmi les raisons de sa convocation figurait en effet la nécessité de remédier au déséquilibre créé dans l'Église depuis que les travaux de Vatican I, qui, près d'un siècle plus tôt, avaient mené à leur terme la réflexion sur l'autorité du pape, avaient été interrompus sans qu'une étude aussi approfondie du thème étroitement lié du ministère épiscopal ne soit menée. Les quatre-vingt-dix années écoulées entre les deux conciles, du pontificat de Pie IX à celui de Jean XXIII, avaient vu, en revanche, une croissance constante, et parfois impétueuse, du rôle du pape dans la vie de l'Église, avec un « écrasement » correspondant de celui des évêques. La redécouverte de la dimension ecclésiale de la collégialité apostolique – naturellement cum Petro et sub Petro – fut donc l'une des demandes les plus fortement avancées lors de la phase préparatoire, puis rappelées au cours du Concile. Le troisième chapitre de la Constitution dogmatique sur l'Église Lumen gentium, dans la partie consacrée à l'épiscopat (nn. 18-27), reprend cette exigence, en situant précisément la discussion du ministère épiscopal dans la perspective de la collégialité. Dans les années qui ont immédiatement suivi la célébration du Concile, le problème était encore au premier plan et les deux principales institutions ecclésiastiques destinées à y apporter une réponse remontent à cette époque : le Synode des évêques, institué comme organisme permanent en 1965, et les Conférences épiscopales nationales, déjà instituées dans de nombreux pays mais étendues à toute l’Église en 1966. On pourrait se demander si et dans quelle mesure la théologie de ces années désormais lointaines et les innovations institutionnelles qui se sont alors dessinées ont vraiment favorisé le développement d’une collégialité apostolique correctement comprise, ou si elles n’ont pas fini par mortifier parfois le rôle des évêques individuels, comme par exemple, selon certains, cela s’est produit en raison de la croissance hypertrophiée des Conférences épiscopales et de leur bureaucratie ecclésiastique, mais c’est un fait – aussi paradoxal que difficile à nier – qu’aujourd’hui, soixante ans après la conclusion de Vatican II, on ne parle presque plus de collégialité. Le mot lui-même donne l’impression d’avoir presque disparu du langage ecclésiastique, désormais totalement absorbé et remplacé par l’ineffable et omniprésente synodalité, véritable mantra qui est continuellement répété et inséré dans chaque discours clérical, opportune et importune, sans toutefois être défini avec suffisamment de clarté, mais en conservant des marges d'ambiguïté si larges qu'elles incluent également des phénomènes, comme le Synodaler Weg allemand, qui sont antithétiques à la collégialité épiscopale parce qu'ils tendent à dissoudre l'autorité des évêques comme un ingrédient parmi d'autres dans une forme d'assembléisme (pseudo)démocratique qui délibère sur la foi et la morale au moyen de majorités et de minorités parlementaires.
La situation est paradoxale d’un autre point de vue, car jamais auparavant ces dernières années le grand discours sur la synodalité – donnant parfois même l’impression d’ériger cette catégorie en principe constitutif de l’Église comme telle, comme si nous professions dans le Credo « l’Église une, sainte, catholique et synodale » – n’a été accompagné d’une très forte centralisation du gouvernement de l’Église dans la personne du Pape, comme si le munus pétrinien était un pouvoir autocratique et que le rôle des évêques, plutôt que de se conformer à leur statut de successeurs des apôtres, devait être assimilé à celui de fonctionnaires exécutifs, à la manière d’officiers subalternes dans une armée ou de directeurs de branche dans une grande organisation multinationale.
Que, dans un tel contexte, Léon XIV convoque les évêques italiens et leur annonce d'abord qu'il souhaite exercer son ministère selon les « principes de collégialité » me semble extrêmement significatif. Soyons attentifs aux termes employés : la collégialité, dans la conception du pape Léon, est un principe, ou, si l'on préfère, un ensemble de principes. Un principe : c'est-à-dire non pas une qualité parmi d'autres, mais un élément fondamental sur lequel repose tout le système. Mais ce n'est pas tout : pour que cette affirmation ne reste pas abstraite, et donc inefficace, le pape précise ce concept en le renvoyant à l'élaboration de Lumen gentium, dont il cite un passage très court mais très significatif : « Le Seigneur Jésus a constitué les Apôtres à la manière d'un collège ou d'une classe stable, dont il a placé Pierre, choisi parmi eux, à la tête. » La collégialité n'est pas facultative, car c'est Jésus lui-même qui l'a voulue. Nous touchons ici au cœur du problème, à savoir : quel est le rapport entre Jésus-Christ et l’organisation de l’Église ? Qu’est-ce qui, dans la structure institutionnelle de l’Église, découle directement de la volonté du Seigneur et qu’est-ce qui dépend, au contraire, du développement historique des structures ecclésiastiques (même si, selon nous, catholiques, il est aussi guidé, au moins dans ses grandes lignes, par l’inspiration du Saint-Esprit) ? La plupart des chercheurs, les universitaires qui siègent aujourd’hui (même dans de nombreuses institutions catholiques, hélas) répondraient avec sarcasme à une question similaire, convaincus qu’ils détiennent la preuve que le christianisme (ou plutôt les christianismes, car dans certains milieux, pour être à la page, il faut les parler au pluriel) n’a aucun lien avec Jésus de Nazareth, mais est un « produit » de l’histoire ultérieure. Si tout, dans l’Église, est historiquement déterminé et conditionné, ils en déduisent que tout est historiquement modifiable. En tant que simples catholiques, nous croyons au contraire, avec le Nouveau Testament en main, qu'il y a au moins trois choses que Jésus lui-même a pensées, voulues et explicitement disposées pour la communauté de ses disciples ; trois choses qui lui appartiennent si directement qu'elles ne peuvent en aucune façon être touchées par la volonté humaine, quels que soient le temps, le lieu et la condition de l'Église, et quelle que soit la manière dont elle décide de changer tout ce qu'elle peut changer : le sacrifice eucharistique (« Faites ceci en mémoire de moi » : cf. 1 Co 11, 23-25), le mandat missionnaire (cf. Mt 28, 19-20 et Ac 1, 8) et le collège apostolique (Mc 3, 14-19). Citant Lumen gentium, Léon XIV se place lui-même et son rôle de chef de l'Église universelle dans la tradition de la collégialité apostolique et demande aux évêques de suivre le même critère d'action : « C'est ainsi que vous êtes appelés à vivre votre ministère : collégialité entre vous et collégialité avec le successeur de Pierre . »
À partir de là, tout le discours de Léon tend vers la conclusion, pour aboutir à un résultat non moins significatif : l’exercice de l’autorité pétrinienne et apostolique selon le critère de la collégialité permet de comprendre le véritable sens de la synodalité – d’en faire, pour ainsi dire, la chrêsis, le bon usage purifié de tous les malentendus et des interprétations erronées qui l’ont stratifié. « Avançons dans l’unité, en pensant surtout au chemin synodal », dit le Pape, faisant ainsi clairement de la synodalité un moyen et non une fin. Le bien à rechercher est l’unité dans le Christ, le chemin synodal est le chemin pour y parvenir. Comme il l’avait déjà fait en d’autres occasions, Léon ramène rigoureusement le concept de synodalité à sa matrice étymologique : « marcher ensemble », mais dans une conception où il est très clair que le but du chemin n’est en aucun cas indifférent ou secondaire, mais plutôt décisif et discriminant. (Contrairement à ce qui pourrait apparaître de manière ambiguë dans un certain type de prédication, très en vogue aujourd’hui, qui absolutise la dimension du tout, la considérant comme une valeur en soi, indépendamment de sa finalité. « Partout, pourvu que nous allions ensemble, sans exclure personne ! »).
Du lien entre collégialité et synodalité, si clairement mis en évidence par Léon XIV, découle logiquement l'exhortation finale à faire en sorte que « la synodalité devienne une mentalité, dans le cœur, dans les processus décisionnels et dans les manières d'agir ». On pourrait la résumer ainsi : la collégialité apostolique est un principe de l'Église, enraciné dans la volonté de Jésus-Christ qui l'a établie sur le collège des apôtres conduit par Pierre, et, à ce titre, elle doit être continuellement redécouverte et remise au centre. La synodalité, en revanche, est une mentalité qui doit appartenir à chaque membre de l'Église et inspirer chaque action, et non le fondement hypothétique d'une « nouvelle Église » dont il faudrait « lancer » le processus. Si j'ai bien compris, je dirais que c'est ce qu'on appelle « remettre les choses en place ».