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Le Noël de l’Agneau de Dieu. Une homélie inédite de Joseph Ratzinger

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De Sandro Magister sur Settimo Cielo (en français sur diakonos.be) :

Le Noël de l’Agneau de Dieu. Une homélie inédite de Joseph Ratzinger

Le Noël de Jésus est aussi une « épiphanie », une manifestation de l’union nuptiale entre le Christ et l’Église. Dans la liturgie de la période de Noël, les Mages qui accourent avec leurs dons, le baptême dans le Jourdain de celui qui est l’Agneau de Dieu et l’eau changée en vin des noces de Cana ne font qu’un avec le récit de la nativité.

Comme dans cette admirable antienne de la liturgie ambrosienne, tirée de la messe de l’Épiphanie :

« Hodie caelesti Sponso iuncta est Ecclesia, quoniam in Iordane lavit eius crimina. Currunt cum munere Magi ad regales nuptias ; et ex aqua facto vino laetantur convivia. Baptizat miles Regem, servus Dominum suum, Ioannes Salvatorem. Aqua Iordanis stupuit, columba protestatur, paterna vox audita est : Filius meus hic est, in quo bene complacui, ipsum audite ».

Qui se traduit comme suit en français :

« Aujourd’hui, l’Église s’est unie à son Époux céleste, car dans le Jourdain il a lavé ses péchés. Les Mages accourent avec leurs dons aux noces royales ; et les convives se réjouissent de l’eau transformée en vin. Le soldat baptise le Roi, le serviteur son Seigneur, Jean le Sauveur. L’eau du Jourdain s’étonne, la colombe témoigne, la voix du Père retentit : Celui-ci est mon Fils, en qui j’ai mis toute ma complaisance, écoutez-le. »

Il s’agit d’une véritable floraison épiphanique qui converge dans l’identification de Jésus en tant qu’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (Jn 1,29), et qui se réalise à chaque fois dans l’Eucharistie, justement introduite par les paroles de l’ange dans l’Apocalypse 19,9 : « Heureux les invités au banquet des noces de l’Agneau. »

Une homélie extraordinaire de Benoît XVI, encore inédite jusqu’à il y a peu, nous révèle le sens profond de cette image de l’Agneau de Dieu — et partant de l’épiphanie de Noël.

Elle a été prononcée le 19 janvier 2014, un an après sa renonciation au pontificat, au monastère « Mater Ecclesiae » du Vatican, où il s’était retiré. Elle a été publiée dans le deuxième volume de ses homélies inédites de 2005 à 2017, imprimé en ce mois de décembre par la Libreria Editrice Vaticana sous le titre : « Dio è la vera realtà ».

La messe est celle du deuxième dimanche du temps ordinaire de l’année A, avec les lectures d’Isaïe 49,3.5 – 6, du Psaume 40, de la première lettre aux Corinthiens 1,1 – 3 et de l’évangile de Jean 1,29 – 34.

La reproduction de cette homélie a été autorisée par l’éditeur, et Settimo Cielo l’offre à ses lecteurs avec ses plus chaleureux vœux de Joyeux Noël.

Et à bientôt, après l’Épiphanie !

*

L’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde

par Benoît XVI
Homélie du deuxième dimanche du Temps ordinaire, année A
19 janvier 2014

Chers amis, dans l’Évangile, nous avons écouté le témoignage de Jean-Baptiste sur Jésus. Il indique trois éléments : d’abord, « l’Agneau de Dieu » ; ensuite, « il était avant moi », ce qui indique sa préexistence, autrement dit que ce Jésus, bien qu’arrivé tard dans l’histoire, était depuis toujours, il est le Fils de Dieu ; et troisièmement, que ce Jésus ne se contente pas de prêcher, ni d’inviter à la conversion, mais il donne une vie nouvelle, une nouvelle naissance, il nous donne une nouvelle origine en nous attirant en lui.

Ces trois éléments contiennent toute la foi christologique de l’Église : la foi dans la rédemption du péché, la foi dans la divinité du Christ, et la foi dans notre nouvelle naissance de chrétiens. Il ne s’agit pas seulement de confession ou de doctrine, mais aussi de vie liturgique et cultuelle : le premier point, l’Agneau de Dieu, nous indique la Pâque des chrétiens, le mystère de l’Eucharistie ; le troisième point évoque le mystère du Baptême. Ainsi sont présents les sacrements fondamentaux et la foi fondamentale en la divinité de Jésus.

Pour ne pas m’étendre trop longuement, je voudrais méditer avec vous le premier point uniquement, qui est peut-être aussi le plus difficile pour nous : « L’Agneau de Dieu, celui qui enlève le péché du monde. » Que signifie que le Fils de Dieu, Jésus, soit appelé « agneau, Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde » ?

Le mot « agneau », dans l’Écriture sainte, est un mot fondamental : on le trouve dès la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, et c’est même le mot central de l’Apocalypse, puisque Jésus y apparaît à pas mois de 28 reprises comme l’Agneau et centre de l’histoire du monde.

Examinons trois textes fondamentaux. Le premier suggère une première préfiguration dans l’histoire d’Abraham : l’immolation d’Isaac (cf. Gn 22). Abraham avait été invité par Dieu à offrir son fils, qui était son avenir, le lien entre lui et la promesse, donc sa propre vie. En donnant Isaac, il renonçait à l’avenir, à sa propre vie. Et telle était l’invitation : se donner lui-même dans le fils. Mais au moment où il s’apprêtait à tuer son fils, passant de l’acte fondamental du cœur à l’acte extérieur du sacrifice, Dieu intervient, l’arrête, et Abraham lui-même trouve et voit, emmêlé dans un buisson, un agneau, et il comprend : « Dieu lui-même pourvoit à l’offrande. » Dieu ne veut pas notre mort, mais notre vie ; nous ne pouvons lui offrir que des dons qu’il nous a lui-même donnés — comme nous le disons dans la première prière eucharistique : Dieu me donne ce que je peux lui donner ; ce que je donne est toujours son offrande, Dieu se donne lui-même.

Dans l’Évangile selon saint Jean — au chapitre 8 —, on trouve un texte étonnant, où Jésus déclare : « Abraham a vu mon jour et il s’est réjoui » (Jn 8,56). Nous ne savons pas à quoi l’Évangéliste fait allusion, ni comment ou quand Abraham a vu le jour de Dieu pour se réjouir ; mais nous pouvons peut-être penser clairement à ce moment où il voit l’agneau et où ainsi, il voit de loin le véritable Agneau, le Dieu qui se fait agneau, le Dieu qui se donne lui-même dans le Fils, et en voyant la grandeur de cet amour de Dieu qui se donne en se faisant agneau, il se réjouit, il comprend toute la beauté de sa foi, la grandeur, la bonté et l’amour de Dieu.

Les deux autres textes fondamentaux se trouve l’un dans l’Exode, l’institution de la Pâque (cf. Ex 12,1 – 14), et l’autre dans le prophète Isaïe, au quatrième chant du Serviteur (cf. Is 52,13 – 53,12). Dans celui d’Isaïe, le Serviteur apparaît comme agneau à double titre : il est dit qu’il « se comporte comme un agneau, comme une brebis conduite à l’abattoir, il n’ouvre plus la bouche », il se laisse tuer sans résister. Mais, au-delà du fait que le Serviteur se comporte comme un agneau destiné à la mort, il y a une chose plus profonde : le mot « Serviteur » (taljā’ en araméen) peut aussi être interprété comme « agneau » — c’est-à-dire que le Serviteur lui-même est l’agneau, dans le Serviteur se réalise le sort de l’agneau, il devient l’agneau pour nous tous.

Le texte de l’Exode est l’institution de la Pâque. Comme nous le savons, c’est la nuit de la libération d’Égypte, et le sang de l’agneau protège Israël contre la mort, et dans le même temps, il ouvre la porte à la liberté ; c’est la nuit de la libération, la nuit de la victoire sur la mort, la nuit de la liberté : tout cela centré sur le sang de l’agneau. C’est pourquoi il est si important que, au chapitre 19 de son Évangile, saint Jean nous rapporte que Jésus a été transpercé par le soldat romain précisément au moment où, au Temple, on immolait les agneaux pascals. Cette identification, cette simultanéité à la minute près, nous dit : « Le véritable agneau, c’est Jésus. » L’agneau animal ne peut pas libérer, ne peut pas nous défendre contre la mort ; l’agneau n’est qu’un signe, un signe d’attente. Le véritable agneau meurt à ce moment-là : Jésus est l’agneau pascal, et ainsi commence la véritable Pâque, la libération de la mort, la sortie vers la liberté des enfants de Dieu.

Il est très difficile pour nous aujourd’hui de comprendre ces réalités mystérieuses. Le mystère de l’Incarnation et de la Pâque, c’est-à-dire que Dieu se fait l’un de nous et porte nos fardeaux, est difficile à appréhender pour nous aujourd’hui. Je voudrais tenter de proposer deux idées pour nous rapprocher de sa compréhension.

La première : l’ange de Dieu reconnaît les amis de Dieu au sang de l’agneau mis sur le linteau des portes. Le sang de l’agneau est le signe des amis de Dieu. Mais comment, aujourd’hui, pourrions-nous être marqués de la sorte ? Comment le linteau de ma porte intérieure pourrait-il être marqué du sang de l’agneau que Dieu reconnaît ? C’est un mystère.

Peut-être pouvons-nous dire qu’être marqué du sang de l’agneau, de sorte que Dieu me reconnaisse, veut dire entrer dans les sentiments de Jésus, s’identifier à Jésus. Son sang est le signe de son don, de son amour infini, de son identification à nous ; entrer dans les sentiments de Jésus veut dire que, véritablement, sur le linteau de mon être, il y a ce sang, cette consanguinité avec Jésus, qui connaît Dieu et que Dieu reconnaît en nous.

Une autre image m’est venue à l’esprit : le pape François parle souvent du berger qui doit connaître l’odeur, le parfum des brebis, et avoir lui-même l’odeur des brebis. Nous pourrions dire : nous devons commencer à connaître l’odeur, le parfum du Christ, et nous-mêmes avoir ce parfum du Christ, être des brebis du Christ avec son parfum, avec notre manière de penser et de vivre. Prions le Seigneur pour qu’il nous donne cette identification croissante, jour après jour, dans la rencontre de l’Eucharistie. Que son parfum devienne le nôtre, et que Dieu puisse sentir le parfum du Fils — ainsi pourrons-nous être guidés, protégés par sa bonté divine.

Voici l’autre idée : saint Jean ne dit pas ici « les péchés du monde », mais « celui qui porte le péché du monde » (cf. Jn 1,29). Il est très difficile de comprendre ce point, et Je tente de l’aborder par une approximation. Nous savons tous qu’il y a, dans le monde, une masse de mal terrible, de violence, d’arrogance, de luxure ; chaque jour, en regardant les actualités, en lisant le journal, nous voyons comment la masse du mal, de l’injustice, du monde, grandit en permanence. Comment répondre à tout cela ?

Cela ne serait possible que s’il y avait, dans le monde, une masse encore plus grande de bien, capable de vaincre ; ce n’est qu’en partant de cela qu’il peut il y avoir le pardon. Le pardon ne peut pas être qu’un mot, il ne changerait rien ; le pardon doit être soutenu par une réalité antérieure de bien, suffisamment forte pour détruire réellement ce mal, pour l’éliminer.

C’est le sens de la passion du Christ, qui, par son amour immolé, crée dans le monde une masse de bien infinie, et donc toujours plus grande que la masse du mal, de sorte que ce mal est dépassé, pardonné, et que le monde est changé. Telle est la réalité de l’agneau, de Dieu qui se fait homme, qui se fait agneau, et crée une quantité — pour ainsi dire — d’amour et de bonté toujours plus grande que toute la quantité de mal qui existe dans le monde. Ainsi, il « porte » le mal du monde, et nous invite à prendre notre position, à nous placer de son côté.

Saint Paul a utilisé une formule audacieuse : « Nous devons compléter ce qui manque aux souffrances du Christ » (cf. Col 1,24). La passion du Christ est un trésor infini, et nous ne pouvons rien y ajouter ; et pourtant, le Seigneur nous invite à entrer dans cette masse de bien, à la compléter en nous par notre manière de vivre humble et pauvre, et ainsi à être avec le Christ dans la lutte contre le mal, à l’aider, tout en sachant en même temps qu’il porte aussi mon mal et qu’il me pardonne, par le trésor de son intimité, de sa bonté.

Il ne s’agit pas seulement de doctrine : chaque jour, c’est une réalité dans la Sainte Eucharistie. Le prêtre dit précisément ce que dit saint Jean, il devient la voix de saint Jean : « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde », il nous invite à voir avec notre cœur la grandeur de l’amour de Dieu, qui se fait don pour nous, qui se fait agneau pour nous, qui se donne entre nos mains.

Et auparavant, nous chantons à trois reprises l’« Agneau de Dieu », qui est à la fois un chant pascal, sur la passion du Christ et sur sa victoire, et un chant nuptial, car cette communion est aussi union nuptiale : le Christ se donne à nous, s’unit à nous, et réalise ainsi véritablement les noces de l’humanité avec Dieu, il nous fait entrer dans ses noces. La phrase avec laquelle, dans la nouvelle liturgie, le prêtre invite à la communion « Heureux les invités au repas du Seigneur », dit dans l’original de l’Apocalypse : « Heureux les invités au repas des noces de l’agneau. » Ainsi apparaît tout le mystère de l’Eucharistie — noces de l’agneau, repas des noces de l’agneau —, qui est d’entrer dans cet événement immense, qui dépasse notre compréhension, notre intelligence ; nous pouvons cependant deviner la grandeur de l’amour de Dieu, qui s’unit à nous, qui nous appelle aux noces de l’union nuptiale dans sa bonté, dans son amour.

Comme je l’ai dit, dans l’Apocalypse, l’Agneau apparaît 28 fois : il est le centre de l’histoire de l’univers ; l’univers et l’histoire se prosternent devant l’Agneau (cf. Ap 5,5 – 14). Entrons dans ce geste de la liturgie cosmique, de la liturgie universelle, inclinons-nous devant ce mystère, et prions le Seigneur pour qu’il nous illumine, nous transforme, nous rende participants de cet amour, de ces noces de l’Agneau. Amen !

*

Sur la photo ci-dessus, un détail du *Baptême du Christ* peint par Piero della Francesca, 1440 – 1450, conservé à la National Gallery de Londres.

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Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l'hebdomadaire L'Espresso.
Tous les articles de son blog Settimo Cielo sont disponibles sur diakonos.be en langue française.
Ainsi que l'index complet de tous les articles français de www.chiesa, son blog précédent.

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