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Léonard de Vinci, familier de Dieu

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Nous traduisons ici plusieurs extraits d'une interview réalisée par Antonio Giuliano et publiée sur le site de La Bussola quotidiana ce 31 mars

Tous fous de Léonard de Vinci. De Berlin à Londres, de Turin à maintenant Paris, le peintre est aujourd’hui l’Italien le plus demandé d’Europe.[ …] Mais qui était vraiment Léonard de Vinci ? Et pourquoi, depuis des siècles, autant de rumeurs invraisemblables courent-elles sur son compte? Rodolfo Papa, peintre, historien de l’art et professeur à la Pontificia Università Urbaniana, qui lui a déjà consacré deux précieux volumes, la “science de la peinture” de Léonard (Medusa) et Léonard théologien (Ancora), démonte légendes et faux mythes à propos d’un homme à l’intelligence supérieure qui est depuis toujours victime de mystères et de soupçons.

Pourquoi, après tant de siècles, la figure de Léonard de Vinci remporte-t-elle encore un aussi grand succès ?

Avec Léonard de Vinci, l’homme d’aujourd’hui entre en contact, parfois peut-être sans en avoir pleinement conscience, avec une dimension de l’art qui est capable de susciter des émotions (comme le veut souvent le spectateur contemporain), mais surtout capable de montrer avec excellence ce que l’homme sait et peut faire de ses propres mains. Pour un homme contemporain, habitué à penser la précision et l’accomplissement comme des produits de la technologie, il est impressionnant de voir des chefs-d’œuvre aussi parfaits réalisés exclusivement avec les mains.

Léonard l’hérétique, l’homosexuel, le maçon… Comment peut-on expliquer autant de d’hypothèses à son propos ?

D’une part, il y a les jets de type journalistique ou publicitaire, qui, pour rendre une exposition ou un livre captivants, soulignent des aspects inédits, inhabituels, excentriques, exacerbant certaines interprétations ; de l’autre, il y a les théories historiographiques de quelques chercheurs qui lisent souvent les textes relatifs à la peinture et les Codex de manière anachronique, extrapolant des petites parties d’une pensée très complexe, sans tenir compte ni de l’ensemble, ni du contexte. Par exemple, certaines interprétations de la Vierge aux rochers décrivent la peinture comme dotée de signification ésotérique, affirmant la présence de deux figures représentant l’enfant Jésus, tandis que, si elle avait été lue correctement, il serait apparu comme évident que l’enfant représenté à genoux est saint Jean, et que l’enfant assis et en train de bénir est Jésus. Leonard de Vinci situe cette scène dans une caverne, signifiant le lieu originel et initial,  faisant allusion à la rencontre des deux personnages encore à l’état de fœtus, quand Marie et Elisabeth se rencontrent, lors de la Visitation.

Artiste, homme de sciences, architecte, philosophe…  Pour vous, Léonard de Vinci est aussi théologien. Pourquoi ?

L’art en lui-même est théologie, dans le sens antique du terme en tant que mythologie, et l’est encore plus dans le sens authentiquement chrétien, s’il épouse la vérité, devenant une réflexion sur Dieu, qui a Dieu-même comme aide pour cette réflexion. Bien sûr, il s’agit d’une théologie particulière, dans la mesure où elle s’exprime avec des images, mais en tant que telle, elle est particulièrement chrétienne, prenant racine dans le mystère de l’Incarnation, du Logos divin qui se fait chair visible.  En outre, l’iconographie qui se codifie au fil des siècles dans les ateliers d’art est le produit de l’élaboration de l’interprétation des textes sacrés accomplie par la tradition depuis les Pères de l’Eglise. Les artistes ont toujours puisé dans ces images et ce fut aussi le cas de Léonard de Vinci. Ses tableaux sont parmi les plus hautes interprétations théologiques de caractère pictural. Prenons encore l’exemple du petit Jean-Baptiste de la Vierge aux rochers. Dans l’iconographie traditionnelle, Jean-Baptiste est celui qui indique ; dans ce cas, au contraire, Léonard de Vinci veut représenter le petit Jean à l’état de fœtus qui tressaille dans le sen d’Elisabeth, selon le récit évangélique. Alors, il ne le dépeint pas comme celui qui indique, qui montre, mais comme celui qui est à genoux en prière, béni par Jésus, et un ange, regardant vers le spectateur, indique Jean-Baptiste.  La complexité théologique de cette œuvre demeure incompréhensible si elle est examinée en dehors de la perspective chrétienne.

Quelles sont les insinuations les plus dangereuses qui sont instillées dans le Da Vinci Code de Dan Brown?

Dans son livre Il Tempio dell’Anima, Carlo Pedretti montre comment Léonard de Vinci s’est intéressé au problème philosophique du rapport entre l’âme et le corps, et met en relation certains de ses dessins et écrits avec le  De mente de Nicola Cusano de 1450, et, il considère ainsi que  « confronté avec la pensée d’un théologien et philosophe du calibre de Cusano, l’esprit de Léonard de Vinci se présente à nous, encore une fois, dans toute sa vastitude et sa complexité et, implicitement, dans toute sa puissance et son humilité scientifique. Et pourtant, aujourd’hui, des millions de personnes connaissent Léonard de Vinci seulement au travers des suppositions gratuites du Da Vinci Code.». L’insinuation la plus dangereuse est donc de réduire la complexité de Léonard de Vinci à quelques lambeaux équivoques, remaniés de manière ésotérique et mystérieuse avec l’astuce du romancier à succès. Il ne faut jamais oublier, en effet, que le Da Vinci Code est un roman et que, en tant que tel, il ne mérite même pas de réfutation. La plus grande erreur est de le lire en le considérant comme un texte d’histoire de l’art ou, pire encore, de l’histoire de l’Eglise. Moi, en général, aux questions sur la Cène selon Dan Brown, je réponds toujours par une plaisanterie : si le personnage à côté de Jésus est Marie-Madeleine, il est évident que saint Jean était sorti s’acheter des cigarettes !

[…]

Il y a peu, vous avez publié votre dernier ouvrage Discorsi sull’arte sacra (Cantagalli) et vous avez souligné dans d’autres volumes, comme I colori dello spirito (Paoline), que Léonard de Vinci (1452-1519) est représentatif d’une époque, la Renaissance, considérée à tort comme étant néo-païenne…

Enormément d’historiens de l’art, n’ayant pas de profonde préparation humanistique chrétienne, et catholique en particulier, ont mal interprété certains éléments, n’y percevant pas la référence claire à une très longue tradition chrétienne. Plus particulièrement, l’utilisation de la mythologie dans les fresques a été interprétée comme la « renaissance du paganisme antique » ou comme « la permanence des dieux antiques », en oubliant cependant que, déjà dans les écrits des Pères de l’Eglise, il y a beaucoup de mythes racontés comme exemples parénétiques, en tant que clef morale, et que toute la tradition médiévale a regardé vers la Rome antique en la considérant comme un modèle pour la civilisation chrétienne qui se bâtissait. Reconnaître dans les modèles antiques une intention de néo-paganisme est donc bien sûr un fourvoiement en regard de la réalité ;  nous pourrions, au contraire, affirmer que l’Humanisme, la Renaissance, le Maniérisme et le Baroque représentent l’accomplissement de tout le parcours linguistique et artistique du Moyen-Âge.

[…]

Alors, le Léonard de Vinci hérétique serait aussi un faux mythe ?

Il s’agit d’un vieux préjugé, qui remonte à Vasari. Dans la première édition de ses Vite de’ più eccellenti architetti, pittori, et scultori italiani de 1550, il décrit Léonard de Vinci comme « hérétique ». Dans l’édition de 1568, il supprime cette affirmation mais il affirme que, avant de mourir, Léonard de Vinci se serait converti, en se repentant de ne pas avoir agi artistiquement comme il convenait, comme pour dire, comme le souligne justement Pedretti, que l’art de Léonard de Vinci ne pouvait pas être retenu comme sacré !  En réalité, il s’agit d’une sorte de topos littéraire, qui voudrait voir une impossibilité de concilier la recherche naturaliste, le génie scientifique, l’innovation artistique et la foi ;  Garin a écrit que « un personnage comme celui décrit par Vasari ne pouvait pas ne pas être au moins un peu rebelle sur le plan religieux. C’était une question de style. ». C’est ensuite Vasari lui-même qui, quand il décrit les œuvres de Léonard de Vinci, ne manque pas d’en souligner la profondeur sacrée. D’autres sources historiques proposent une figure bien différente de celle de l’hérétique ; cependant, il s’agit d’un topos malheureusement persistant. De plus, aujourd’hui, il est associé avec une vision postmoderne désenchantée et désacralisante. Il suffirait de regarder vraiment les œuvres de Léonard de Vinci pour se rendre compte qu’il s’agit d’un faux mythe.

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