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Sur la liberté et l’ordre « naturels »

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Lu sur le blog du chanoine Eric de Beukelaer,  curé-doyen de Liège-Centre

« Pour ceux qui ne le connaissent pas, François De Smet est à mon sens un des jeunes intellectuels libre-exaministes les plus prometteurs de Belgique francophone. Formé à l’ULB dans le giron de pointures comme Hervé Hasquin et mon ami Baudouin Decharneux, c’est un penseur réellement « libre » et authentiquement « exaministe ». Je ne retrouve, par exemple, chez lui nulle trace de cet anticléricalisme de salon bien belge qui consiste à défendre tout et son contraire, tant que cela contredit les cathos. Voilà pourquoi, je suis souvent d’accord avec lui. Voilà pourquoi, aussi, je vous invite à lire sa chronique du 15 janvier, diffusée sur les antennes de la radio RTBF « Première »: « La Nature n’est du côté de personne ».  (et sur son blog: www.francoisdesmet.be).

Je résume son argument: Les défenseurs du mariage traditionnel ne sont pas forcément homophobes, mais ils se réclament d’un ordre « naturel ». Or, la science nous démontre à l’envi que la nature n’a pas d’ordre éthique donné. Elle s’adapte pour survivre. Donc, c’est exactement ce que les hommes doivent faire, s’ils veulent exister sans s’enchaîner à un « pseudo-ordre » cosmique – qui n’est qu’un phantasme créé par la peur de vivre tout simplement. Je cite sa conclusion: « Voilà pourquoi le débat français est important. Derrière l’intitulé quelque peu boboïsant de « mariage pour tous » se cache le fond philosophique d’un combat visant à en finir avec ce que les traditions nous ont pris de liberté. Reprendre cette liberté n’empêche pas de garder tout ce qui, dans les traditions et les religions, inspire et élève à la spiritualité. Mais il faut rester intransigeant face à ceux qui estiment que leur doctrine, quelle qu’elle soit, est celle de l’ordre du monde et que la nature est de leur côté. Les opposants au mariage pour tous sont des gens qui veulent continuer à avoir peur ; peur de Dieu, peur du noir, peur du chaos, peur que l’histoire n’ait pas de sens déterminé. C’est pour cela qu’il n’y a que dans la tradition, le passé, l’ordre du monde qu’ils trouvent du sens à la vie. Ils trouvent dans la chaleur du dogme une nature qu’ils croient de leur côté. Ils y trouvent de quoi affronter ce qu’ils estiment sincèrement être la décadence, au lieu d’investir dans l’avenir et dans cette extraordinaire liberté qu’a l’homme devant lui. Or, si la peur est une opinion individuelle respectable, elle ne peut pas servir de guide pour des choix collectifs. En l’occurrence, il ne faut pas sous-estimer la portée universelle de ce débat, dans chaque pays où il se posera. L’enjeu du mariage et de l’adoption pour tous, ce n’est pas d’ouvrir des droits à une communauté en la nommant gay ou lesbienne ; c’est au contraire de ramener tout le monde dans le même giron humain, celui des citoyens libres et égaux ».

Ma réaction: Oui, la nature biologique n’a ni direction, ni morale à proposer. Mais ce n’est pas à un philosophe comme François De Smet que je dois rappeler que le mot « nature » a un sens bien plus large dans l’histoire de la pensée. Un sens qui ne l’oppose pas à la « culture », mais qui au contraire englobe celle-ci. Un sens qui invite l’homme à canaliser les forces aveugles de la biologie pour les transformer en projet humaniste. Prenons l’exemple du langage. Il est dans la nature biologique du singe hominidé de pousser des cris. Mais l’évolution des cordes vocales fit en sorte que ces sons devinrent des mots, des syllabes, des phrases, du chant, de la rhétorique et de la poésie. Où finit la nature? Où commence la culture? Question sans fondement: Il est dans la nature de l’homme de parler – événement tant naturel que culturel. Revenons-en donc à l’institution du mariage. Je partage pleinement l’analyse de François De Smet, qu’aucun modèle de mariage n’ est donné par la nature biologique. Nos ancêtres des cavernes étaient plutôt polygames et sans doute que certains comportements homosexuels y étaient coutumiers. L’avenir consisterait-il donc de revenir à cet état premier – sorte de retour au bon sauvage dépeint par Jean-Jacques Rousseau? Au contraire, si d’aucuns défendent l’idéal du mariage monogame et sexué, c’est parce qu’ils pensent que cette création historique entre le mieux dans la nature de l’homme, pour fonder sa dimension familiale. Sans exclusion d’autres chemins. De tous temps, des personnes n’ont pas choisi le statut d’époux dans le mariage « classique » – à commencer par les célibataires religieux. Ils avaient une autre place dans la société. Est-il pour autant discriminatoire de défendre cette institution comme un idéal? Non. C’est un choix politique. Un choix de société. Et tout choix trace des limites. On peut contester le choix et déplacer les limites. Mais prétendre que la liberté se trouve du côté du « no limit »est un leurre. La limite a sa raison, à condition qu’elle soit une balise qui rende l’homme plus libre. Contrairement à ce que prétend François De Smet (et c’est la partie la plus faible de son argumentation), ce n’est pas la peur qui explique nos différences de point de vue. Entendez: J’aurais peur de l’univers et lui non. Voilà pourquoi, je me raccrocherais à un ordre cosmique. Ce qui nous différencie, est une vision différente de l’humain. Celle de François est représentative du libéralisme philosophique. Pour lui, l’homme est un individu placé dans le cosmos, avec pour trésor cette liberté qui le rendrait autonome… Liberté dont l’origine demeure assez mystérieuse, dans un univers où tout est conditionné. Ma vision de l’homme, est celle du personnalisme. L’humain est un être de relation. Il advient à la liberté en construisant avec son prochain des relations vraies, belles et bonnes. D’où l’idéal d’un mariage pour toujours, qui lie un homme à une femme et fonde la famille. Projet fragile et sans cesse passible d’échec, car l’échec fait partie de la vie. Projet qui n’est pas exclusif d’autres chemins. Nombre d’humains prennent d’autres voies, pour différentes raisons – et votre serviteur en fait partie. Mais projet qui a du sens. Projet qui mérite d’être défendu. Projet de liberté et non de peur.

Ici : De quel côté est la nature – réaction à une chronique de François De Smet

 Pour parler comme les agnostiques, le hasard ne peut expliquer le monde sans la nécessité. L’aléatoire absolu ne crée par hypothèse aucun ordre. Sans lois, l’univers ne serait jamais né. Elles sont données. Il y a donc aussi une « raison » qui s’exprime dans le déploiement des causes et des effets observés dans la nature. 

L’humanité n’échappe pas à cette règle mais elle a franchi un pas de plus. L’homme sait qu’il sait. La conscience réflexe établit une distance entre lui-même et ses conditionnements, un espace de liberté pour des choix conformes à une loi « naturelle » qui le caractérise, faite de conduites éminemment relationnelles  et gratuites à la fois : dans l’ordre de la connaissance comme dans celui de la vie (les deux « arbres » du jardin d’Eden). Sa vocation est donc de construire un monde de liberté raisonnable, capable de déchiffrer le message éthique contenu aussi dans la création, même déchue, dont nous contemplons le spectacle.

JPS

Commentaires

  • Comme tous les défenseurs de ce projet de « mariage pour tous », il fait l'impasse complète sur l'enfant et ses droits. Il n'évoque même pas l'enfant, qui est pourtant au centre de l'institution du mariage. Le mot 'mariage' vient de 'matrimonium', la maternité. Or, il ne parle implicitement que du droit à l'enfant pour des adultes, mais il ignore le droit de l'enfant d'avoir son père et sa mère pour l'accompagner dans son très long développement pour devenir un adulte. En fait, l'enfant se moque bien des arguties de ce Monsieur sur la nature, la tradition, la peur et la liberté. L'enfant, peu importe que ce soit par nature ou par tradition, il lui dira à ce Monsieur que sa liberté et son bonheur à lui, c'est de pouvoir être aimé et éduqué par son père et sa mère. Et qu'il n'a peur que d'une chose, c'est d'être séparé d'eux. Même un porte-drapeau de l'ULB doit pouvoir comprendre cela, non ? Il a été un petit enfant aussi, quand même ?

  • En ce qui concerne la question évoquée de monogamie ou polygamie, il faut faire une même constatation. Constatation qui part de nouveau du droit de l'enfant, le seul dont les droits soient concernés primordialement par l'institution du mariage. En soutien à ces droits de l'enfant, les parents s'astreignent eux d'ailleurs à des devoirs très sévères.

    La constatation est la suivante. Un enfant ne pourra jamais avoir de doutes sur l'identité de sa mère, mais il pourrait en avoir sur l'identité de son père. Or, pour l'enfant, son père et sa mère biologiques sont tous deux importants. Il sent que cela fonde sa propre identité, et le rattache à une histoire, une généalogie, des ancêtres. S'il est arrivé sur Terre, c'est grâce à toute cette lignée, qui donne son sens à sa venue et à sa vie. Dans beaucoup de civilisations, il existe un véritable culte des ancêtres.

    Donc, on voit que l'institution du mariage vise (entre autres droits de l'enfant, bien sûr) à assurer à l'enfant le plus de certitudes possibles sur l'identité de son père. Cela explique sans doute la forme patriarcale des sociétés, où l'homme peut avoir plusieurs femmes, mais pas l'inverse. Car l'inverse (une femme pour plusieurs hommes) niait le droit de l'enfant à savoir qui était son père biologique.

    Ceci pour dire qu'on ne peut discuter valablement de l'institution du mariage, sans prendre en compte d'abord les droits du premier concerné, l'enfant issu de cette union.

  • Entièrement d'accord avec les commentaires qui précèdent.

    Une donnée intemporelle n'a pas à être confinée au seul passé: je suis convaincu que la famille qui prend sa base dans l'amour d'un homme et d'une femme a toujours offert, offre et offrira toujours la meilleure garantie d'un développement harmonieux des enfants. C'était la seule motivation de ma présence dimanche dernier à Paris.

    Je me demande même parfois comment des gens intelligents peuvent remettre en cause ce genre de fondamentaux, si ce n'est par une volonté peut-être inconsciente, mais non moins diabolique de miner la société pour mieux la détruire!

  • Il me semble que l'on retrouve, dans ce projet du « mariage pour tous », le même type de mépris pour l'enfant et ses droits qu'on avait connu lors du projet de dépénalisation de l'avortement. Dans ce sinistre projet-là, l'enfant n'existait même pas, selon ses promoteurs, il n'était qu'un amas informe de cellules, simple excroissance du corps de la mère qui peut en faire ce qu'elle veut, se le faire retirer comme un furoncle. Pour eux, l'enfant n'existant pas, il n'avait évidemment aucun droit, et surtout pas le droit premier de tout être humain, le droit à la vie. Ou le droit que sa vie soit protégée par la société. On dirait que nous sommes dans une société qui se suicide, qui est désespérée, sans avenir. Une société qui ne protège plus le droit des plus faibles, de ses propres enfants.

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