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De l'égalité et de la dignité humaine; l'éclairage de Jacques Fierens

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Lu sur le site de l'Académie Royale de Belgique : Jacques Fierens. Au-delà du droit, l'engagement des valeurs.

(...) l’enseignement de Jacques Fierens, avocat, docteur en droit avec thèse, est très concrètement axé vers l’action, en l’espèce contre la pauvreté et pour l’effectivité des droits de l’homme, débarrassés de leur formalisme : d’où ses redéfinitions des valeurs d’égalité et de dignité. Car ce juriste est en même temps orienté par la philosophie, dont il est licencié.

Professeur extraordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Namur, chargé de cours et titulaire du cours « Droit de l’aide sociale » à l’Université de Liège, il a multiplié les interventions en tant que professeur visiteur au Burkina Faso, au Rwanda, au Burundi et au Congo. (...)

Comment vous est venue la vocation juridique et, dans cette voie, l’engagement prioritaire vers le droit à l’aide sociale, le droit de la famille et les droits de l’enfant, ensuite vers les droits de l’homme à l’échelon international, en particulier les terribles questions que posent les génocides ?

Je suis juriste par accident, philosophe par amour, avocat par vocation. J’ai eu un excellent professeur de grec et de latin en rhétorique, M.  Michel Baguette, qui m’a décidé à étudier la philosophie. Mais je ne voulais pas être professeur. J’ai donc fait le droit par défaut, puis j’ai commencé la philo en cumulant les deux cursus. Inscrit au barreau, j’étais proche de l’association « ATD Quart Monde », association des pauvres eux-mêmes en lutte contre la pauvreté. Très vite, j’ai pris l’habitude de défendre les indésirables : les miséreux, les étrangers, les enfants délinquants. Assistant en droit, j’ai fait ma thèse sur le thème « Droit et pauvreté ». À l’Université de Liège, vingt ans plus tard, je donne toujours cours de « Droit de l’aide sociale » et, depuis les réformes du baccalauréat et du master, j’enseigne à l’Université de Namur le cours de « Droit de la famille », le cours de « Droit de la jeunesse » et un cours intitulé « Questions de droit naturel ». Ce dernier m’a permis de renouer avec ma vocation philosophique puisqu’il pose la question des fondements du droit. En même temps, mes domaines d’intérêt sont proches des associations militantes et de la coopération universitaire dans laquelle je suis engagé, surtout en Afrique centrale…

Une notion clé du droit est celle d’égalité. Pouvez-vous nous éclairer sur l’interprétation que vous en donnez et qui se résume dans la formule : « L’égalité est une proportion »  ?

L’idée d’égalité permet d’introduire aux conférences. Qu’est-ce que l’égalité, sans confusion dommageable avec l’identité ? En potassant le Livre V de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, j’ai été frappé par son insistance sur l’égalité comme proportion, comme exigence de « rendre à chacun son dû ». Cette égalité implique des traitements identiques dans des situations identiques, et des traitements différents dans des situations différentes. Toute distinction n’est heureusement pas une discrimination. J’ai pu donner l’exemple du gâteau d’anniversaire : offert, comme les cadeaux, à celui dont c’est la fête uniquement (tous ne sont pas dans la même situation), il est partagé en parts identiques auprès de chaque convive parce qu’ils sont tous des invités dans une situation semblable. C’est là une question classique pour les juristes : telle mesure est-elle proportionnelle, proportionnée dans des situations comparables ? La stricte identité des parts n’est requise qu’en second lieu. Après la distribution à chacun de sa part propre, il faut que, dans les échanges, chacun reçoive une part identique à celle qu’il cède éventuellement. La justice comme proportion est toujours ce que cherchent quotidiennement, 2.500 ans après Aristote, les juridictions, des plus humbles aux plus hautes comme la Cour constitutionnelle ou la Cour européenne des droits de l’homme !

Pour les femmes, par exemple, dans l’exigence légitime d’égalité, le danger est d’effacer la différence sexuelle qui se trouverait niée au nom de l’égalité. Les droits des femmes doivent être identiques à ceux des hommes pour les droits qui concernent la personne en tant que telle, quand la différence de sexe n’a pas d’importance, mais les droits doivent être différenciés quand cette différence entre en jeu. Par exemple, les droits d’une mère ne doivent pas être identiques à ceux d’un père, sinon, vous finirez par accorder un congé de paternité de 15 semaines aux hommes. De même, avec la tendance à faire des enfants des mini-adultes et à les juger comme s’ils l’étaient effectivement, il y a souvent confusion entre égalité proportionnelle et identité.

Mais en réalité, et le droit le sait bien, la proportion parfaite est impossible à atteindre. Le « nombre d’or » des architectes, Phi, qui commande par exemple la proportion entre la hauteur et la largeur de l’Acropole d’Athènes, est – et ce n’est sans doute pas un hasard – un nombre dit « irrationnel », comme Pi. Son écriture décimale n’est ni finie ni périodique : il s’agit de 1,6180339887… et vous pouvez ajouter des chiffres à l’infini. Alors les architectes, comme le droit, se contentent de donner l’impression de la parfaite proportionnalité. Ainsi, en réalité, la partie supérieure de l’Acropole est plus large que sa partie inférieure. La façade paraît rectangulaire, mais c’est un effet d’optique : elle est trapézoïdale. Des effets d’optique similaires ne sont-ils pas courants en droit ?

(... passage très intéressant à propos du génocide rwandais)

Une autre notion ou valeur vous tient à cœur, celle de dignité : là encore pouvez-vous nous livrer votre expérience et votre réflexion ?

L’importance de la dignité m’est apparue par l’expérience des personnes très pauvres ! Cette notion a envahi notre droit depuis 1945, dans les Statuts de l’ONU et dans la Déclaration des Droits de l’Homme. Elle a des dizaines d’occurrences (dans la constitution, les dispositions relatives au surendettement, aux saisies, à l’aide sociale, à l’aide à la jeunesse…). Je crois que l’on fait plus pour un pauvre en se souciant de sa dignité que de quoi que ce soit d’autre, et que c’est d’abord ce que les pauvres demandent. Il y a là une résurgence de Kant pour qui tout est échangeable, sauf la dignité qui ne peut jamais s’échanger contre quoi que ce soit… même pas contre un revenu d’intégration, dirait-il aujourd’hui. À nouveau, nous sommes en présence d’un notion qui n’a pas de contenu stable… et que les tribunaux évitent : ils préfèreront demander une « preuve du besoin » plutôt que l’invocation d’une « absence de dignité ».

Toutes les notions fondamentales du droit sont en réalité à contenu variable : ordre public, intérêt de l’enfant, délai raisonnable… : tout cela renvoie aux juges qui eux-mêmes doivent trancher. Permettez-moi d’insister : la dignité n’est pas un détail. Les gens souffrent plus de l’humiliation que du manque matériel.

Lire toute l'interview : http://www.academieroyale.be/cgi?lg=fr&pag=774&tab=87&rec=1587&frm=0

Commentaires

  • Sauf erreur, on ne lit pas ce que pense M. Fierens de l'amour charité (de la charité chrétienne). Or, il me semble que si elle manque, tout le reste n'est qu'une très belle argumentation intellectuelle ne reposant sur aucun principe solide. Ce n'est que cymbale retentissante, comme disait saint Paul. La seule chose qui manquait sans doute à Aristote, c'est de connaître l'enseignement du Christ sur l'amour charité envers Dieu et son prochain.
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    Or, l'amour charité est probablement la seule chose qui permet de résoudre vraiment les problèmes d'égalité et de dignité entre les hommes. Tout être humain, quel que soit son âge, son sexe, son état de santé, sa situation matérielle, etc... peut retrouver égalité et dignité en pratiquant l'amour charité. Nul besoin d'être puissant, riche ou en bonne santé, pour pratiquer l'amour charité. Au contraire, c'est plutôt un handicap. Un jeune enfant, un malade un handicapé, un vieillard, un prisonnier, un esclave, est capable de soulever la montagne de nos inégalités et de nos indignités, en pratiquant l'amour charité envers Dieu et leur prochain.
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    M Fierens connait sûrement la réponse de Saint Augustin à ses paroissiens ou nouveaux concertis, qui lui demandaient de les éclairer sur ce qu'il était bien ou mal de faire, sur ce qui était autorisé ou interdit. Il les instruisait en leur disant : « Aime et fais ce que veux ». Autrement dit, il leur demandait de discerner, en âme et conscience, si c'est par amour charité pour Dieu et leur prochain qu'ils allaient le faire. Si c'était oui, ils pouvaient le faire.
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    Je rêve parfois d'un pays où la seule loi utilisée par les juristes serait : « Aime et fais ce que veux ». C'est-à-dire, en fait, le commandement d'amour charité du Christ. De cette loi primordiale découleraient tous les attendus et toutes les décisions des juges : « A-t-il commis cette action par amour charité pour Dieu et pour son prochain ? ». Mais je rêve certainement.

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