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Images et mirages

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143284.jpgLe site du « Figaro » fait paraître (10.10.2014)  cette "tribune" signée par le prêtre sociologue Nicolas de Brémond d’Ars :

« L'élection inattendue (par le grand public) du pape François a pris à contrepied les fidèles. En tant que prêtre, je voudrais faire part de ma perception, de ce que j'ai entendu et lu, des discussions que j'ai commencé d'avoir sur ce sujet. Je ne prétends donc représenter que moi-même, même si je crois pouvoir, en raison de mes compétences de sociologue, aller un peu plus loin que le micro-trottoir.

«Il est formidable»: expression couramment entendue, aussi bien à la sortie d'une messe que dans les diverses réunions ci et là. L'effet d'image est fort, le pape impressionne les gens. C'est, bien sûr, sa façon de ramener le rituel papal pontifiant à une modestie de bon aloi qui séduit. «Il est formidable» parce qu'il «ne se la joue pas»«il est simple, pas comme l'autre» (Benoît XVI), on sent qu'il est proche des gens. Cette qualité de proximité donne une image plus décomplexée de la fonction. François et son bon sourire ne renvoient-ils pas à l'image du grand-père bienveillant? Peut-être…

On aime François aussi parce qu'il parle simplement. Son langage n'emprunte pas au style diplomatique, ni théologique. Ses phrases à l'emporte-pièce secouent les habits pompeux d'un langage ecclésiastique devenu proche de la langue de bois. «Il dit des choses de bon sens, quoi,… et puis on voit qu'il aime les gens». Cet amour ressenti passe dans les expressions ciselées que les journaux rapportent avec gourmandise. Comme si les fidèles éprouvaient le besoin de «parler vrai», sans faux-nez, en ne se cachant pas derrière son petit doigt. On le comprend. Une image de véracité… celle d'un homme qui «n'a pas peur d'appeler un chat un chat».

On ne s'étonnera pas, de ce fait, que tel prêtre à qui je faisais dès l'élection remarquer l'inflexion notable du discours papal sur la liturgie me réponde: «oui, mais ça c'était quand il n'était pas encore pape». Comme si le peu d'intérêt de François pour les ors vaticanesques et les encens liturgiques lui valait un reproche voilé: celui de saper les fondements d'un ethos sacerdotal. Il est vrai que, selon ce que dénoncent beaucoup de catholiques dans les synodes, sur les blogs ou dans les discussions, les vingt dernières années ont connu un rétablissement d'une sorte de hiératisme liturgique. Si bien des fidèles ont estimé qu'on retrouvait «enfin de vraies messes», d'autres, au contraire, se sont inquiétés d'une solennisation qui semblait, à ce qu'ils en disaient, retirer la dimension humaine de la liturgie.

C'est la première fois qu'un pape se permet de demander aux fidèles leur opinion !

Le pape François est clivant, parce que son mode de fonctionnement tranche sur des tendances archaïsantes - ou ressenties comme telles - qui envahissaient le champ du culte. Pour certains, «il faut le soutenir pour qu'il stoppe les dérives» et rétablisse la force de Vatican II. En ce cas, on prête peu d'attention au contenu du discours, que les plus perspicaces jugent malgré tout très classique, sous des dehors amènes.

Et puis, il faut bien le dire, c'est la première fois qu'un pape se permet de demander aux fidèles leur opinion! Le questionnaire préparatoire au synode sur la famille a été bien accueilli. «On va donner notre avis au pape!», tant il est vrai qu'on ne leur demande pas souvent… Ce qu'on vit dans les familles, avec leur lot de recomposition tous azimuts: divorces (jusque dans les meilleures familles traditionnelles), cohabitations sans mariage, enfants (qui ne sont plus) naturels, homosexualités,… tout cela interroge. Où va la société? Faut-il vraiment se focaliser sur les règles de la vie familiale, ou bien les questions essentielles ne sont-elles pas ailleurs. «Faut tout de même pas faire n'importe quoi!», disent certains, qui ajoutent aussitôt: «Mais c'est vrai qu'il y a des choses plus importantes, comme le chômage, ou bien tous ces financiers qui nous commandent». Qu'un pape demande leur avis aux fidèles est accueilli avec une grande satisfaction. Telle équipe de couples y consacre sa réunion, et va porter au curé de la paroisse les résultats écrits ; telle association délègue plusieurs membres pour y répondre, et ils soumettent leur papier à tous. Ce n'est pas la démocratie populaire, mais le nombre de réponses reçues de tous horizons incite à se demander si de telles opérations ne sont pas un désir latent des fidèles.

François est le premier pape qui n'a pas participé au concile. Les fidèles ne l'ont certainement pas perçu ainsi. Il est le premier qui vit dans l'héritage légué par les pères conciliaires. Nul ne sait ce qui se passera demain - mais il est clair que les légitimités de Jean-Paul II et Benoît XVI sont maintenant du passé. Le concile est définitivement acté. »

 Réf. Le pape François… et les catholiques de France

Est-ce vraiment un bon résumé du message médiatique de François, tel qu’il est généralement perçu ?  L'image peut en tout cas appeler des réserves : le pape n’est pas un curé de village ; le retour du modèle des années 1970 affaiblit la dimension verticale de la liturgie ; le gouvernement de l’Eglise ne se fait pas à la corbeille des opinions mais à la lumière de la parole de Jésus-Christ, etc.

Les premiers laudateurs de cette image du nouvel « évêque de Rome »  sont souvent des non chrétiens qui la manipulent et n’ont évidemment aucune intention de  fréquenter les églises.

On a souvent reproché à Jean-Paul II les grands rassemblements de jeunes, en disant que leurs retombées sur la vie réelle étaient minces (c'est en partie vrai) et son témoignage courageux face à la maladie et à l’impopularité dans les médias, durant la  seconde partie de son règne, nous parle finalement plus que les performances de l’ « athlète de Dieu » vanté, en son temps, par le cardinal Marty.

Ce qui joue sur l’éphémère dure ce que dure l’éphémère, observe justement le professeur Luc Perrin (faculté théologique de Strasbourg) qui croit déceler que déjà le pape François fait moins de « coups » médiatiques et se demande si ce n’est pas l’amorce d’un recentrage.

Nicolas de Bremond d'Ars, vicaire à la paroisse de La Madeleine jusqu'en août 2013, est actuellement en mission d'études et de recherches. Il est également sociologue, chercheur associé au CEIFR (École des hautes études en Sciences sociales) et a notamment publié chez Bayard en 2010  « Catholicisme, zones de fracture ». A voir aussi l’émission de France-Culture « Dieu et les banques » à laquelle il a activement participé.

JPSC  

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