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A propos des frontières de la Russie

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La question ukrainienne a remis en lumière celle des frontières de la Russie. Sur le site web « Liberté politique », Michel Pinton tente d’y répondre (extraits) :

Les-frontieres-de-la-Russie-ne-sont-pas-sovietiques_visuel (1).jpg« Il y a un peu plus de vingt ans, le système communiste s’effondra et l’Union soviétique disparut. Aussitôt, des nations que l’on croyait disparues ont resurgi. La résurrection la plus surprenante de toutes a été celle de la Russie. Pour en comprendre la réalité et la portée, j’eus l’honneur de conduire à Moscou, au nom du Parlement européen, une délégation de responsables politiques et religieux, d’universitaires et d’éditorialistes, venus débattre d’un projet ambitieux : examiner sur quelles bases l’Union européenne tout juste née et la Russie revenue à la vie pouvaient établir des relations stables, étroites et confiantes.

Qu’est-ce qu’être Russe ?

(…) Nos interlocuteurs de Moscou étaient hantés par une interrogation qui dépassait le cadre de nos discussions : qu’est-ce que la Russie à notre époque ? Ou en termes plus concrets : qui est Russe et comment cette affirmation identitaire peut-elle se manifester au XXIe siècle sur le triple plan politique, social et religieux ?

Après avoir été enfermée dans une tombe pendant plus de soixante-dix ans, la nation revenue à la lumière était absorbée par cette question existentielle (…). Un problème particulièrement compliqué et douloureux fut évoqué plusieurs fois devant nous : celui de l’espace russe. Tous nos interlocuteurs étaient d’accord pour considérer que la République née trois ans plus tôt était enfermée dans des frontières artificielles. Elles avaient été tracées par Lénine et Staline de façon arbitraire, dans le but avoué d’effacer tout sentiment d’appartenance nationale.

Ce qui avait été sous la dictature communiste simple limite administrative, avait reçu, en 1991, le caractère intouchable de frontière d’État. Vingt-cinq millions d’êtres humains qui se pensaient russes, s’étaient retrouvés, du jour au lendemain et sans avoir bougé du lieu que leurs parents et grands parents avaient habité avant eux, munis d’une autre nationalité. Ils formaient la plus grande diaspora du monde. La Russie nouvelle ne pouvait éviter de se préoccuper de leur sort.

L’espace russe selon Soljenitsyne

(…) A mesure que la Russie a repris des forces sur le plan politique et religieux, militaire et moral, le problème de l’espace russe est devenu plus sensible. C’est notre éloignement qui nous fait croire à son caractère récent et artificiel. Il y a vingt ans déjà, Alexandre Soljenitsyne a, avec la netteté qui lui était habituelle, souligné sa gravité et indiqué sa solution souhaitable.(…)

Soljenitsyne traite d’abord des douze peuples de cultures non-russes qui étaient eux aussi enfermés dans l’Union soviétique. Ils ont, dit-il, la faculté de déterminer leurs destins en toute liberté. Il faut seulement que les communautés russes contenues dans leurs nouvelles frontières, reçoivent tous les droits que la charte des Nations-unies accorde aux minorités nationales. L’application de ce principe est particulièrement importante dans les pays baltes. La population de l’Estonie, par exemple, est russe dans la proportion de 40%. La recommandation de Soljenitsyne annonce exactement la politique que suit le Kremlin. Les difficultés viennent des autorités de Tallinn et de Riga. L’Union européenne est obligée de les rappeler périodiquement à leurs devoirs.

Blancs, petits et grands Russiens

Restent trois États : la Biélorussie, l’Ukraine et le Kazakhstan. Leurs territoires ont été taillés  par le pouvoir soviétique sans tenir aucun compte de leurs réalités humaines. Le Kazakhstan, par exemple, forme une nation artificielle, russe dans sa moitié nord, kazakh dans sa partie méridionale. Si ces derniers, minoritaires à l’échelle du pays, veulent un État à eux, qu’ils le créent, mais seulement sur leurs terres.

La Biélorussie est la patrie des « Blancs-Russiens », c’est-à-dire d’une des trois branches de la nation russe. Elle a une langue et une culture propres qui sont dignes de respect. De même l’Ukraine, terre des « Petits-Russiens ». Il est légitime que ces deux peuples aient leurs États, s’ils les désirent, tout comme les « Grands-Russiens » ont le leur dont le siège est à Moscou. Mais l’histoire commune et l’intérêt de chacun commandent que les trois États s’unissent dans une confédération, avec, au minimum, des frontières « transparentes » aux échanges de toutes sortes, à quoi pourrait s’ajouter une monnaie commune et éventuellement une armée unique.

C’est à peu près ce à quoi visent nos « fédéralistes » pour l’Union européenne, mais en essayant de combler des fossés bien plus profonds.

La dernière décennie a montré qu’une telle confédération est devenue le but poursuivi obstinément par Vladimir Poutine. La Biélorussie y a adhéré d’emblée. Le Kazakhstan s’y est rallié après quelques hésitations. Seule l’Ukraine est encore tiraillée entre des destins contradictoires.

L’ancienne Galicie

Soljenitsyne avait pressenti, comme bien d’autres, les réticences d’une partie de la population ukrainienne, notamment de celle qui habite l’ancienne Galicie, à l’ouest du pays. Quoiqu’elle soit, à ses yeux, de culture et de destin russes, il excluait qu’elle fut intégrée de force dans un ensemble dont elle ne voudrait pas. Qu’elle suive donc sa propre voie ! Mais elle ne peut entraîner toute l’Ukraine dans son choix.

Détacher ce pays de la Russie, ce serait non seulement couper des liens immémoriaux mais séparer des millions de familles en les forçant de vivre de part et d’autre d’une frontière artificielle. La rivalité des grandes puissances étant attirée par ces disputes régionales, l’Otan serait poussée à couvrir le gouvernement de Kiev de sa protection. La mauvaise frontière deviendrait barrière militaire. Alors on verrait la guerre accourir.  La crainte de Soljenitsyne n’était pas imaginaire. Il y a huit ans, George Bush, cédant à l’ivresse de la toute puissance américaine, voulut que l’Ukraine devienne membre de l’Otan. Pour le plus grand bien de la paix en Europe, la prudence allemande y a mis son veto.

Choisir son destin

 (…) Des voix s’élèvent en Occident pour dénoncer ce qu’elles appellent l’impérialisme de Moscou. Elles prédisent que Poutine, encouragé par notre faiblesse, est sur le point d’annexer Kiev avant d’envahir Tallinn et Riga. Ces prétendues analyses n’ont rien à voir avec la réalité.

En l’état actuel des faits, Poutine ne fait que répondre aux vœux de la nation russe. Si, par un étrange retour de l’histoire, l’Occident mettait tout son poids à défendre l’inviolabilité de frontières héritées de Lénine et Staline, il prendrait la lourde responsabilité des tensions militaires et des  misères humaines qui s’ensuivraient (…).

Michel Pinton est ancien député au Parlement européen.

JPSC  

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