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L'exhortation "Amoris Laetitia" suscite des interrogations auxquelles il faudra bien répondre

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De Thibaud Collin sur le site de l'Homme Nouveau :

Amoris Laetitia : des interrogations en attente de réponse

L’exhortation apostolique post-synodale Amoris Lætitia est un long document de plus de 250 pages divisées en neuf chapitres. Je vais me concentrer ici sur le seul chapitre 8 intitulé « Accompagner, discerner et intégrer la fragilité » puisque c’est le passage qui a d’emblée attiré le plus de remarques et qui traite du sujet pour lequel le Pape François a manifestement voulu ces deux synodes de 2014 et 2015 sur la famille. 

Ce texte est ambitieux car sans vouloir remettre en cause la doctrine antérieure, il veut insuffler une nouvelle manière de considérer ce qu’il nomme les« situations irrégulières » relativement au sacrement de mariage et à ses exigences morales et spirituelles. Une partie des discussions depuis la publication de ce texte cherche à répondre à la question suivante : cette nouvelle approche pastorale n’implique-t-elle pas des modifications doctrinales ? Et si oui, lesquelles ? Pour le dire autrement, peut-on lire ce chapitre comme on doit le lire, c’est-à-dire selon une herméneutique de la continuité ? Je n’entre pas ici dans la discussion sur le statut de ce texte et sur son autorité doctrinale. Je me situe comme un lecteur soucieux de recevoir ce que le Saint-Père dit aux fidèles d’aujourd’hui afin de vivre pleinement l’appel à la sainteté et à l’évangélisation de mes contemporains.

Chaque personne est en chemin…

Le Pape François est sensible au devenir de l’existence chrétienne. Chaque personne est en chemin vers le but, dénommé « idéal » : « Le mariage chrétien, reflet de l’union entre le Christ et son Église, se réalise pleinement dans l’union entre un homme et une femme, qui se donnent l’un à l’autre dans un amour exclusif et dans une fidélité libre, s’appartiennent jusqu’à la mort et s’ouvrent à la transmission de la vie, consacrés par le sacrement qui leur confère la grâce pour constituer une Église domestique et le ferment d’une vie nouvelle pour la société. » (n. 292) Le fait que nous soyons en chemin vers cet idéal implique que nous pouvons nous trouver à des étapes différentes. Il y a donc des degrés : « D’autres formes d’union réalisent au moins en partie et par analogie » cet idéal. Il s’agit alors pour les pasteurs non pas de souligner la discontinuité mais de « valoriser les éléments constructifs dans ces situations qui ne correspondent pas encore ou qui ne correspondent plus à son enseignement sur le mariage » (idem). Le but pastoral est de valoriser la continuité pour conduire les couples en situation irrégulière à « une plus grande ouverture à l’Évangile du mariage dans sa plénitude » (n. 293). Le Pape François reprend le thème de la gradualité en citant Familiaris consortio (n. 34) : l’être humain « connaît, aime et accomplit le bien moral en suivant les étapes d’une croissance ». Le Saint-Père explicite qu’il s’agit donc de la« gradualité dans l’accomplissement prudent des actes libres de la part de sujets qui ne sont dans des conditions ni de comprendre, ni de valoriser ni d’observer pleinement les exigences objectives de la loi. » (n. 295)

 

L’interprétation que donne le Pape de la gradualité semble nouvelle car la gradualité selon saint Jean-Paul II présuppose une volonté nette de rejeter le péché et la mise en œuvre progressive d’une réelle intégration vertueuse de l’objectivité morale. Or ici la gradualité ne repose plus sur cette discontinuité (la conversion) mais semble créer un continuum entre le péché et l’acte bon. Cette continuité est assurée par le mot chemin dont le but est l’idéal. La question est donc de savoir où se situe le moment de la conversion. De plus si la personne n’est pas en état de « comprendre » et d’« observer » les exigences de la loi, on ne voit pas comment la gradualité peut s’appliquer à ce qui ne semble même pas un acte bon. Il faudrait savoir si on est ici devant une nouvelle définition de la gradualité et si oui, savoir comment elle s’articule avec celle donnée par saint Jean-Paul II.

Sur le discernement des situations dites « irrégulières », le Pape rappelle son souci d’« intégrer tout le monde » (n. 297) et d’« aider chacun à trouver sa propre manière de faire partie de la communauté ecclésiale » (idem). « Personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est pas la logique de l’Évangile ! », rajoute le Pape avec force. Il est clair que l’on est ici dans une nouvelle approche où tout ce qui relève du jugement (moral de la conscience mais aussi eschatologique quant au salut de l’âme) est mis au second plan. Cela confirme que la pastorale de la miséricorde se veut si attentive à la singularité de chacun que chaque fidèle peut déterminer ce qu’il se sent prêt à vivre du message évangélique. Le grand pari du Pape est qu’une telle attitude pastorale conduise à la conversion et à une pleine adhésion au Christ. On peut aussi craindre qu’elle soit reçue comme la validation mezza voce du statu quo et une sorte d’éloge de la procrastination. Pourquoi changer de vie aujourd’hui, si je peux le faire demain ? Et si finalement je suis quand même en marche vers l’idéal ?

Lorsqu’il aborde le cas des fidèles divorcés remariés civilement le Pape François demande que l’on ne catalogue pas les personnes. Il distingue ensuite plusieurs cas. « Une chose est une seconde union consolidée dans le temps, avec de nouveaux enfants, avec une fidélité prouvée, un don de soi généreux, un engagement chrétien, la conscience de l’irrégularité de sa propre situation et une grande difficulté à faire marche arrière sans sentir en conscience qu’on commet de nouvelles fautes. L’Église reconnaît des situations où “l’homme et la femme ne peuvent pas, pour de graves motifs – par exemple l’éducation des enfants –, remplir l’obligation de la séparation” (Familiaris consortio, n. 84) » (n. 298).

De nombreuses questions de compréhension

Ce texte pose bien sûr de nombreuses questions de compréhension. Tout d’abord le Pape utilise ici pour décrire la situation de personnes vivant dans l’infidélité conjugale un vocabulaire jusque-là réservé au mariage sacramentel (fidélité, don de soi généreux, engagement chrétien). La fin de la citation de Familiaris consortio renvoie elle-même à la note suivante censée l’expliciter : « Dans ces situations, connaissant et acceptant la possibilité de cohabiter “comme frère et sœur” que l’Église leur offre, beaucoup soulignent que s’il manque certaines manifestations d’intimité “la fidélité peut courir des risques et le bien des enfants être compromis” (Gaudium et spes, n. 51) ». Le Pape semble donc légitimer le fait que la continence jusque-là exigée par l’Église aux divorcés remariés, justement dans le n. 84 de Familiaris consortio, puisse mettre en danger leur « fidélité », comme le dit la constitution conciliaire qui parle des époux et non des divorcés remariés !

Ma question est donc : y a-t-il un devoir de fidélité des divorcés remariés l’un envers l’autre, alors même qu’ils sont conscients d’être dans une situation irrégulière ? Autrement dit, y a-t-il une bonne manière de vivre l’adultère, bonne manière qui pourrait amener un discernement positif pour accéder aux sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie ? La continence demandée aux divorcés remariés par Familiaris consortio, rappelons-le, n’est pas une condition que l’Église met pour reconnaître la validité d’une nouvelle union (car cela remettrait ipso facto en question l’indissolubilité du mariage) ; c’est ce que l’Église demande pour que les divorcés remariés ne pouvant pas se séparer pour une grave raison (principalement l’éducation de leurs enfants) assument en vérité leur situation face à Dieu. Dans l’extrait cité plus haut (n. 298), le texte laisse entrapercevoir ce que certains, en 1968, nommaient un « conflit de devoirs » pour relativiser les exigences normatives d’Humanæ vitæ : « une grande difficulté à faire marche arrière sans sentir en conscience qu’on commet de nouvelles fautes. » On ne sait pas si le Pape ne fait que décrire le vécu psychologique de certains fidèles ou bien s’il reconnaît une possible contradiction entre les exigences morales et qu’ainsi seul l’accompagnement peut permettre au fidèle de discerner au cas par cas ce qui est bon pour lui. Le présupposé de tout ce problème est de voir la continence comme une exigence surnaturelle, réservée à ceux qui ont reçu un charisme de l’Esprit Saint pour la vivre. Or la continence est la manière ordinaire d’assumer sa sexualité en respectant la vérité du langage de son corps sexué lorsqu’on ne vit pas dans le mariage (veuvage, célibat, séparation). Penser le contraire implique, en réalité, une vision très élitiste de la continence vivable par ceux-là seuls qui sont appelés par Dieu mais impossible pour le plus grand nombre.

Un itinéraire d’accompagnement

Ensuite le Pape aborde, en reprenant le texte de la Relatio finalis 2015 (n. 86), cet itinéraire d’accompagnement et de discernement qui « oriente ces fidèles à la prise de conscience de leur situation devant Dieu. Le colloque avec le prêtre, dans le for interne, concourt à la formation d’un jugement correct sur ce qui entrave la possibilité d’une participation plus entière à la vie de l’Église et sur les étapes à accomplir pour la favoriser et la faire grandir. Étant donné que, dans la loi elle-même, il n’y a pas de gradualité (cf. Familiaris consortio, n. 34), ce discernement ne pourra jamais s’exonérer des exigences de vérité et de charité de l’Évangile proposées par l’Église. Pour qu’il en soit ainsi, il faut garantir les conditions nécessaires d’humilité, de discrétion, d’amour de l’Église et de son enseignement, dans la recherche sincère de la volonté de Dieu et avec le désir de parvenir à y répondre de façon plus parfaite » (n. 300). Puis vient la liste de différentes circonstances atténuantes dans le discernement pastoral et l’affirmation classique de la distinction entre la moralité objective et l’imputabilité subjective. « Par conséquent, il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite “irrégulière” vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante. Les limites n’ont pas à voir uniquement avec une éventuelle méconnaissance de la norme. Un sujet, même connaissant bien la norme, peut avoir une grande difficulté à saisir les “valeurs comprises dans la norme” ou peut se trouver dans des conditions concrètes qui ne lui permettent pas d’agir différemment et de prendre d’autres décisions sans une nouvelle faute. » (n. 301)

Toute la question est de savoir si cette distinction peut réellement s’appliquer à des personnes divorcées et remariées, a priori conscientes et responsables de leur engagement, et si la non imputabilité subjective (1) peut devenir une raison déterminante ouvrant à la réception des sacrements au terme d’un dialogue pastoral. N’est-ce pas, de plus, le rôle du pasteur que de rappeler les paroles du Christ sur le mariage et d’appeler à la conversion celui qui ne vit? pas? dans les commandements de Dieu ? Peut-il prendre la non imputabilité subjective du fidèle comme la norme objective de son accès aux sacrements ? Le Pape suivant toujours la Relatio finalis 2015 s’appuie ici sur un texte du Conseil pontifical pour les textes législatifs (2) en en retournant le sens obvie.

Un simple jugement de la conscience

Remettons la citation dans son contexte, celui de l’interprétation à donner au canon 915 sur les conditions d’admission à la communion eucharistique : « La formule “et ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste” est claire et doit être comprise d’une façon qui n’en déforme pas le sens, en rendant la norme inapplicable. » Une des conditions requises est que « le péché grave soit compris objectivement, parce que de l’imputabilité subjective le ministre de la communion ne peut juger. » Ainsi ce qui était perçu jusque-là selon l’objectivité de l’ordre sacramentel semble pouvoir se contenter d’un jugement de la conscience au for interne. Comment comprendre dès lors l’articulation de ce que présuppose cette nouvelle méthode pastorale avec les fondements de la morale catholique telle qu’elle est exposée dans Veritatis splendor (3) ? Cette question nous semble légitime. Ne doutons pas que la Congrégation pour la Doctrine de la foi donne des éclaircissements pour lire ce chapitre comme il doit être lu, dans sa continuité doctrinale.

 

1. « C’est pourquoi, un jugement négatif sur une situation objective n’implique pas un jugement sur l’imputabilité ou la culpabilité de la personne impliquée. » (n. 302)
2. Déclaration sur l’admissibilité des divorcés remariés à la sainte communion (24 juin 2000).
3. Notamment le n. 56 de l’encyclique de saint Jean-Paul II.

Commentaires

  • Dans cette affaire du mariage, le problème est qu'il n'y a pas la distinction simple et pratique qu'on attendrait à savoir 1° un mariage non chrétien qui serait péché et 2° un mariage chrétien qui serait le bien.

    Il y a aussi, entre ces deux, le mariage non chrétien NATUREL, qui est un bien, qui s'engage pour le meilleur et le moins bon (mais pas jusqu'au pire que serait la trahison d'un des deux). Or ce mariage humain est bon, quoique non chrétien.

  • Excusez-moi Mr Dumouch mais en consultant le Catéchisme de l’Église Catholique je ne trouve pas de notion de "mariage humain bon quoique non chrétien"...
    Par contre je lis au numéro 2353 du CEC : "La fornication est l’union charnelle en dehors du mariage entre un homme et une femme libres. Elle est gravement contraire à la dignité des personnes et de la sexualité humaine naturellement ordonnée au bien des époux ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants. En outre c’est un scandale grave quand il y a corruption des jeunes."
    Sur quoi vous basez-vous pour tenir vos propos?

  • "le Catéchisme de l’Église Catholique", je ne nie pas ses mérites, mais ce n'est pas là " Parole d'Evangile" !

  • Ne vous en déplaise Mr Delen mais le catéchisme de l’Église Catholique est un ouvrage de référence pour tout fidèle catholique quant aux dogmes, sacrements, vie morale et vie spirituelle, qui a pour objectif de faciliter la rédaction de catéchismes locaux. C'est une somme importante, comprenant plus de 650 pages, dont la formulation se veut claire et didactique afin d'être comprise par le plus grand nombre...

  • Je réponds à Lysanias 17h09 - mercredi 20 avril 2016.

    Cher Lysinias, ne cherchez pas dans le CEC l'existence du mariage naturel. Il n'est pas objet de doctrine du salut mais d'expérience. Or le CEC parle d'abord de la doctrine du salut.

    Vous pouvez CONSTATER que les gens se marient depuis toujours et partout pour fonder une famille. Pas besoin d'être catholique. Et ce mariage, créé par Dieu en Adam et Eve, est bon. Il est porté par les lois de l'engagement moral, très bien décrites par Aristote.

    Quant au mariage catholique, dont parle le CEC, ce n'est rien d'autre que le mariage naturel élevé par le Christ au rang de sacrement. Il prend donc une dimension surnaturelle fondée sur la grâce et devient l'image de la manière dont Dieu nous aime et dont nous devons aimer Dieu : pour le meilleur et pour le pire.

  • Mr Dumouch désolé de vous décevoir, mais je ne suis pas un disciple d'Aristote ; j'essaye avant tout d'être un disciple du Christ et de son enseignement tel qu'il nous est donné par l’Église qu'Il a fondée...

  • Un aveu du pape ne vous suffit-il pas ?


    Extrait de :

    VISITE DU PAPE FRANÇOIS À LESBOS (GRÈCE)

    Conférence de presse du Saint-Père au cours du vol de retour de Lesbos

    Samedi 16 avril 2016


    (Francis Rocca, Wall Street Journal)

    Merci Saint-Père ! Je vois que les questions sur l’immigration auxquelles j’avais pensé ont déjà été posées, et vous avez très bien répondu. Donc, si vous me le permettez, je voudrais poser une question sur un autre événement de ces derniers jours, à savoir votre Exhortation Apostolique. Comme vous le savez bien, il y a eu beaucoup de discussions sur l’un des nombreux points – je sais que nous sommes nombreux à nous y être concentrés – après la publication : certains soutiennent que rien n’a changé par rapport à la discipline qui régit l’accès aux sacrements pour les divorcés et remariés, et que la loi ainsi que la praxis pastorale et naturellement la doctrine demeurent telles quelles; d’autres soutiennent au contraire que beaucoup a changé et qu’il y a de nombreuses nouvelles ouvertures et possibilités. La question est pour une personne, un catholique qui veut savoir : y a-t-il de nouvelles possibilités concrètes, qui n’existaient pas avant la publication de l’Exhortation, ou non ?

    (Pape François)

    Je voudrais dire ‘‘oui’’, et point. Mais ce serait une réponse trop courte. Je vous recommande à vous tous de lire la présentation qu’a faite le Cardinal Schönborn, qui est un grand théologien. Il est membre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et connaît bien la doctrine de l’Église. Dans cette présentation votre question aura sa réponse. Merci !

    https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2016/april/documents/papa-francesco_20160416_lesvos-volo-ritorno.html

  • Darc, bonsoir.

    Sans se permettre de juger qui que ce soit... "Qui suis-je pour ?"
    :-))
    Cet "aveu" de la part du pape ne suffit pas.

    - Ses propos sont "pastoraux", c'est-à-dire des recettes pédagogiques. En la matière, il doit recevoir notre écoute attentive, mais ils ne bénéficient d'aucune infaillibilité. Notre obéissance ne doit pas être automatique.

    - De plus. Les procédés spécieux qui consisteraient à enrober de vérités classiques une /des "avancée (s)" biaiseuse (s) ne méritent aucune réponse.
    Sauf à considérer que le silence serait une complicité en faveur d'une mauvaise action.

    Quelle situation !
    Notre pape est là pour nous rassembler et nous conduire comme un "bon berger". Et, en 36 matières, on dirait bien qu'il prend plaisir à créer l'imbroglio.
    Jésus, Marie, libérez-nous de ses interventions intempestives.

  • En somme et en résumé : « Personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est pas la logique de l’Évangile ! » (citation de l’ exhortation « amoris laetitia ») : tout ce qui concerne le jugement moral de la conscience et même le jugement eschatologique doit s’effacer devant ce… jugement préjudiciel .

    Bref, chaque personne serait en chemin vers l’idéal, l’objet de la « nouvelle pastorale » étant de mener graduellement cette personne vers la plénitude de l’Evangile.

    Dans l’esprit du pape François, cette gradualité ne repose plus sur un acte de rupture (conversion) : à savoir la volonté nette de rompre avec le péché entraînant la mise en œuvre progressive d’une réelle intégration vertueuse de l’objectivité morale. Elle s’inscrirait plutôt dans un continuum entre le péché et l’acte bon. Et, finalement, chaque fidèle pourrait déterminer ce qu’il se sent prêt à vivre du message évangélique. Ce peut être un chemin vers un idéal toujours plus exigeant. Mais tout aussi bien un éloge de la procrastination : pourquoi changer de vie aujourd’hui, si je peux le faire demain ? Et si finalement je suis quand même en marche vers l’idéal ?

    Ensuite, le pape jésuite, qui se méfie des légistes, utilise (pour relativiser la norme) le célèbre concept du « conflit de devoirs », déjà évoqué en 1968 par certains moralistes opposés à l’encyclique Humanae Vitae » de Paul VI. Et il l’applique ici à la continence des divorcés-remariés qui, selon lui, pourrait mettre en danger leur « fidélité » par ailleurs si utile au bien des enfants issus de la relation. Le présupposé de François est que la continence est une exigence surnaturelle réservée à une élite qui aurait reçu du Saint-Esprit un charisme tout à fait spécial pour l’observer. La continence ne doit donc plus être considérée comme la manière ordinaire d’assumer sa sexualité lorsqu’on ne vit pas dans le mariage (veuvage, célibat, séparation). C’est bien dans l’esprit du monde post-moderne.

    Dans la même ligne, le pape traite aussi du pardon des péchés en partant de la distinction classique entre la moralité objective et l’imputabilité subjective, pour élargir le sens de l’irresponsabilité morale : il ne s’agit plus pour le confesseur de juger de la question d’une ignorance invincible de la norme mais de la difficulté pour le sujet d’adhérer à sa valeur. Par conséquent, le fait d’avoir une grande difficulté à saisir la valeur d’une prescription morale devient la norme… objective de l’accès du « fidèle » aux sacrements !

    Conclusion : je vais m’acheter une paire de lunettes, roses évidemment. A moins que d'aimables contradicteurs m'en fassent le cadeau.

  • Merci JPSC pour ces distingo éclairants

  • Cher JPSC, je ne paratage pas du tout votre lecture des propos du Cardinal Schönborn.

    En effet, vous partez de l'a priori suivant que le pape rejette à savoir que, dans tous les cas, un état de divorcé remarié serait un péché mortel.

    Saint Jean Paul II avait déjà montré que non : il y a toujours état contradictoire à la règle sacramentelle mais pas toujours péché mortel.

    Un exemple :

    Mariage 33- L’état de divorcé-remarié est-il toujours un péché mortel ? (5 mn) https://youtu.be/lnznsj709gc

  • Cher Monsieur Dumouch,
    il s'agit seulement de savoir si oui ou non on propose la continence, le contrôle de soi, de ses instincts, de ses pulsions, en dehors du cadre du mariage qui, par définition, est un engagement unique et irréversible.
    On ne peut pas plus se démarier que de renoncer à être né ou renoncer à sa paternité ou maternité.
    S'il n'est pas nécessaire de jeter la réalité à la figure d'un rêveur, c'est toujours une faute et un manque de charité que de rentrer dans un déni de réalité délirant.
    Excusez-moi, la casuistique n'est pas ma tasse de thé.

  • Mr Dumouch l'exemple que vous donnez dans votre vidéo ne tient pas debout... Nous ne sommes pas juge de qui est en état de péché mortel ou pas (seul Dieu est juge) et votre notion d'"irrégularité sacramentelle" que vous introduisez pour justifier l'homme qui se remarie n'est pas reprise dans le CEC !...
    Il n'est pas question de mépriser qui que se soit et encore moins de juger (comme je l'ai dit cela appartient à Dieu seul) ; mais il faut être bien conscient que nos décisions, nos actes et nos choix de vie entraînent inévitablement des conséquences qu'il faut accepter et assumer !... Si vous voulez trouvez des justifications à l'homme qui se remarie (parce que sa femme l'a quitté) vous pourrez toujours trouver des excuses pour sa femme aussi.
    Le CEC est clair sur l'attitude à adopter en cas de séparation. En même temps personne ne peut être séparé de l’Amour du Christ ; même les remariés civilement ou vivants en concubinage et qui ne peuvent pas communier au corps du Christ peuvent communier, non pas sacramentellement mais en union au cœur transpercé de Jésus.

  • Cher Lysinias, vous écrivez : "votre notion d'"irrégularité sacramentelle" que vous introduisez pour justifier l'homme qui se remarie n'est pas reprise dans le CEC !..."

    Certes mais elle l'est maintenant, par l'apport théologique du pape François dans son encyclique Amoris Laetitia n° 301 : ""Par conséquent, il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite ‘‘irrégulière’’ vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante".

    Cette video vise à expliquer cette notion nouvelle :

    Mariage 33- L’état de divorcé-remarié est-il toujours un péché mortel ? (5 mn) https://youtu.be/lnznsj709gc

  • cher Lysanias,
    vos conclusions, concrètement, rejoignent celles de Mr Dumouch à savoir la communion non sacramentelle au coeur transpercé de Jesus.
    Personnellement, je trouve cette video , lumineuse .
    Or " Joseph ,qui était un homme juste , résolut de répudier Marie, secrètement .
    Que savons nous du secret des couples ? Et que devons nous en savoir ? Mon mari a reçu une annulation de mariage , bien avant que je le rencontre . Nous avons donc pu nous marier à l' Eglise . En arrivant dans une nouvelle paroisse , devais je annoncer la chose publiquement ? Je pose la question sérieusement, vu la dureté de coeur .....
    Car des annulations, il y en aura toujours . Elles ne diminueront que si la préparation au mariage s'améliore. Quand je parle de cette annulation, j'entends parfois : moi aussi j'aurais pu la demander. ( le mari ou la femme se révèlent brusquement homosexuel (le ), les parents ont exigé que la jeune fille enceinte se marie avec le père , etc...., ce sont des exemples réels )
    Que savons nous du secret des couples et que devons nous en savoir ?
    Le Jansénisme a durement marqué l' Eglise . Et oui, la miséricorde entraîne souvent la casuistique .....
    Et Blaise Pascal ......une vie lumineuse transcendant une immense souffrance, physique et morale : " Soumission totale à Jesus Christ et à mon directeur " .
    Il aurait connu trois conversions au cours de sa vie . Comme François Mauriac . La conversion est vraiment un chemin . Certains font peut être de longues pauses , de courtes étapes . Mais ce n'est pas à nous de les chronométrer.

  • Personnellement je trouve que cette vidéo induit les gens en erreur et déforme la pensée et l’enseignement de l’Église catholique.
    Votre cas et ceux que vous invoquer son tous des situations de vie bien spécifiques et, comme je le dis plus haut, personne ne peut les juger (seul Dieu connait véritablement ce qu'il y a dans le fond de nos cœurs). De la même façon, comme le rappel très bien JPSC un peu plus bas, l’Eglise interdit au divorcé remarié de faire le geste de l’union sacramentelle au corps et au sang du Christ.
    Pourquoi s'obstiner à vouloir - à tout prix - changer les règles de l’Église Catholique ???? Je ne comprends pas...

  • On trouve aussi ce " mariage naturel " chez Socrate obéissant jusqu' à la mort aux lois de la Cité parce que sinon il y aurait " ingratitude envers ces LOIS QUI ONT FAIT SE RENCONTRER SES PARENTS , qui l'ont éduqué et l'ont façonné tel qu'il est " .
    Moi qui rêvais d'anarchie pendant le cours de grec, cette phrase m' avait émue, marquée jusqu' à ..... m'en souvenir maintenant .
    Plus simplement, nous connaissons tous des couples naturels , qui font du mariage chrétien sans le savoir ..... comme Mr Jourdain faisait de la prose ..... sans le savoir.

  • @ Arnaud Dumouch

    Le divorce par lui-même, n’est pas une cause d’exclusion de la réception sacramentelle de l’eucharistie. Mais le remariage est une infraction objective et continue à la loi divine, dans la mesure où il crée un état adultérin. Le précepte du Christ est très clair à ce sujet.

    Il est vrai que l’exigence du Seigneur peut paraître sévère mais je retourne au pape sa formule « qui suis-je pour juger ? » : en effet, le jugement appartient en définitive à Dieu et c’est précisément pourquoi il ne nous appartient pas d’en préjuger, en relativisant la norme telle que le Seigneur l’a prescrite.

    C’est pourquoi l’Eglise interdit au divorcé remarié de faire le geste de l’union sacramentelle au corps et au sang du Christ. C’est pareil pour des personnes de même sexe « mariées » civilement.

    Le danger sous-jacent à l’exhortation « amoris laetitia » est de laisser entendre que le confesseur peut « au cas par cas » lever cet interdit (1) La nature humaine est ainsi faite en ce bas monde qu’il y risque d'y avoir très rapidement autant de « cas » que de confesseurs. Je ne demande pas mieux d’être détrompé, bien sûr !
    ____

    (1) « Amoris laetitia » est un texte prolixe qui contient des considérations diversement intéressantes.

    Si l’on considère le point sensible de l’accès des divorcés remariés à l’absolution et à la communion sacramentelle , l’exhortation pontificale dit au n° 300 que les effets d’une norme ne doivent pas nécessairement être toujours identiques : si l’on tient compte de l’innombrable diversité des situations concrètes, il faut un discernement responsable personnel et pastoral des cas particuliers, reconnaissant que « le degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas » et, à ce point de l’exposé, l’exhortation renvoie à une note de bas de page [336] précisant que ceci concerne la discipline sacramentelle « étant donné que le discernement peut reconnaître que dans une situation particulière il n’y a pas de faute grave ».

    Pour ceux qui n’auraient pas encore compris ce charabia, , le pape réitère au n° 301, qu’il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite ‘‘irrégulière’’ vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante. Ce faisant il induit, me semble-t-il, la conclusion (qu’il ne formule pas explicitement) selon laquelle certains couples « irréguliers » sont donc en état de recevoir la communion sacramentelle…

    L’idée de M. Dumouch de priver un couple de la communion sacramentelle parce qu’il serait irrégulier quoiqu’en état de grâce me paraît franchement bizarre.

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