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Traduction du "Notre Père" : quand Koz remet magistralement Raphaël Enthoven à sa place

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D'Erwan le Morhedec sur son blog "Koz toujours" :

Le Notre Père vaut mieux qu’une chronique grossière

« C’est au sacré que l’on touche ici », vous êtes-vous écrié ce matin, M. Enthoven, sur Europe 1, et vous avez eu cent fois raison. C’est au sacré que vous avez touché. A la prière qu’un chrétien adresse à Son Père quand il est dans le désespoir, quand il le remercie, quand il le loue, quand il le chante. Ce sont ces mots qui nous viennent, les mains ouvertes vers le Ciel, en chœur ou en silence.

C’est au sacré que vous avez touché et nous aurions aimé que vous ne le fassiez que d’une main tremblante. Nous aurions apprécié que, conscient de toucher à ce qui nous est intime, vous ne le fassiez qu’avec conscience, avec rigueur.

Vous affirmez, et vous l’avez confirmé dans notre échange sur Twitter, que la nouvelle traduction du Notre Père aurait été adoptée par « marketing politique », par une « islamophobie » qui « crèverait l’oreille » – et peut-être êtes-vous sourd d’ailleurs. Les fidèles « ânonneront quotidiennement à mots couverts : chez nous, Dieu ne soumet pas, nous ne sommes pas du tout des musulmans, c’est librement qu’on croit ». Il n’y a pas d’islamophobie dans ce changement, M. Enthoven. En revanche, nous avons bien perçu votre mépris envers ces fidèles qui « ânonnent ». Ces ânes. Et vous concluez, satisfait, pensant peut-être nous apprendre la valeur de notre prière : « une prière vaut mieux qu’un message subliminal ».

M. Enthoven, les chrétiens ne sont plus surpris depuis longtemps du mépris qu’on leur témoigne sur les ondes et canaux divers, ni de l’ignorance satisfaite et suffisante des commentateurs. Mais vous êtes allé au-delà, et votre chronique suscite en moi plus encore que de la colère et de l’indignation : de l’effroi, aussi. Cest au sacré que vous avez touché, c’est à la vérité que vous avez attenté, et c’est aussi au pays et à sa paix que vous préjudiciez.

J’aimerais que vous compreniez, et avec vous ceux qui me liraient et ne sont pas croyants, pas chrétiens, que votre propos est grave en ce qu’il est tout à la fois faux, odieux et dangereux.

Votre propos est faux : la discussion sur la traduction du Notre Père est antérieure à l’Islam.

Nous ne sommes pas, M. Enthoven, dans un temps où l’on peut se permettre de mépriser la vérité, pour quelque souci de positionnement ou d’audiences de matinale. Chacun, dans sa profession, doit chercher la grandeur de sa vocation. C’est vrai en tout temps mais aujourd’hui plus encore, alors que les sables sont mouvants. Journalistes, chroniqueurs, vous avez un grand privilège et vous savez ce que l’on dit, à raison : les grands privilèges impliquent de grandes responsabilités.

Vous auriez pu éviter l’indignité de votre chronique. Ce seul article, sur le site du diocèse de Paris, 3ème résultat de Google pour « traduction notre père », vous rappelait que la traduction actuelle n’a qu’une cinquantaine d’années, vous rappelait les termes de la controverse autour de cette traduction, vous rappelait les enjeux d’unité des chrétiens et de fidélité à Dieu. Non, nous ne voyons pas en Lui un Dieu qui soumettrait les Hommes à la tentation, par quelque caprice.

 

Vous évoquez l’épître de Saint Paul aux Corinthiens, vous négligez Saint Jacques (1, 13). Vous lancez, sûr de votre fait, que « dans les Évangiles, Jésus lui-même a connu la tentation ». Est-ce donc par Son Père ? Je ne veux pas spoiler l’affaire : vous trouverez la réponse dans les premières lignes du chapitre 4 de l’Évangile selon Saint Luc, la première phrase du chapitre 4 de l’Évangile selon Saint Matthieu.

Un minimum de rigueur vous aurait encore conduit à vous interroger sur les autres traductions de ce texte. Vous auriez lu que la traduction espagnole est : « no nos dejes caer en la tentacion », soit littéralement « ne nous laisse pas tomber dans la tentation ». Vous auriez peut-être imaginé qu’il n’est pas indifférent aux catholiques que, de par le monde, la prière enseignée par le Christ ait tout simplement le même sens.

Depuis votre chaire radiophonique, vous vous permettez de tenir pour rien quarante années de recherches universitaires sur cette traduction – mais que valent aujourd’hui des universitaires face à un chroniqueur ? En deux minutes et trente secondes d’antenne radio, M. Enthoven, vous avez estimé que cette modification « ça ne change rien du tout« , quand cela fait plus de dix-sept siècles que le sujet occupe les plus éminents théologiens – mais que valent ces théologiens, contre votre intuition ? Tout à votre complotisme matinal, vous vous moquez d’ignorer que « la sixième demande du Notre Père était ainsi formulée dans le Catéchisme du Concile de Trente : « ne nous laissez pas succomber à la tentation » et non pas, comme depuis 1966, « ne nous soumettez pas à la tentation » (source : Que signifie la sixième demande du Notre Père ? Revue Théologique de Louvain, 1995, Raymond J. Tournay – merci à Joël Sprung pour l’information). Le Concile de Trente s’est achevé en 1563, c’est vous dire la perspective historique, c’est vous dire aussi si l’islam n’est pas le sujet.

Le Père Tournay rappelle encore et surtout que Tertullien, Cyprien, Saint Augustin, Denys d’Alexandrie, Saint Ambroise, débattaient déjà de la juste formulation de cette demande. C’était aux IIIème et IVème siècles. C’est, M. Enthoven, trois siècles avant l’apparition de l’islam.

Voilà pour votre thèse fantasmagorique d’une adaptation de la prière chère à tous les chrétiens par islamophobie.

Votre propos est odieux : il s’attaque à une Église de martyrs par amitié pour les musulmans.

Me revient une image, celle de Benoît XVI chantant pour la paix, avec un imam, un rabbin, et bien d’autres représentants des diverses religions. Je pense encore à François qui ne cesse de porter le dialogue avec l’islam, sous la vindicte des extrêmes de toutes parts, François recevant rabbins et imams dans le jardin du Vatican.

Vous avez dû tenir votre chronique, M. Enthoven, à peu près au moment où, sur le quai de la gare de Strasbourg, avec un frère Domincain, nous évoquions l’islam et le cycle de conférences qu’il organise (c’est en page 2). Et nous nous souvenions ensemble de Monseigneur Pierre Claverie, évêque d’Oran, assassiné par des islamistes le 1er août 1996. Monseigneur Pierre Claverie a dit ainsi : « Le maître mot de ma foi est aujourd’hui le dialogue, non par tactique ou par opportunisme, mais parce que le dialogue est constitutif de la relation de Dieu aux hommes et des hommes entre eux ». Il a été assassiné au nom de ce dialogue possible, que tous les fondamentalistes refusent de voir.

Nous évoquions encore la mémoire des sept moines trappistes de Tibhirine. Avez-vous lu le Testament de leur prieur, Christian de Chergéadressé aussi à celui qui lui ôterait la vie, « l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais » ? Évoquant son assassinat probable, il écrivait :

C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut- être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam. Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.

Je pense encore au Père Jacques Hamel, assassiné « en habit deservice », par deux terroristes islamistes il y a à peine deux ans. Il était curé de cette paroisse, Saint-Etienne-du-Rouvray, qui avait cédé une part de son terrain aux fidèles musulmans qui n’avaient pas de lieu de culte.

Je pense enfin au Père Paolo Dall’Oglio, disparu depuis quatre ans, et que l’État Islamique affirme avoir exécuté. Il se disait « amoureux de l’islam, croyant en Jésus », il se battait pour tous indistinctement, chrétiens et musulmans.

Et c’est cette Église-là, Église francophone, que vous accusez de changer sa plus grande prière en haine des musulmans ? C’est le sang de ces martyrs que vous foulez au pied. Jacques, Pierre, Christian, Luc, Christophe, Michel, Bruno, Célestin, Paul, tous français : qui croyez-vous donc être, à côté de ceux qui ont donné leur vie ? Que vaut, à votre avis, votre impression matutinale, à côté de leur témoignage ?

Votre propos est dangereux : il menace prêtres et fidèles.

Politiques, chroniqueurs et journalistes ont toujours une responsabilité éminente. Elle est plus grande encore dans la période que nous traversons. Personne ne peut se permettre la légèreté de votre démarche. Si vous imaginez que quelques mots ne font pas une menace, pensez que, même sans eux, le Père Jacques Hamel a été égorgé.

Cette menace n’est pas fantasmée, elle est est réelle, elle est présente.

Qui sait ce que vont croire les musulmans demain ? Qui sait ce que pourrait entreprendre un musulman psychotique ou islamiste, convaincu contre toute réalité que chaque dimanche, et même chaque jour, les chrétiens récitent un Notre Père modifié par haine de l’islam ? Si un tel événement devait se produire, et personne ne peut le juger suffisamment improbable, assumerez-vous votre propos de ce jour ?

Ce ne sont que des mots ? Il y a une semaine jour pour jour, vous avez à juste titre rediffusé le texte de Riss, dont vous avez extrait ce passage : « La Une de Charlie Hebdo fait partie d’une campagne générale de guerre aux musulmans » En prononçant cette phrase, Edwy Plenel condamne à mort une deuxième fois Charlie Hebdo.»

En sortant de Charlie Hebdo, juste après avoir massacré la rédaction, les islamistes ont hurlé : « nous avons vengé le Prophète !» En entrant dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray, juste avant d’égorger le Père Hamel, les islamistes ont crié : « Vous les chrétiens vous nous supprimez ! ».

En prononçant cette chronique, qui condamnez-vous à mort une deuxième fois ? Quel fidèle, quel prêtre ?

Votre propos de ce matin est de la même inconscience, il est de la même gravité.

*

M. Enthoven, j’aimerais me contenter de vous dire qu’il n’y a pas de honte à reconnaître son erreur. Mais nous sommes au-delà de la honte, car nous sommes dans un pays où des extrémismes mettent toute leur ardeur à créer les conditions de la confrontation. Un pays sous une menace islamiste renforcée par le retour des djihadistes.

Qu’il y ait de la honte ou non n’est plus le sujet, il est de votre devoir de le faire.

C’est aussi celui de votre rédaction de rectifier votre propos.1

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  1. Accessoirement, il y a un mois tout juste, vous imaginiez déjà un skinhead entrant dans un restaurant casher en récitant des psaumes. Deux fois, en droit, c’est une habitude. Faut-il considérer que le christianisme sera votre variable d’ajustement habituelle dans votre rapport à l’islam ? []

Commentaires

  • Beaucoup de ceux qui ont le privilège d'accéder aux médias sont des écervelés snobs ne connaissant rien à rien et ne sachant pas ce que veut dire : responsabilité.

    Je ne sais pas si la similitude des termes a été voulue par les évêques pour la nouvelle traduction de cette demande du Notre Père mais on lit dans Mt, 26,41 (traduction de la Bible de Jérusalem) ce que Jésus dit à ses disciples dans le Jardin de Gethsémani :
    "Veillez et priez pour NE PAS ENTRER EN TENTATION : l'esprit est ardent mais la chair est faible."

  • Puisque l'on parle de la tolérance et du respect inhérent à l'esprit du christianisme, je voudrais revenir aux fondamentaux. (Si erreur, veuillez me corriger).
    Le propre de tous les christianismes est l'Unicité de Dieu en trois personnes de toute éternité : le Fils « engendré » par le Père, l'Esprit « procédant » du Père, avant le temps.
    La Trinité est une relation d'amour entre trois personnes libres. Dans cette relation amoureuse l'une n'est pas « soumise » à l'autre. C'est bien la Sainte Trinité qui est niée (incomprise) par le judaïsme comme par l'islam et le Dieu personnel qui est nié par les athéismes.
    Le Christ, « incarnation » humaine, a été « tenté » à plusieurs reprises, ce qui veut bien dire qu'il était entièrement libre par rapport au Père et à l'Esprit, sinon il n'y aurait pas eu « tentation ».
    La tentation est toujours un oubli de sa propre nature aimante, c'est à dire négation de l'autre ou de la relation à l'autre, et pour l'homme négation de son Créateur, principe et fin. La vocation de l'homme est l'amour dans la liberté, et donc nécessairement la reconnaissance de l'altérité. Il n'y a pas de « Je » sans « Tu » et de « Je‑Tu » sans « Nous ».
    Lévi.

  • En ce qui concerne l'islam (et le judaïsme) le christianisme reconnaît la valeur de leur monothéisme. Une partie importante du chemin vers la Vérité est faite et ils peuvent avec l'aide de l'Esprit, par la révélation, arriver à discerner les trois « Personnes » de la Trinité. C'est cette Trinité qui nous constitue humain « à l'image et la ressemblance » de Dieu, appelés librement à l'amour.
    Lévi

  • Mt 26,41
    Γρηγορεῖτε καὶ προσεύχεσθε, ἵνα μὴ εἰσέλθητε εἰς πειρασμόν:
    τὸ μὲν πνεῦμα πρόθυμον, ἡ δὲ σὰρξ ἀσθενής.

    Γρηγορεῖτε καὶ προσεύχεσθε, ἵνα μὴ εἰσέλθητε εἰς πειρασμόν:
     grēgoreite kai proseuchesthe hina mē eiselthēte eis peirasmon
    Veillez et priez que ne pas vous entriez dans tentation

    Jérusalem : Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation :
    Chouraqui : veillez et priez pour ne pas pénétrer dans l'épreuve
    Segond 1910 : Veillez et priez, afin que vous ne tombiez pas dans la tentation
    Ostervald 1996 : Veillez et priez, de peur que vous ne tombiez dans la tentation
    Martin (1744) : Veillez, et priez que vous n'entriez point en tentation
    Jehovah :  Veillez+ et priez+ sans cesse, pour que vous n’entriez pas en tentation+.

    Εἰσέλθητε : « entriez » ou « veniez »

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