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Un Islam européen ?

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D'Annie LAURENT, déléguée générale de CLARIFIER, sur la Petite Feuille Verte (n°93) :

L’islam peut-il être européen ?

4 octobre 2022

La présence croissante de populations musulmanes en Europe est une réalité objective. Faut-il pour autant en tirer la conclusion que, nonobstant son origine orientale, l’islam s’est européanisé moins d’un siècle après son avènement, comme l’idée tend à se répandre dans certains milieux intellectuels et politiques, où l’on va parfois jusqu’à voir en lui un élément constitutif de la civilisation du Vieux Continent ? En voici deux exemples significatifs, même si la notoriété et l’importance des personnes citées sont bien évidemment très différentes.

Dans un article publié sur Facebook, Samuel Touron, étudiant à Sciences Po Toulouse et président de l’association Jeunes Européens, écrivait après avoir rappelé que l’islam s’est implanté en Europe dès 711 : « L’islam n’est-il pas une religion bien plus européenne qu’on ne le pense ? […] Contrairement à une idée reçue, l’Europe n’est pas un continent aux racines uniquement chrétiennes, n’en déplaise à ceux qui, lors des débats autour d’une Constitution pour l’Europe, souhaitaient voir inscrite l’adhésion aux valeurs chrétiennes comme facteur nécessaire pour intégrer l’Union » (19 mai 2021).

Lors de l’accession de Charles III au trône britannique, le site musulman oumma.com a cité un extrait du discours qu’il avait prononcé le 27 octobre 1993 (en sa qualité de prince héritier) dans l’enceinte du Centre d’Oxford pour les Études islamiques dont il était le mécène. « L’islam fait partie de notre passé et de notre présent, et ce dans tous les domaines de l’activité humaine. Il a contribué à la création de l’Europe moderne : il fait partie de notre propre héritage et n’est pas un élément étranger […]. Au-delà, l’islam peut nous enseigner aujourd’hui une façon de comprendre le monde, et d’y vivre, que le christianisme a malheureusement perdu. L’islam […] refuse de séparer l’Homme et la nature, la religion et la science, l’esprit et la matière : il a su préserver une vision métaphysique, unifiée, de nous-mêmes et du monde qui nous entoure » (9 septembre 2022).

Tous deux omettent de mentionner que l’irruption musulmane en Europe dans le passé ne relevait pas d’un projet religieux assimilable par la doctrine chrétienne qu’il serait venu améliorer. De fait, le christianisme n’a rien emprunté à l’islam.

Après l’évangélisation initiale qui suivit la Pentecôte, l’élaboration des dogmes chrétiens « fut l’œuvre de la série des grands conciles œcuméniques, et c’est à la philosophie grecque que les Pères de l’Église ont emprunté de l’outillage conceptuel », rappelle Rémi Brague (Cf. Au moyen du Moyen Âge. Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam, éd. Flammarion, 2008, p. 21).

Cela n’empêche pas de reconnaître tout ce que l’Europe doit aux transferts de textes savants ayant transité par l’Orient arabisé et islamisé, assure cet auteur, tout en soulignant le rôle primordial – trop oublié – des chrétiens de Bagdad au IXème siècle dans la traduction de la science et de la philosophie grecques.

Et Brague regrette la surdétermination idéologique qui s’est emparée du sujet (Id.). « Il y a toujours plusieurs mythes orientalistes sur le marché, selon les époques. On a eu parfois tendance à minorer le rôle des Arabes, ce qui était très injuste. Aujourd’hui, le balancier est reparti dans l’autre sens et certains – non pas des savants, bien sûr, mais des hommes des médias et des politiciens – voudraient nous faire croire que l’Europe doit tout à l’Islam » (Où va l’histoire ? Entretiens avec Giulio Brotti, Salvator, 2015, p. 92-93).

En fait, l’irruption de l’Islam en Europe, sept siècles après son avènement dans l’histoire, répondait à des ambitions conquérantes, qui entraînèrent d’ailleurs des résistances chrétiennes. Tout cela justifie la distinction entre l’islam comme religion et l’Islam comme civilisation, préconisée par R. Brague (Au moyen du Moyen Age, op. cit., p. 20-21).

ÉTAT DES LIEUX ACTUEL

Selon les résultats d’une enquête effectuée en 2017 par l’institut américain Pew Research Center, le nombre de musulmans dans l’Union européenne (28 pays + la Norvège et la Suisse) s’élevait alors à 25, 8 millions, soit près de 5 % de la population. La France venait en tête avec 8, 8 %. Elle était suivie par l’Allemagne (6, 3 %), le Royaume-Uni (6, 1 %), l’Italie (4, 8 %) et l’Espagne (2, 6 %). En 2050, ce nombre pourrait atteindre 35, 8 millions, soit 7, 4 % pour l’UE (Observatoire de l’immigration et de la démographie, 24 juin 2020).

L’islam n’est donc plus un facteur étranger à l’Europe ; il en constitue une composante interne et ne peut plus être confondu avec l’immigration. Son enracinement s’accompagne d’une réappropriation de la religion et de la culture islamiques, évolution à laquelle les États-hôtes ont contribué par l’adoption de mesures favorisant la communautarisation : extension du regroupement familial ; droit du sol pour la nationalité ; application de la charia par certains tribunaux, notamment dans le domaine du statut personnel (mariage, filiation, héritage), comme c’est le cas en Grande-Bretagne.

A l’instar de leurs coreligionnaires dans le monde entier, les musulmans d’Europe se réislamisent fortement, certains subissant l’influence des pays d’origine, voire d’idéologies relevant de l’islamisme (Frères Musulmans, El-Qaïda, Daech, etc.). La propagation du port du voile par les femmes est le signe d’une affirmation identitaire qui gagne de plus en plus les jeunes générations.

Les Européens ont longtemps minimisé le phénomène. La priorité donnée aux approches sociologiques, jointe au déclin du christianisme, a fait oublier que les hommes sont façonnés par une culture d’autant plus prégnante qu’elle est religieuse. Ainsi, qu’on l’admette ou pas, l’islam comporte des dispositions incompatibles avec les valeurs qui ont façonné la civilisation et les traditions européennes et inspiré son droit, largement fondé sur les apports d’Athènes et de Rome ainsi que sur l’Évangile et la doctrine sociale de l’Église.

LES CONDITIONS POUR UN ISLAM EUROPÉEN

Seule la conjugaison d’une volonté commune et d’engagements sérieux, tant de la part des musulmans établis sur le Vieux Continent que des États qui le composent, peut favoriser l’émergence d’un « islam européen ».

La part des musulmans

La doctrine islamique comporte des incompatibilités essentielles avec les fondements de la civilisation européenne, notamment dans les domaines de l’anthropologie (concept de la personne, égalité en dignité de l’homme et de la femme, liberté de conscience et de religion) et de l’organisation sociale (distinction des pouvoirs temporel et spirituel, droit, rapports internationaux).

L’histoire montre que l’islam ne s’intègre pas à d’autres cultures. Quand il est minoritaire, il compose avec la majorité tout en poursuivant son entreprise conquérante, tenant compte pour cela des circonstances et des rapports de forces. Quand il devient majoritaire, deux options s’offrent à lui :

  • L’intégration des minorités dans le cadre d’un statut de « tolérance », la dhimmitude, prévu par le Coran (9, 29). Cf. A. Laurent, L’islam pour tous ceux qui veulent en parler, Artège, p. 92-96.
  • La sécession. Cf. le Pakistan détaché de l’Inde (1947), la Bosnie-Hérzegovine détachée de la Yougoslavie (1991) et le Kosovo détaché de la Serbie (1999).

Certains responsables musulmans français, par exemple Tareq Oubrou, imam de Bordeaux, préconisent l’adoption d’un « islam de minorité ». Il faut accueillir cette idée avec réserve. Qu’en sera-t-il lorsque les musulmans seront majoritaires en Europe ? Il s’agit là d’une application de la taqiya (dissimulation) légitimée par le Coran (16, 106 ; 3, 28-29). Cf. A. Laurent, op. cit., p. 61-70.

Les musulmans établis en Europe doivent se dégager de la tutelle et de l’influence des pays d’origine, donc se rendre autonomes sur les plans politique, culturel et matériel, qui créent des dépendances aliénantes. Cf. le financement des mosquées et des écoles coraniques ; la rétribution des imams ; l’envoi de prédicateurs ignorants des réalités et des langues européennes ; les paraboles qui exportent les modèles islamistes.

Les musulmans doivent aussi renoncer aux principes de géopolitique conçus par leurs livres sacrés et leur tradition, notamment la bipartition du monde en deux blocs antagonistes : la Demeure de l’islam (Dar el-Islam), où prévaut la « vraie paix », et la Demeure de la Guerre (Dar el-Harb), qui lui échappe encore mais qu’il faut soumettre. En attendant l’échéance finale, il existe une voie provisoire, la Demeure de la Trêve ou de la Conciliation (Dar el-Sohl).

Changer le rapport au Coran et à la Sunna (Tradition mahométane), telle est la solution préconisée par des intellectuels européens de culture islamique. Cf. Razika Adnani, Pour ne pas céder, éd. UPblisher, 2021.

La part des Européens

Les États européens, leurs institutions et leurs élites doivent réviser certaines positions de principe erronées et dangereuses.

1°/ L’ignorance des spécificités de l’islam, notamment la tendance à considérer qu’il est une religion parmi d’autres, donc à traiter comme les autres alors qu’il n’est pas qu’une religion (cf. PFV n°74 – L’islam est-il une religion ? ; PFV n° 75 – L’islam, une idéologie religieuse ?).

2°/ La tendance à appliquer à l’islam les critères propres à la culture européenne en matière de philosophie, d’anthropologie, d’organisation de l’État et de la société. La laïcité, entendue comme rejet ou marginalisation de la religion, ne peut contribuer à européaniser l’islam et ne peut entraîner des relations apaisées entre l’État et ses citoyens, quels qu’ils soient. Pour les musulmans, cette laïcité radicale est dangereuse et constitue donc un repoussoir. « La saine laïcité consiste en l’unité-distinction entre les pouvoirs religieux et politique » (Benoît XVI, Ecclesia in Medio Oriente, 2012, § 29).

3°/ L’idéologie multiculturaliste, qui s’appuie sur le mépris de l’histoire, l’oubli ou la négation des fondements chrétiens de la civilisation européenne. A noter que la conscience d’une identité européenne s’est largement forgée dans la confrontation à l’Islam : cf. les batailles de Lépante (1571) et de Vienne (1629, 1683), dans lesquelles des papes se sont impliqués personnellement. Aujourd’hui, l’Europe s’engage dans un « accommodement mutuel » qui consiste à acclimater la culture religieuse importée. La « co-inclusion réciproque », tel est le but du projet de recherche intitulé Eurislam conçu par la Commission européenne (cf. Philippe de Villiers, Les cloches sonneront-elles encore demain ?, Albin Michel, 2016, p. 83-86).

4°/ Du multiculturalisme on peut passer insidieusement au multijuridisme par l’application de la charia. Cela se vérifie déjà de facto. Un rapport publié en juillet 2022 par le Centre Européen pour le Droit et la Justice (ECLJ, Strasbourg) recense les persécutions infligées à des musulmans établis dans l’UE (ainsi qu’en Grande-Bretagne) qui se convertissent au christianisme. L’ECLJ souligne la négligence des États concernés face à ces atteintes à la liberté religieuse qui contreviennent gravement aux principes énoncés par les documents officiels de l’UE qu’ils ont signés. Est-ce le prélude à une application de jure qui intégrerait alors l’Europe dans le Dar El-Islam, sous prétexte du nombre ?

5°/ L’Europe n’a pas de dette envers l’Islam. Elle ne doit donc pas céder au chantage de la victimisation. Le prétendu modèle d’El-Andalous, où juifs, chrétiens et musulmans auraient vécu dans l’harmonie, relève du mythe, comme le montrent de plus en plus de travaux sérieux. Cf. Serafin Fanjul, Al-Andalus, l’invention d’un mythe, éd. L’Artilleur, 2017 ; Dario Fernandez-Morera, Chrétiens, juifs et musulmans dans Al-Andalus, éd. Cyrille de Godefroy, 2018 ; Joseph Pérez, Andalousie. Vérités et légendes, Tallandier, 2018 ; Rafael Sanchez Saus, Les chrétiens dans Al-Andalus. De la soumission à l’anéantissement, éd. du Rocher, 2019.

6°/ L’Europe doit réhabiliter le principe d’assimilation, qui concerne les personnes, et renoncer au concept d’intégration, applicable aux communautés. Comment les autorités allemandes ont-elles pu en 2008 laisser Recep-Tayip Erdogan, alors Premier ministre turc, déclarer devant le Parlement lors d’une visite à Berlin : « L’assimilation est un crime contre l’humanité » ?(Le Figaro, 13 février 2008) ?

Sur cette question, Malika Sorel-Sutter, née de parents français d’origine algérienne et ancienne membre du Haut-Conseil à l’intégration, offre de précieuses propositions. Ses livres dénoncent l’auto-culpabilisation, la propagande multiculturaliste et l’idéologie communautariste (elle s’est opposée à l’inscription de la diversité dans le préambule de la Constitution, comme l’envisageait le gouvernement français en 2008). Cf. Immigration-intégration. Le langage de vérité, éd. Fayard, coll. Mille et une nuits, 2011 ; Décomposition française, Fayard, 2015 ; Les dindons de la farce. En finir avec la culpabilité coloniale, Albin Michel, 2022.

POUR CONCLURE

« Ne faites pas appel à la paix quand vous êtes les plus forts », conseille Allah dans le Coran (47,35). De fait, l’islam, envisageant ses relations avec autrui en termes de rapports de forces, prospère toujours sur la faiblesse des autres. L’histoire du Proche-Orient illustre amplement cette leçon.

Aujourd’hui, l’islam prospère sur l’épuisement culturel et spirituel de l’Europe, situation sur laquelle le pape Jean-Paul II a porté un regard lucide : « Il est important d’avoir un juste rapport avec l’islam. Comme cela s’est révélé plusieurs fois ces dernières années à la conscience des évêques européens, ce rapport doit être conduit avec prudence ; il faut en connaître clairement les possibilités et les limites et garder confiance dans le dessein de salut de Dieu, qui concerne tous ses fils. Il faut être conscient, entre autres, de la divergence notable entre la culture européenne, qui a de profondes racines chrétiennes, et la pensée musulmane » (Ecclesia in Europa, 2003, § 57).

Le mouvement expansionniste actuel ne passe pas seulement par le djihad. Il recourt à de nouveaux moyens qui se réfèrent aux critères européens en vue d’encourager les musulmans établis hors de l’espace traditionnel islamique à œuvrer à l’enracinement de leur culture dans les pays d’émigration. Ainsi, l’Organisation islamique pour l’éducation, la science et la culture (ISESCO), département culturel de l’Organisation de la Coopération islamique (OCI), composée de 57 États, a élaboré en 2000 un document intitulé Stratégie culturelle islamique à l’extérieur du monde islamique. Son objectif est « clairement avoué », il vise à protéger les musulmans contre « l’éblouissement » (la Stratégie indiquant en fait une « contamination ») de la culture européenne et la tentation d’y adhérer tout en profitant de l’ouverture et des valeurs de cette dernière pour obtenir la reconnaissance d’une identité islamique spécifique et ceci dans tous ses aspects (Cf. Jean-François Poisson, L’islam à la conquête de l’Occident, éd. du Rocher, 2018).

On le voit, tous les moyens sont permis aux musulmans convaincus du triomphe inéluctable de leur religion, puisqu’il est garanti par Allah : « C’est Lui […] Dieu qui a envoyé son Prophète avec la direction et la religion vraie pour la faire prévaloir sur toute autre religion, en dépit des polythéistes » (9,33).

Lorsqu’on envisage un islam européen, il faut donc savoir que l’islam veut le territoire de l’Europe mais il ne veut ni son histoire ni sa civilisation. Pour lui, il s’agit d’exercer une souveraineté conforme à la charia en exportant l’Oumma, la « communauté des croyants », qui transcende les frontières et constitue la véritable patrie voulue par Allah. Alors, oui, il peut y avoir un « islam européen » mais dans une « Europe islamisée ».

Cependant, il y a les personnes de l’islam. Consciente de ces réalités, l‘Europe doit donner à ses ressortissants et immigrés musulmans l’envie d’aimer leur pays d’accueil et refuser qu’ils s’y installent dans une perspective conquérante. Cela impose l’application des principes évoqués dans la présente Petite Feuille Verte.

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