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Comment surmonter la polarisation dans l'Eglise ?

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De Carlo Lancellotti  sur le National Catholic Register :

La polarisation dans l'Eglise : Comment la surmonter ?

Le serviteur de Dieu Luigi Giussani peut nous aider à voir que le chemin pour dépasser la division ecclésiale ne passe pas par une sorte de compromis politique, mais par une conscience plus profonde du cœur de notre foi.

5 novembre 2022

Dans sa récente homélie commémorant le début du concile Vatican II en 1962, le pape François a regretté la " polarisation " de certains catholiques à la suite du concile. "Combien de fois ont-ils préféré encourager leur propre parti plutôt que d'être les serviteurs de tous ?" a-t-il demandé. "Être progressistes ou conservateurs plutôt que d'être frères et sœurs ? Être à 'droite' ou à 'gauche' plutôt que d'être avec Jésus ?" 

La polarisation a en effet été une blessure douloureuse et, franchement, un scandale, qui a considérablement entravé la mission de l'Église à notre époque. Elle touche surtout ce que l'on pourrait appeler le "visage public" de l'Église : ses écrivains et ses intellectuels, mais aussi de nombreux membres du clergé, catéchistes et éducateurs. 

Si beaucoup de gens reconnaissent le problème, les remèdes proposés semblent souvent génériques et inefficaces. Les appels à la civilité ou à une plus grande charité ne résoudront pas les divisions qui découlent, en fin de compte, de visions radicalement divergentes de la situation de l'Église dans le monde d'aujourd'hui.

D'un côté, de nombreux catholiques "libéraux" aspirent à une Église non autoritaire. Au fond, ils pensent que l'Église doit aujourd'hui minimiser les enseignements "dépassés", qui étaient appropriés dans le passé mais qui sont incompréhensibles pour nos contemporains. Elle doit cesser d'être obsédée par des questions de morale individuelle (notamment sexuelle) et rejoindre les grands combats moralo-politiques de notre temps : contre la pauvreté, le réchauffement climatique, le racisme, la traite des êtres humains, la peine de mort, etc. 

Autant de causes louables, bien sûr, sauf qu'on ne voit pas bien pourquoi il faut être catholique pour se battre pour elles. Le rôle de l'Église est-il simplement de donner un "encouragement moral" à un monde qui n'a pas besoin d'elle ? Et son magistère doit-il vraiment "s'adapter" afin de tenir compte des priorités éphémères des différentes périodes historiques ? 

De l'autre côté, les "conservateurs" catholiques répondent à la "fluidité doctrinale" des libéraux en réaffirmant la recta doctrina (l'enseignement correct), avec un accent particulier sur les enseignements qui ont été sapés par la révolution sexuelle (sur l'avortement, le mariage, la contraception, etc.). 

C'est une réponse compréhensible, mais est-elle suffisante ? L'orthodoxie est-elle en soi ce que le christianisme apporte au monde ? En fait, on pourrait soutenir que notre problème aujourd'hui n'est pas tant un simple rejet de la vérité, mais que la vérité et la vie sont divisées. Soit la vie est affirmée comme valeur première, soit la vérité est affirmée dans l'abstrait, mais a du mal à devenir vie, à être vérifiée comme vérité dans l'expérience. Personnellement, je soupçonne que c'est la raison pour laquelle de nombreuses personnes trouvent de l'aide dans la liturgie traditionnelle, car la vérité chrétienne s'y manifeste dans le geste, le son, la vision et l'expérience. Mais encore une fois, est-ce suffisant ?

Lorsque ces questions surgissent, je pense souvent à Mgr Luigi Giussani (1922-2005), prêtre et éducateur italien dont le centenaire de la naissance vient de se produire le 15 octobre. Il est surtout connu comme le fondateur du mouvement ecclésial Communion et Libération (auquel je dois ma propre éducation à la foi), mais nombre de ses intuitions sont précieuses pour toute l'Église. 

Je veux ici en rappeler une en particulier : L'insistance inébranlable de Mgr Giussani sur le fait que l'Église doit s'approcher du monde en suivant la méthode propre à Dieu, qui est résumée dans le mystère de l'Incarnation. 

Au début du christianisme, Jésus n'a pas d'abord proposé un ensemble de doctrines ou une liste de principes moraux. Il s'est avant tout proposé comme "le Chemin, la Vérité et la Vie". Les disciples n'ont pas seulement rencontré un enseignant et un modèle moral, ils ont rencontré Dieu en chair et en os. 

Pour souligner ce point, Mgr Giussani (inspiré par le poète français Charles Péguy) a utilisé le mot "événement" : Avant toute chose, le christianisme a été (et est) un événement, un fait ; Jésus-Christ est entré dans l'histoire et l'a bouleversée. Ceux qui ont vécu cet événement ont dû lui donner un sens, ce qui a généré une doctrine. Ils ont dû vivre à la lumière de cet événement, ce qui a donné lieu à une moralité. Mais tant la doctrine que la morale étaient existentiellement en aval, pour ainsi dire, de l'événement de l'Incarnation.

L'intuition simple mais profonde de Mgr Giussani était que l'expérience des premiers disciples reste le paradigme du christianisme à chaque époque. La nature de l'Église est d'être la continuation de l'Incarnation, et sa fonction est de nous montrer le Christ ressuscité, qui reste notre contemporain "chaque jour jusqu'à la fin du monde". Elle le fait par la liturgie et les sacrements, mais aussi par le simple fait d'être là, en tant qu'ecclesia (assemblée) humaine, dans laquelle on peut faire l'expérience de la promesse de Jésus : "Quand deux ou trois d'entre vous seront réunis en mon nom, je serai au milieu d'eux." 

Nous considérons souvent cela comme allant de soi, mais Mgr Giussani le prenait très au sérieux. Jeune professeur de religion dans un lycée public très laïc, il s'est rendu compte que le signe objectif par lequel il pouvait suivre le Christ était l'unité de la petite bande de "perdants" qui avait commencé à le suivre. Il s'est rendu compte que, avant toute chose, l'Église apporte au monde le Christ lui-même et qu'elle le fait simplement en étant présente, en existant simplement au milieu du monde, remplie de la mémoire de l'événement de l'Incarnation. 

Si l'on prend cette affirmation au sérieux et que l'on en vérifie la véracité par soi-même, de nombreux problèmes se dissipent, ou du moins se relativisent. Parmi eux, la polarisation idéologique, qui est souvent le signe que le christianisme s'est "désincarné", qu'il s'est réduit à un ensemble d'idées religieuses et de principes éthiques, sans lien avec l'expérience de la présence émouvante du Christ sous le manteau des signes sacramentels. La foi est alors de plus en plus considérée comme allant de soi, et les différentes préférences intellectuelles, éthiques et même politiques des personnes (qui, en soi, sont tout à fait naturelles) se figent en agendas et en viennent à dominer la vie de l'Église. 

À l'inverse, lorsque les gens aiment et vivent l'unité de l'Église comme le signe de la présence du Christ, les autres désaccords (y compris les désaccords politiques) deviennent relatifs, et un véritable élan missionnaire est possible. Les préoccupations politiques ou théologiques des gens ne dominent pas leur attention parce que leur attention est concentrée sur "quelque chose qui vient avant", comme le disait Mgr Giussani. 

Aujourd'hui, il nous dirait certainement que la voie qui permet de dépasser la polarisation ne passe pas par une sorte de compromis politique, mais par une conscience plus profonde de ce qu'est notre foi. Comme c'est souvent le cas, on ne peut aller de l'avant qu'en allant plus en profondeur. 

Carlo Lancellotti est professeur de mathématiques au College of Staten Island et membre de la faculté du programme de physique du CUNY Graduate Center. Outre ses travaux d'érudition en physique, il a traduit en anglais et publié trois volumes d'œuvres du philosophe italien Augusto Del Noce. M. Lancellotti a également écrit ses propres essais sur Del Noce et d'autres sujets, qui ont été publiés dans Communio, Public Discourse et Church Life Journal.

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