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"Proportionnalisme" : ils sont de retour !

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De George Weigel sur First Things :

ILS SONT DE RETOUR !

12 avril 2023

Comme l'estimable Larry Chapp l'a récemment écrit sur son blog, Gaudium et Spes 22, "les débats les plus profonds, les plus importants, les plus litigieux, les plus conflictuels et les plus destructeurs [après Vatican II] ont entouré la théologie morale, en particulier après Humanae Vitae et la dissidence massive qui s'en est suivie". M. Chapp note également qu'il faut avoir vécu ces débats pour en saisir, aujourd'hui, la volatilité. En effet, les théologiens dissidents (et les évêques qui les soutenaient tacitement ou ouvertement) ont été stupéfaits par la réaffirmation par le pape Paul VI de l'interdiction de longue date par l'Église des moyens de contraception artificiels, et plus encore par le raisonnement moral qui l'a conduit à cette décision.

En effet, le "débat sur le contrôle des naissances" pendant et après Vatican II n'a jamais porté uniquement sur les moyens moralement acceptables d'exercer la responsabilité morale de réguler la fécondité. Il s'agissait également de la détermination de la guilde théologique à consacrer la théorie connue sous le nom de "proportionnalisme" en tant que théologie morale officielle de l'Église. Le Dr Chapp poursuit :

"[L]e "proportionnalisme" [...] enseignait qu'il ne peut y avoir de normes morales absolues puisque les actions morales sont largement déterminées [...] par les circonstances concrètes de la vie de la personne qui commet l'acte [...] [qui étaient] presque toujours [...]. [qui sont presque toujours chargées de l'ambiguïté des circonstances "difficiles et atténuantes". C'est un peu caricatural, mais pour faire court, le proportionnalisme est une sous-espèce (dans le langage catholique) de l'éthique de situation.

Comment des personnes par ailleurs intelligentes en sont-elles arrivées à la conclusion absurde qu'il n'existe pas de normes morales absolues susceptibles de ne pas s'adapter à des circonstances "difficiles et atténuantes" ? (C'est une longue histoire, qui implique le Sage de Königsberg, Emmanuel Kant, et le philosophe d'Édimbourg David Hume. Il suffit de dire que ce que beaucoup considèrent comme la destruction de la métaphysique par Kant (c'est-à-dire l'idée qu'il existe des vérités profondes intégrées dans le monde et en nous que nous pouvons connaître par la raison) et la démolition par Hume de l'affirmation selon laquelle nous pouvons raisonner à partir d'un fait (par exemple, il y a des êtres humains innocents) jusqu'à une vérité ou une valeur morale (par exemple, la vie humaine innocente est inviolable) ont joué un rôle de premier plan dans ce drame. Et, comme toujours, les idées ont eu des conséquences.

Le débat catholique sur le proportionnalisme aurait dû être tranché par deux encycliques de Jean-Paul II. En 1993, Veritatis Splendor (La splendeur de la vérité) a rejeté le proportionnalisme comme méthode catholique légitime de théologie morale en enseignant avec autorité qu'il existe, en fait, des actes intrinsèquement mauvais qui sont absolument interdits moralement. Deux ans plus tard, Evangelium Vitae (L'Évangile de la vie) a illustré ce point en enseignant avec autorité que la suppression délibérée de la vie humaine innocente, l'avortement et l'euthanasie sont toujours gravement mauvais, quelles que soient les circonstances difficiles et compliquées.

Mais la guilde des théologiens ne s'est jamais avouée vaincue et promeut désormais le proportionnalisme, notamment dans les universités romaines.

Ainsi, en mai 2022, le père Julio Martinez, S.J., a donné une conférence à l'Université pontificale grégorienne (un foyer de pensée proportionnaliste pendant les débats post-conciliaires) ; il y a accusé Veritatis Splendor d'avoir fait des nœuds (c'est son expression) dans la théologie morale catholique, complétant un processus de nouage qui avait commencé avec Humanae Vitae, qui n'avait pas "discerné et considéré les circonstances [du] ... mariage et de la vie de famille ... de manière exacte". ... le mariage et la vie de famille ... d'une manière précise". Le père Martinez s'est également plaint que Veritatis Splendor était malavisé en insistant sur le fait que le magistère de l'Église a la responsabilité d'"enseigner la morale d'une manière très précise et claire". La bonne nouvelle était que l'exhortation apostolique Amoris Laetitia du pape François avait "introduit le discernement" (autrefois une méthode de direction spirituelle) dans l'approche de l'Église de l'éthique de l'amour humain dans "les circonstances concrètes du mariage et de la vie familiale", ce qui est "une chose vraiment nouvelle dans la théologie morale".

Que ce soit ou non ce qu'Amoris Laetitia a fait (ou avait l'intention de faire), le Père Martinez approuvait le proportionnalisme comme une méthode supérieure de raisonnement moral qui "dénouerait les nœuds" créés par Humanae Vitae et Veritatis Splendor - indépendamment du rejet autoritaire par ce dernier de l'affirmation fondamentale du proportionnalisme selon laquelle il n'y a pas de normes morales absolues parce qu'il n'y a pas d'actes intrinsèquement mauvais.

Comme le disait George Orwell : "Il faut appartenir à l'intelligentsia pour croire des choses pareilles : aucun homme ordinaire ne pourrait être aussi stupide."

Le retour du proportionnalisme a eu des effets au-delà de la guilde des théologiens. Il a joué un rôle influent dans l'apostasie allemande et dans les commentaires de divers évêques sur les questions LGBT. Le grand théologien dominicain Servais Pinckaers a écrit un jour que la théologie morale est "le lieu de rencontre de la théorie et de la pratique, de la pensée et de la vie de l'Église". Il ne s'agit donc pas d'un simple jeu d'intellectuels.

C'est pourquoi cette dégradation de la théologie morale et ses effets ne passeront pas inaperçus lors du prochain conclave papal.        

La chronique de George Weigel "The Catholic Difference" est publiée par le Denver Catholic, la publication officielle de l'archidiocèse de Denver.

George Weigel est Distinguished Senior Fellow du Ethics and Public Policy Center de Washington, D.C., où il est titulaire de la William E. Simon Chair in Catholic Studies.

Commentaires

  • La vérité n'est ni dans la théologie morale abstraite pure, ni le le proportionnalisme qui adapte tout aux circonstances.

    La vérité, me semble-t-il, est dans l'union des deux.

    1° La doctrine universelle éclaire la conscience :
    Exemple : cette doctrine universelle de saint Jean-Paul II : "le mensonge est toujours un mal, quelles que soient les circonstances" (voir CEC 1753 CITATION : "Une intention bonne (par exemple : aider le prochain) ne rend ni bon ni juste un comportement en lui-même désordonné (comme le mensonge et la médisance). La fin ne justifie pas les moyens").

    2° Il est certaines circonstances où le mensonge est absolument nécessaire, à titre de MOINDRE MAL (ce qui n'en fait pas un bien mais une nécessité).

    Exemple : le cas de soeur Denise Bergon.

    La vie de sœur Denise Bergon, juste parmi les Nations : L’usage du mensonge au service de la vie (1912-2006) (55 mn) (4 février)
    https://youtu.be/cMIMVHvrXXo
    Thèmes abordés : Comprendre avec soeur Denise Bergon, juste parmi les Nations, l'usage du "moindre mal" tel que l'enseigne le pape François. Le mensonge est-il un mal ? Peut-on parfois mentir ? Le Cardinal Saliège et la protestation contre la shoah ; L’attitude de Pie XII ; Le père Emmanuel de Floris et l’abbaye d’En-Calcat ; Les limites de l’obéissance religieuse.
    Cette jeune religieuse de 30 ans, au risque de sa vie, a sauvé environ 95 réfugiés juifs dont 83 enfants à Capdenac-Gare en les faisant passer pour des réfugiés d’Europe de l’Est et en produisant pour eux de faux certificats de baptême. Conseillée par Monseigneur Saliège qui lui dit : "Mensongez ! Mensongez ! Mais sauvez ces enfants", elle a su user de la ruse pour les faire échapper aux Nazis. Le 13 mars 1980, l'institut Yad Vashem de Jérusalem a décerné à sœur Denise Bergon le titre de Juste parmi les nations.

  • La Sainte Eglise catholique romaine est encore et toujours aujourd'hui, malgré ses profondes blessures, l’unique Église régulière instituée par NS Jésus-Christ.
    Et cette Eglise est encore et toujours aujourd'hui fondée sur trois piliers :
    ▪︎ La Sainte Écriture, les saints Evangiles, bien évidemment et logiquement,
    ▪︎ Le catéchisme de l’Église catholique romaine (C.E.C.)
    ▪︎ Le code de droit canonique qui n’a, bien logiquement, de valeur universelle qu’en langue latine.
    Saint Jean-Paul II qualifiait de ”fidéisme” le fait de prétendre suivre l’Evangile mais en ignorant le catéchisme. C’est effectivement une dérive vers le protestantisme.
    Forcément, il en est de même lorsqu’on se soustrait au droit canonique dans sa valeur universelle en langue latine.
    Si tous ceux qui se réclament d’appartenir à la Sainte Église catholique romaine respectaient vraiment ces trois concepts de véracité et d’authenticité, il y aurait soudainement un grand tremblement dans l’Eglise notamment à propos de la ”declaratio” rédigée par Benoît XVI en 2013 précisément en langue latine (qu’il connaissait parfaitement), ce qui établit une énorme différence.
    Si le droit canonique n’est plus respecté, alors après ce sera le catéchisme et puis l’Evangile. Et on y est déja.
    Et pour comprendre tout cela, pas besoin d’être théologien, il suffit de savoir ce qu’est un État de droit.

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