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Quand l'école se meurt...

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Une opinion de Joseph Junker, père de famille nombreuse, publiée sur la Libre :

L’école se meurt. Elle ne guérira plus

Mes enfants, je l’espère, ne grandiront pas dans le confort d’une bulle sociale et de l’amitié de semblables, ni dans une élite isolée des réalités du commun des mortels. Mais la question que se pose désormais, c’est : combien de temps ? Combien de temps avant que je n’aie tout simplement plus le choix ?

23-06-2024

L’agonie pourrait durer encore un temps, et nous continuerons encore à y envoyer nos enfants par habitude ou par déni… Puis l’école sera morte. Ce n’était ni nécessaire, ni inévitable, mais ce l’est devenu à présent, il ne sert à rien de le nier.

Bien sûr, cela commence un peu à se voir. Les résultats apocalyptiques des enquêtes PISA ne sont que la face émergée d’une chute de niveau tellement rapide que les parents de plusieurs enfants peuvent l’observer à quelques années d’intervalle ; les professeurs désespérés de l’état de l’école en parlent autour d’eux ; ou encore le harcèlement dont les élèves eux-mêmes sont toujours plus victimes… et, oserais-je le dire, l’incapacité patente de jeunes tout frais émoulus de l’école secondaire à réaliser des tâches élémentaires, comme rédiger un paragraphe simple ou consulter un horaire de bus.

Il n’y a plus rien à espérer des tentatives de corriger le tir. L’État continue à imposer aux écoles toujours plus de technocratie ; les pédagogues s’imaginent que l’école ne fonctionne pas parce que leurs méthodes n’ont pas été appliquées correctement ; et pendant que les élèves s’auto-lobotomisent toujours plus efficacement à grands coups de Tiktok, les écoles les plus avancées songent à offrir à leurs élèves des ordinateurs portables et pourquoi pas à y introduire l’intelligence (artificielle bien sûr).

Conséquence logique, d’ici quelques années, toutes les familles d’un certain niveau ne songeront qu’à quitter l’école. Ceux qui en ont les moyens matériels rejoindront l’école privée. Quant à ceux qui en ont les moyens humains, ils grossiront les rangs des élèves scolarisés à la maison.

L’école privée et à domicile en plein boom

Contrairement à ce que vous pensez peut-être, cette possibilité n’a rien d’une vue de l’esprit. Si l’enseignement privé et à domicile sont chez nous aujourd’hui encore modestes, ils n’en ont pas moins doublé de volume en quelques années, atteignant un demi-pourcent des élèves d’âge scolaire. L’enseignement à domicile explose dans la plupart des démocraties occidentales, et certains pays en avance sur nous donnent un aperçu de ce qui nous attend.

Pour ne prendre qu’un exemple, parmi les statistiques méconnues sur les États-Unis, savez-vous que le nombre d’enfants “home-schooled” y a pratiquement doublé en trois ans, passant de 2,6 millions en 2019 à 4,2 millions en 2022-23 ? Les familles qui choisissent ce mode d’enseignement sont en moyenne plus nombreuses, et de catégories socio-économiques plus élevées. Plus marquant encore, les scores des écoliers à domicile sont 15 à 30 % plus élevés que ceux des écoliers classiques, et ce dans chaque catégorie sociale ou raciale. À cela, deux explications possibles et complémentaires : soit l’école américaine est moribonde, battue à plate couture par la mère de famille américaine moyenne “part-time” ; soit les meilleurs élèves de toutes les catégories ne nous atteindront pas. Il serait naïf de penser que la situation américaine est transposable en Belgique. Mais il serait tout aussi naïf de penser que cette tendance mondiale ne se produira pas chez nous. Ce jour-là, il ne restera au ministre de l’Enseignement que deux options : l’option française, soit chiffonner la constitution et interdire en espérant sauver la face (bien sûr tout en prenant garde de placer ses propres enfants au Lycée Henri IV ou Stanislas), et l’option britannique, plus pragmatique, d’accompagner les free schools comme une source de régénération de l’enseignement, voire même les financer pour permettre aux moins aux bons élèves de s’extraire du piège des “failed schools”.

L’enseignement, c’est les parents et l’école

L’enseignement, quand il fonctionne, est le fruit de la rencontre d’un projet éducatif, celui des parents, avec un projet pédagogique, celui de l’école. Dans cette équation, l’État n’est qu’un acteur secondaire. Or, aucun de ces acteurs ne remplit aujourd’hui son rôle correctement. De plus, non content de faillir à sa mission d’allouer des moyens suffisants, l’État abrutit l’école d’injonctions sans queue ni tête, se désintéresse de la question du niveau et n’a d’yeux que pour ses marottes idéologiques.

Puis-je illustrer ce dernier fait d’un exemple vécu ? À l’école primaire (néerlandophone) de mes enfants, on n’apprend plus la différence entre “jou” et “jouw” – faute comparable en français à la différence entre “ce” et “se”. Par contre, il a été jugé important de les informer en détail (à notre insu) de la question transsexuelle, jusqu’à leur exposer des détails que vous et moi ignorons probablement.

Mes enfants, je l’espère, ne grandiront pas dans le confort d’une bulle sociale et de l’amitié de semblables, ni dans une élite isolée des réalités du commun des mortels.

Prenons à présent leur petite sœur de cinq ans, à qui ils ont appris à lire par jeu. Qu’a-t-elle encore à faire 7h par jour dans une école de “bon niveau”, où elle ne peut espérer lire à son niveau avant la 5e primaire – l’âge où elle sera la dernière de sa classe à ne pas avoir de smartphone et où l’Evras flamand lui apprendra qu’elle est peut-être un garçon ?

Le jour où cette question a fait irruption sans crier gare dans notre foyer, l’école a commencé à mourir pour nous, et la quitter est, tout d’un coup, devenu un peu plus envisageable.

Combien de temps aurons-nous encore le choix ?

Oserais-je d’ailleurs conclure par un petit mot sur l’Evras pour illustrer le danger que court l’école publique ? Certes, certaines critiques ont pu manquer de nuances. Certes, ces critiques sont surtout portées par la classe populaire musulmane et la bourgeoisie catholique, groupes que tout oppose et qui ne brillent pas par leur popularité… mais aussi deux groupes possédant chacun à leur manière la cohésion et les ressources nécessaires pour organiser un jour leur propre enseignement.

Un résultat possible de toute cette polémique franchement évitable, c’est que l’exode des meilleurs élèves de l’enseignement officiel se fera vers les écoles qui se créeront alors, en grande partie par ces deux groupes. Étonnant retour des choses, il se peut que dans 10 à 20 ans, notre élite intellectuelle soit de nouveau formée en grande partie par des instituts catholiques conservateurs.

Est-ce vraiment ce que nous voulons ? Ce n’est pas ce que je veux. Mes enfants, je l’espère, ne grandiront pas dans le confort d’une bulle sociale et de l’amitié de semblables, ni dans une élite isolée des réalités du commun des mortels. Mais la question que se pose désormais tout parent d’un enfant ayant gardé un certain niveau et n’ayant pas accès à une des quelques écoles avec une ambition qui se respecte, c’est : combien de temps ?

Combien de temps avant que je n’aie tout simplement plus le choix ?

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